L’article ci-bas qui avait été publié en juillet 2016 résonne aujourd’hui dans l’actualité américaine. Nous le publions in extenso pour que vous en jugiez par vous même.

Dans un éditorial daté du 23 juillet 2016, le New York Times se risquait à entrevoir les points de rupture et de reconfiguration géopolitique du monde suivant le Président Donald Trump ou le Trumpworld contraposé au Clintonworld de la Présidente Hillary R. Clinton. Un duel inédit opposant un leadership incohérent, pas fiable et un autre avéré et mal aimé. La prochaine présidentielle américaine a enterré l’enthousiasme. Et les dés sont jetés. Le présent éditorial tire sa substance de cet éditorial new yorkais, l’approfondit et y apporte des nuances suivant ma condition d’Africain face au désordre persistant du monde, aux leaderships insuffisants face aux terrorisme et à la montée des populisme et nationalisme de l’Europe à l’Afrique et, bien sûr, la possibilité d’une autre grande guerre. A moins que de grands chefs émergent. Je n’en vois pas à l’horizon dans le court terme en Occident. Mais on peut aussi, optimiste, constater que les vicissitudes historiques moulent les grands chefs pour inventer une Yalta bis pour offrir et asseoir une nouvelle architectonique de paix et de sécurité au monde. La certitude est qu’il n’est point improbable que Donald Trump soit élu si l’on observe, la persistance de la méfiance des milieux populaires vis-à-vis du leadership d’establishment de Madame Hillary Clinton, pire, le questionnement de son intégrité personnelle. Or, Donald Trump est en dehors de l’establishment politique, précisément, et aussi au carrefour des grandes confluences nationalistes, isolationnistes et révisionnistes de la globalisation, du libre échangisme mondialisé. Le front du refus du déclin inexorable de l’Occident et partant des Etats-Unis dans le leadership du monde, s’est réveillé autour d’un destin obscur. Donald Trump est le nom de toutes ces contradictions, de ce front de la révolte des couches sociales lésées par des croissances sans prospérité parce que sans emploi bien rémunéré et des remises en causes du peuple du travail vs les Happy Few de la rente, internes à l’Amérique et créant aussi le stress socio-économique et sécuritaire dans le reste du monde. L’effarement est le nom de ce rendez-vous.

Il est alors juste de constater la complexité du monde et celle des enjeux géopolitiques que relève avec justesse le New York Times. De ce constat, il en découle l’hypothèse de la dangérosité du monde contemporain, accentuée par la désinvolture des leaderships, de la contestation des oligarques par les gueux fabriqués dans le creux de ce nouveau capitalisme financiarisé et des mercantilismes de court terme. La résurgence des identités locales fortes, parfois contraires, mais toutes contraposées aux intérêts des empires financiers des firmes internationales, alourdit ce climat social.

Etat du monde : Depuis le retour du Président Poutine au pouvoir en 2012 et le référendum de rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie en 2014, les Occidentaux en ont conclu au retour des ingérences hégémoniques, toutes choses qui dépossèdent les peuples de leur volonté.

D’abord, il faut faire une nuance puisque depuis la Conférence de Yalta de 1945 (Staline, Roosevelt et Churchill), la Russie n’a d’yeux que pour son foyer propre (Biolorussie, Ukraine) couplé à sa fenêtre extérieure qu’est la Lituanie. Et ensuite, c’est le même élan dominateur à la remorque des interventions hégémoniques occidentales comme celle en Lybie pour changer le leadership de prépondérance du Guide Kadhafi et laisser le chaos à l’Afrique et à l’Italie. Enfin, la loi internationale semble, hélas, ne concerner que les étudiants de droit, lorsque les puissances hégémoniques dictent leur volonté au monde. Réalisme insolent oblige ! Le rattachement de la Crimée à la Russie a effrayé l’Occident puisque les Etats Baltes et la Pologne sont leurs boucliers naturels contre le proche voisinage russe ou, si l’on préfère, du Président Poutine jugé, de plus en plus « agressif ». Mais un mur mitoyen (Pologne et Etats Baltes) est un mur mitoyen qui doit assurer la tranquillité de chaque entité juxtaposée. Or la Russie, depuis la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991, se sent encerclée par les admissions des Etats Baltes comme membres de l’Otan et aussi l’installation des dispositifs anti missiles en Pologne.

