Le train qui rallie les capitales Abidjan et Ouagadougou est plus qu’un simple moyen de transport. A bord de Sitarail, le voyage prend les allures d’une vraie aventure avec des surprises et des imprévus. Récit. Suite et fin.

La gare de Ferkéssédougou est le point de croisement du train en provenance de Ouaga et de celui parti d’Abidjan. La voie étant unique, c’est ici et pas ailleurs qu’ils doivent donc se croiser. A notre arrivée, le train parti de Ouaga étant déjà en gare. Les mécanos avaient eu le temps de faire les vérifications nécessaires sur la locomotive. L’équipage à bord était déjà prêt à reprendre la direction inverse. A notre tour d’attendre que les mêmes réglages soient effectués. Pas moins d’une heure pour resserrer les boulons, remettre de l’huile là où il faut et s’assurer que l’éclairage fonctionne correctement. Même à une heure très avancée de la nuit, des gamines ont accouru à l’arrivée du train pour proposer des marchandises. J’interpelle une d’elle : « Tu ne vas pas à l’école demain ? » « Non, c’est mercredi et y a pas école ». Elle m’explique que sa grande sœur faisait pareil et « après elle s’est mariée avec un monsieur à Abidjan ».
L’attente n’a pas été très longue. Une voix annonce que « c’est terminé, on peut partir ». Les passagers reprennent leurs places. La locomotive gronde. Le paysage défile à nouveau. Dans le train, on croise des travailleurs habillés en blues couleur organe. Leur mission est de vérifier que les couloirs sont bien dégagés, que des objets ne trainent ni dans les allées, ni sur les plateformes. Ce sont eux aussi qui avaient chargé les marchandises dans les wagons au départ d’Abidjan.
C’est l’équipage burkinabè qui est désormais de service. Un monsieur a pris la place de la dame commise à la « vidéo ». Dès qu’il est monté, il a coupé net la télé. Le calme règne dans la voiture. Presque tout le monde roupille.
A 2h36 du matin, on arrive à Ouangolo. Contrôle de police. L’information avait été donnée dans le train par mégaphone. Une simple opération qui ne devrait en principe pas prendre du temps. Mais aussi surprenant que cela puisse paraitre, il se trouve des passagers qui voyagent sans un document officiel : ni pièce d’identité, ni carte consulaire encore moins un passeport. Certains n’ont qu’un acte de naissance ou une pièce d’identité périmée. Dans la lutte contre l’insécurité, voilà qui ne facilite pas le travail des forces de sécurité et de défense. La police regroupe ceux qui sont en infraction. Se forme alors un attroupement qui suscite ma curiosité. Je vais pour voir ce qui s’y passe. Un policier remarque ma présence et me demande sur un ton inamical : « Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous avez un problème ? Vous avez votre pièce ici ? On vous a appelé ? ». Surpris par la rafale de questions, je bafouille : « Non, je n’ai pas de problème. J’ai vu qu’il y avait un attroupement, donc je suis venu voir ». « Alors, il faut partir d’ici. Circulez ! », ordonne t-il. Je m’éloigne, mais pas trop. Je rode dans les parages. Quelque temps après, les policiers se dirigent vers le poste, accompagnés des passagers en infraction. Celui qui vient de me chasser est derrière. Je m’approche de lui et lui demande ce qui se passe. « C’est encore vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? », visiblement agacé. Puis, il sur un air très sérieux, me questionne : « Qu’est-ce que vous êtes allé faire en Côte d’Ivoire ? Quel est votre métier ? ». Je réponds que j’étais allé couvrir le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), organisé par le groupe Magic System en tant que journaliste. Miracle. Mon interlocuteur devient très aimable et souriant.
