Mai 2014. L’association des Burkinabè de Lyon, (ABL) organise la dixième édition des Journées culturelles du Burkina. A l’occasion, elle invite l’artiste Dez Altino, Kundé d’or 2013 pour la soirée de clôture.Comme chaque année, le public est venu nombreux et la soirée est belle. Après un repas copieux et un défilé de mode, il attend le bouquet final, l’entrée sur scène de l’artiste. Mais Dez Altino n’est pas là. Le président de l’ABL de l’époque, Amidou Ouédraogo prend alors la parole. Le ton est grave. « L’artiste n’a pas pu prendre son avion parce que tout simplement, il n’a pas eu le visa du service consulaire de France à Ouaga », explique t-il. Des Wouh Wouh fusent. Pourquoi lui a t-on refusé le visa ? interroge le public. Selon les explications du président de l’ABL, le consul justifie son refus par deux motifs : le manque de justificatifs de moyens de subsistance et la preuve qu’après le concert, l’artiste retournera bien au Burkina.
Tout est là et résume le long et franc débat qui a réuni hier 15 novembre au siège du Bureau burkinabè des droits d’auteur (BBDA), les artistes burkinabè et le consul de France à Ouaga, Jean Chasson, à l’initiative du directeur de cette structure chargée de protéger les droits des créateurs, Walib Bara.
Un débat salutaire qui a permis aux deux parties de s’expliquer, lever des malentendus dans l’espoir de repartir sur de nouvelles bases. Les artistes en avaient gros sur le coeur et ils l’ont exprimé. Des plus connus aux moins connus, tous veulent comprendre pourquoi, "quand on a un dossier complet, qu’on a une invitation en bonne et due forme, avec des dates précises de prestations, on nous refuse le visa alors que sortir du pays, c’est une occasion de se faire connaitre, nouer des contacts et toucher un cachet qui nous permet de vivre ?"
De nombreux artistes (musiciens, comédiens, peintres, etc.) se sont relayés pour raconter leur mésaventure devant les guichets du consulat. Améty Méria, grande figure de la musique burkinabè depuis plus d’une vingtaine d’année, s’est vue refuser le renouvellement de son visa alors que "je n’ai aucune envie de rester en France". Maï Lingani, devait passer par Paris avant de continuer en Allemagne pour un concert avec son équipe, mais sans savoir pourquoi, on lui a refusé la vignette qui autorise à fouler le sol français. Surprise mais pas découragée, elle se démène, alerte des amis, remue ciel et terre et comme par miracle, un beau matin, on l’appelle pour lui dire que c’est accordé ! Plus surprenante, une comédienne, qui n’est pas du tout une débutante, a saisi l’occasion pour demander pourquoi elle, qui a une maison à Bordeaux et un appartement à Paris, qui y va depuis des décennies, "on me refuse encore le visa alors que si je voulais rester en France, je l’aurais fait depuis ?" Tous les intervenants disent la même chose, chacun avec ses mots."On ne comprend pas la politique de délivrance des visas et il est temps que ça change. Les Etats-Unis et le Canada nous délivrent facilement des visas de 6 mois ou un an, mais chez vous, c’est compliqué".

Le consul écoute les récriminations qui s’abattent sur lui et l’institution qu’il représente.
Quand on donne la parole à "l’accusé", Jean Chanson répond point par point aux questions qui lui sont posées. Avec calme et courtoisie. Pour l’essentiel, on retiendra que les refus de visa sont motivés par le manque de justificatifs de revenus des demandeurs et le flou qui entoure souvent les contrats conclus par les artistes burkinabè et les associations ou organisations qui les invitent. "Quand je demande à une association le montant du cachet qu’elle compte verser à l’artiste et que la réponse n’est pas claire, je ne délivre pas le visa", a t-il expliqué. Chat échaudé craignant l’eau chaude, il a expliqué que son devoir est de vérifier la fiabilité des informations qui lui sont fournies avant de délivrer ou pas le visa. Sans être certain de toujours bien décider. Il a ainsi révélé que 50 artistes partis en France pour se produire avec l’engagement de revenir ont fini par demander l’asile politique ! " Au fond, nous essayons de vous protéger en exigeant de ceux qui vous invitent qu’ils vous paient correctement parce qu’ils en ont les moyens. N’acceptez plus qu’on vous garantisse juste le billet d’avion, l’hébergement et la nourriture sur place. Vu le prix des tickets d’entrée des festivals, entre 50 et 100 euros, les organisateurs peuvent bien vous payer correctement. D’ailleurs, notre combat commence à porter ses fruits, a t-il expliqué.
Et si le BBDA pouvait apporter un gage sur les revenus de l’artiste en se fondant sur les droits d’auteur qu’on lui versera ? suggère le DG du BBDA, ce qui réglerait en partie le critère de revenus que certains ne parviennent pas à remplir.
Manifestement de bonne foi, il a confié que le service consulaire n’avait pas toujours les bonnes informations sur les artistes burkinabè. "Nous sommes des fonctionnaires bêtes et disciplinés qui ne connaissent pas la vie culturelle du pays et on ignore les artistes", s’est-il confessé. La salle saisit alors l’occasion pour décrier le fonctionnement du Centre culturel français, le bras technique en matière culturel du dispositif diplomatique français dans les pays africains. Les oreilles de la directrice, Marine Leloup, ont dû siffler hier. "Méprisante, arrogante, discourtoise, sectaire qui ne traite qu’avec ses amis, pressée d’aller à la retraite, etc.", c’est ainsi qu’elle est décrite par de nombreux artistes. Certains confient ne "plus mettre les pieds au CCF à cause d’elle et sa façon de traiter les gens".
Surpris, le consul par le portrait négatif que dressent les artistes de sa collègue diplomate, Jean Chanson suggère au DG du BBDA, d’organiser une rencontre entre elle et les artistes pour aplanir les malentendus, car "c’est le CCF qui nous conseille et nous aide à décider parfois".
Sur les visas américains et canadiens, le consul a expliqué qu’à la différence du visa Schengen qui donne le droit d’accéder automatiquement dans l’espace européen, il n’est pas de même avec du visa américain ou canadien. "Le passager peut-être refoulé à la frontière et c’est même déjà arrivé à des Européens".
Les Burkinabè ont saisi l’occasion pour se parler et se dire aussi des choses pas agréables. "Quand vous prenez l’engament de revenir, revenez et n’essayez pas de rester là-bas", conseille une comédienne. Une autre regrette que ses collègues ne disposent absolument rien de leur carrière : ni press-book, ni de biographie qui permettraient de savoir qui vous êtes.
Le dispositif mis en place pour fixer les rendez-vous par téléphone a aussi été décrié, "une arnaque" aux yeux de certains. Mais pour le consul, c’est le moyen trouvé pour lutter contre la corruption et éviter que des fonctionnaires indélicats monnayent les rendez-vous comme c’est arrivé dans le passé. Il a profité également "rétablir la vérité sur le taux de délivrance de visas, puis qu’en 2016, seulement 9% des demandes ont été refusées".

Joachim Vokouma
Kaceto.net