..L’arrivée du Président Donald Trump renverserait les données du problème en ceci que selon lui, il ne protégerait les Etats Baltes qu’à la condition expresse que ceux-ci fassent leurs devoirs vis-à-vis des Etats-Unis. Quels sont ces devoirs ? Nul ne le sait. Mais cette conditionnalité est à elle-même sa propre évidence que l’appui américain protecteur n’est plus automatique. Cette lecture restrictive touche le cœur même de la défense commune qu’est l’Otan. Le Président Trump laisse entendre un nouveau type d’engagement stratégique américain à la tête de l’Otan. La Présidence Obama a rassuré les partenaires européens et japonais et coréens, minimum syndical, pour cultiver le lien fort avec l’Asie Pacifique. Avec le Président Trump, rien n’est acquis. Le marché des transactions stratégiques est ouvert, excepté la bienveillance, la compréhension mutuelle réciproque qui existe entre lui et le Président Poutine. Ce qui n’arrange pas le stress sécuritaire et géopolitique des Européens, fractionnés par le Brexit et le retour subséquent des irrédentismes et indépendantistes écossais, l’imposition de l’austérité par la Chancelière Merkel à l’Europe et les peuples du pourtour méditerranéen, rétifs et qui ne sont en phase qu’avec les politiques keynésiennes. De la Grèce à l’Italie, le désamour nationaliste ou populiste pour les élites de Bruxelles et celles au pouvoir dans les pays avec la montée du sentiment d’impuissance et d’insécurité, généré par le terrorisme (Nice) et la criminalité des gens jusque-là, insoupçonnés, parce que sans histoire (cas allemand).

…Il y a aussi que les Présidents Poutine et Erdogan se sont réconciliés, consacrant ainsi une continuité du leadership des hommes forts jusqu’à Beijing avec le Président Xi Xinping. Le renouveau diplomatique intervenu entre Israël et la Turquie autorise de penser quel’Initiative Arabe de Paix, portée par l’Arabie Saoudite sunnite et adoubée tacitement par la démocratie israélienne, accompagnée par la Turquie et non suspecté par Israël est le ferment d’une probable entente cordiale entre L’Egypte du Maréchal Al Sissi et la Turquie du Président Erdogan, sorti vainqueur de l’Etat parallèle putschiste, attribué aux Gulanistes. Le complément géopolitique qui manque au leadership de prépondérance du Président Poutine, c’est de concilier, grâce à sa bonne entente avec la République Islamique d’Iran (pour desserrer l’étau chiite sur le destin du Liban), celle-ci avec la Turquie sunnite. A tout le moins, une paix froide pour stabiliser la région proche-orientale basiste (Syrie et Irak). Une autre reconfiguration, ce rapprochement des puissances sunnites avec la démocratie israélienne, offre une réelle chance de stabilisation au Proche-Orient basiste et républicain. A tout le moins, elle réduit le poids des interférences européennes, notamment l’initiative française pour la paix tout en relançant de faux espoirs pour le projet du Premier Ministre Netanyahu relatif au dialogue direct avec l’Autorité Palestinienne. Ce projet israélien trouvera preneur sûrement en Donald Trump tout comme sera perçu avec bienveillance par une présidence Hillary Clinton. L’unique consensus.

….Il y a ensuite que la Chine, en rejetant l’avis consultatif émis, quelques semaines passées, par la Cour Internationale de Justice, qui a dit sa foi en un monde de développement harmonieux, trouvera probablement quelque tacite consentement auprès de ces leaders forts et Présidents que sont Poutine, Erdogan et demain l’isolationniste Trump. Les Philippines pèsent moins.