Tout relaxe, il m’explique les soucis que posent certains passagers. « Régulièrement, on tombe sur des gens qui n’ont pas pièces d’identité avec eux ; quant ils en ont, elles ne sont plus aux normes, c’est-à-dire biométriques. Or, suite aux attentats de Bamako, Ouaga et Bassam, les ministres de l’Intérieur des pays membres de l’Uemoa ont décidé que seules les cartes d’identité biométriques étaient désormais valables. On n’a pas donné le temps aux gens de se mettre en règle, et si nous voulons à tout prix appliquer cette mesure, on refoulerait au moins 300 personnes à chaque contrôle dans le train ». Les ministres en charge de la Sécurité doivent donc revoir leur copie. Sur le terrain, comme dit le policier, cette décision n’est pas applicable. Il aborde ensuite le décès brutal de Papa Wemba alors qu’il se produisait sur la sur la scène du Femua. Il veut savoir comment ça s’est passé. Mais le signal sonore vient de retentir. Je lui dis que ça s’est passé comme il a entendu à la radio et vu les images à la télé. Il est 3h30mn quand le conducteur met la machine en marche. Si le jour, on apprécie bien la clim, la nuit, la voiture se transforme en chambre froide. L’ennui est qu’on ne peut pas moduler la température. « La dernière fois qu’on a voulu régler, c’est tombé en panne ; donc on ne touche pas », m’explique un agent. Il reste quelques km pour quitter le territoire ivoire ivoirien. La ville frontière, Niangoloko n’est plus loin. A 4h44, on y est. L’escale va durer ici plus d’1h30. La douane burkinabè doit faire son travail : contrôler les bagages et débusquer les marchandises dissimulées, traquer les commerçants qui ne veulent pas payer les droits de douanes. Une dizaine de sacs sont sortis des wagons marchandises et posés à terre. Des douaniers les inspectent pendant que leurs collègues passent au peigne-fin les bagages des passagers. Ils en ont l’habitude et savent que les tricheurs ne manquent pas d’imagination pour passer entre les mailles de leurs filets.
Pendant ce temps, des passagers, visiblement des habitués, ont pris d’assaut un maquis non loin de la gare. A cette heure matinale, la bière coule quand même à flots. Un appareil crache du couper-décaler. On vend aussi des brochettes, des poulets rôtis, du poisson grillé ou fumé, mais aussi de grosses portions de cola et des fringues en bazin ou en coton. On ne voit pas le temps passer.
Enfin, on repart. L’horloge indique 5h57mn. Un peu plus d’une heure après, nous arrivons à Banfora, la cité du paysan noir. Les passagers ont eu à peine le temps d’acheter des mangues que le signal retentit. Seulement trois petites minutes d’arrêt. Je photographie les belles mangues que de jeunes filles me proposent. Un policier se précipite vers moi et m’intime l’ordre d’effacer le cliché. « C’est formellement interdit de prendre des photos ; si on vous prend ailleurs, vous allez payer une amande ». Je m’exécute. J’aurais dû le savoir. C’est évident quand-même : photographier des fruits vendus en bordure de la gare ferroviaire et les diffuser peut mettre la ville de Banfora en danger. Voire tout le Burkina !
Pour moi, c’est l’avant dernière escale, ma destination étant Bobo. De la fenêtre, je constate, attristé, une quantité de mangues pourrissant sur plusieurs km. Un gâchis ! Avec, parait-il une bonne avance, le train entre en garde de Bobo à 9h30mn. Un porteur vient me proposer ses services. Je n’ai pas eu le temps de marchander le prix que mon bagage est déjà sur son épaule.
Comparativement aux transports routiers, le train Abidjan-Ouaga offre certainement de meilleures garanties de sécurité pour le passager. Il faut juste avoir le temps, être patient et endurer plus de 24 heures de voyage. Pour ceux qui ont l’estomac fragile, prévoir de quoi se nourrir.

Sur l’esplanade de la garde Bobo où m’attendaient des amis, des étudiants de l’université Polytechnique manifestent contre la suspension des prestations sociales par le directeur du Cenou. Quelques jours avant, une séance d’explication entre eux et les responsables des œuvres universitaires a tourné au vinaigre. Résultats, des véhicules et motos endommagés.
Aux dernières nouvelles, la situation ne s’est pas arrangée. Privés de nourriture, les étudiants se sont organisés et font eux-mêmes à manger. A la manière des Kolkhozes du temps des Bolchéviques ! C’est ce que m’a confié un ami, contraint d’héberger chez lui le fils d’un parent.

Joachim Vokouma
Kaceto.net