2. L’Autorité morale des Etats-Unis dans le tourbillon

Cet isolationnisme du Président Trump pourrait produire ou réduire les effectifs des forces américaines de la Péninsule coréenne. Un reniement désobligeant d’un grand partenariat stratégique. La Corée du Sud et le Japon seraient face auquel cas à leurs responsabilités régaliennes de maintenir la sécurité de leurs citoyens et de leur pays respectif.

Cet isolationnisme du Président Trump signifiera- s’il est appliqué- un lâchage des amis et un affaiblissement du leadership américain, jamais contesté en 70 ans de pratique à la tête de l’Otan. Il s’ensuivra une atteinte grave à l’autorité morale des Etats-Unis, la perte de ce que l’on appelle, à la suite du diplomate français Hubert Védrine, le statut de l’hyper puissance mondiale. J’observe que les nationalistes conservateurs japonais dont le chef de file est le Premier Ministre Shinzo Abe y trouveront une opportunité historique de détricoterl’Article 9 (renonciation japonaise à jamais de la guerre) de la Constitution pacifiste japonaise de 1946. Quant à la Corée du Sud, elle aura besoin d’un parapluie protecteur disponible, se rapprocherait de la Chine Populaire (deux pays économiquement proches et en conquête de marchés) pour qu’elle surveille l’encombrant jeune leader nord coréen. Il est envisageable, pourquoi pas, que le Président Trump propose au leader nord coréen le même type d’Accord conclu avec l’Iran par les 5+1. Un bon coup diplomatique déstressant.

a) Advenant donc l’élection du candidat Donald Trump –je pense que cette hypothèse est fort probable-le délitement du leadership global des Etats-Unis sera réel, à moins d’un abandon en rase campagne de ce Trumpworld par pragmatisme. Sinon ce délitement signifiera aussi la fin des prémisses de politique de civilisations ou de dialogue interconfessionnel. La Miséricorde papale de François attendra tandis que le Président Trump estime qu’il faut fermer les portes des Etats-Unis aux immigrants musulmans. Ce leadership isolationniste –qui construit des murs n’est pas chrétien, décrète le Saint Père-pérore même la construction d’un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, une façon brutale de mettre en difficultés mortelles l’Alena (Accord de libre échange Canada, Mexique et Etats-Unis).

b) Les politiques de civilisations seront davantage en berne à l’Unesco, celle de bon voisinage et de relations mutuellement enrichissantes entre les nations dans le soupçon. Bref, la paix du monde vivra dangereusement au bord du précipice. Ce renoncement de leadership, si tout cela n’est pas que du bluff, devra par conséquent être supplée par quelque chose d’autre pour conjurer la perculosité d’être au monde. Il n’y a aucune raison de penser, au surplus, que le multilatéralisme va se trouver consolider par la réorganisation et l’admission de l’Allemagne, du Japon, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique, du monde arabe au sein du Conseil de Sécurité. D’où ce Yalta bis et de la réorientation des institutions multilatérales. C’est une formidable fenêtre d’opportunités. A défaut de saisir cette opportunité historique, nous serons dans l’antichambre du désordre opposant les peuples aux élites oligarchiques, le bri des parapluies stratégiques (Corée, Japon, Etats Baltes) ou de la guerre. Le Président Trump ajouterait donc de la dangérosité, de la non visibilité géopolitique et de l’imprévisibilité diplomatique à la marche des affaires mondiales, de la paix et de la sécurité internationale.

3. Les Africains et L’Union Africaine

Dans un tel schéma, les Africains devront se réinventer un nouveau modèle d’horizon géopolitique neutre pour jouer un rôle stabilisateur et constructif. Ou bien conclure une alliance et un partenariat stratégique avec une puissance amie. La Russie est toujours isolée tandis que la Chine est seulement ou encore une puissance commerciale. Le destin de l’Afrique est un destin de liberté et de démocratie avec une identité politique à concevoir. Puisqu’elle a toujours été un continent où les sociétés sont ouvertes au monde, nonobstant le propos poppérien sur les sociétés magiques, closes. Il reste les Européens qui oublient l’Afrique en s’oubliant. Ceci d’autant plus que les Européens ne réalisent pas suffisamment que leur destin de grandeur se joue en Afrique, au côté de l’Afrique. La crise des réfugiés est pourtant une violente interpellation de notre destin partagé. Ce destin est celui d’un partenariat géopolitique global non pas pour faire de l’Afrique ni un comptoir des matières premières, ni l’objet de changement hasardeux des grands chefs au profit d’un leadership fantoche aux commandes de démocraties clientélistes et insécures. Mais un partenariat géostratégique et culturel fort par une politique d’homogénéisation des niveaux de vie des citoyens européens et africains sur une génération, par le partage d’expertises et de technologies, de développement et l’accroissement des capacités industrielles, des droits d’établissements mutuels pour accroître les échanges et l’enrichissement réciproque et l’approfondissement de la culture des droits humains. Mener vers l’Afrique, ce que le Président Chinois Xi Xinping a nommé et initié comme One Belt, One Road. Depuis le moyen âge, la Chine a toujours été une grande puissance commerciale avec le Port de Shanghai. Avec cette Initiative One Belt, One Road, elle renoue avec son grand passé, ouvert aux échanges économiques et conforme à son nouveau statut de puissance, d’enrichissement mutuel par la non interférence dans les modes de leadership politique des pays et donc acquis à sa vision d’un monde harmonieux et en paix. Les Européens et les Africains, leurs gouvernants et leurs sociétés civiles sont dans l’obligation historique de réussir un tel duplicata géopolitique et géostratégique pour redevenir importants. De toutes façons, les générations des mondes numériques africains n’iront plus, ne prendront plus part aux guerres occidentales à finalité hégémonique. Elles sont ouvertes au monde et contestataires de cette globalisation génératrice d’inégalités et de discriminations comme les autres générations de ce monde numérique global.

L’Afrique et l’Union Africaine doivent se préparer à l’éventualité de ce que le New York Times appelle, le Trumpworld. Parce qu’il arrive. Contre les aristocraties politiques et journalistiques du monde, contre le confort intellectuel, la convenance politico-diplomatique affadie et la paresse du monde et sa rhétorique convenue. Il ne prétend pas enchanter le monde par le même et l’identique. Il désire le chaos et du chaos, engendrer l’iconoclaste, le tournis du monde. Personne ne l’aime vraiment. Pas plus que le citoyen raisonnable n’attend le surhomme nietzschéen. Mais il sera au rendez-vous pour condamner l’espoir béat au moyen de l’engagement désinvolte voire bouffon. L’achèvement non attendu de la comédie humaine ! Propulsé par les populations américaines révoltées, contrariées par la paupérisation, la perte d’espoir et le rejet de l’establishment dynastique. Ce leadership iconoclaste, brouillon, populiste et discriminatoire par endroits, fait corps, hélas, avec les peurs du nouveau monde. La peur n’est-elle pas chez elle avec l’humain ? Aussi doit-il inventer le courage, celui d’exister sans assurance.

Le pire ou la promesse du meilleur, c’est que Donald Trump estime que son seul cerveau suffit. Il ne sera pas oisif, en tous cas. Pas besoin des conseillers qui confinent à la pusillanimité. Le pire pour le New York Times, c’est qu’ « il ne semble écouter personne ». Alors il reste à savoir, à se demander que faire lorsque le monde fou drapé dans ses assurances apocalyptiques est le seul monde à vivre. Est-il raisonnable d’y opposer les seules incantations par l’exhibition de ses incohérences ? Sommes-nous dans un monde semblable à un fruit trop mûr, j’allais dire, pourri qui tombe de l’arbre ? Ou, doit-on avec sagesse, entrevoir les lendemains de révolution ratée comme celle du Bon Sens lancée jadis par un autre iconoclaste américain nommé, Newt Gingrich, le Speaker contre un autre Clinton, le Président Bill Clinton ?

Une tribune internationale de Mamadou Djibo, Ph.D

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