Un ministre tombé en disgrâce, une ancienne députée, des journalistes de la télévision d’Etat détenus ... En Gambie à l’approche de l’élection présidentielle les arrestations visent non seulement l’opposition, mais aussi tous les suspects de déloyauté ou de tiédeur envers le pouvoir.

Candidat à un cinquième mandat, le président Yahya Jammeh, qui dirige d’une main de fer depuis 1994 ce petit Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest enclavé dans le territoire du Sénégal, hormis sa façade Atlantique, a appelé à une élection libre, à l’ouverture de la campagne pour le scrutin du 1er décembre.

Mais l’opposition, exceptionnellement rassemblée autour d’un candidat unique, Adama Barrow, et qui entrevoit pour la première fois depuis de nombreuses années l’éventualité d’un succès, et les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent un climat d’intimidation.

Jainaba Bah, épouse de l’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Mamadou Sajo Jallow, détenu depuis septembre et privé d’accès à son avocat, dit n’avoir toujours reçu aucune explication à l’arrestation de son mari.

"Mon avis personnel est qu’il a été arrêté parce que j’ai annoncé mon soutien au Parti démocratique unifié (UDP)", principale formation de l’opposition, a-t-elle déclaré à l’AFP, jointe à partir de Banjul, en Suède, où elle a fui.

"Je n’en dors plus", a-t-elle confié, évoquant les allégations de tortures et de mauvais traitements commis dans les prisons gambienne, en particulier dans celle de Mile Two, où son mari, ancien ambassadeur auprès de l’Union africaine, est détenu.

Selon Isatou Touray, militante des droits des femmes et membre de la coalition de l’opposition, des disgrâces aussi brutales et inexpliquées sont monnaie courante en Gambie.

"C’est la règle sous le régime Jammeh. On ne peut jamais prévoir si un ministre sera toujours là dans trois mois, ou même dans trois jours", a-t-elle affirmé lors d’un meeting électoral la semaine dernière, dénonçant un exercice solitaire du pouvoir.

Les autorités gambiennes, sollicitées par l’AFP, n’ont pas réagi à ces accusations.

 Changement d’atmosphère -

Les responsables politiques qui prennent leurs distances avec le régime le font à leurs risques et périls, notamment ceux qui ont rejoint la formation créée par Mama Kandeh, lui aussi candidat à l’élection présidentielle face à MM. Jammeh et Barrow, et qui regroupe essentiellement des déçus du parti au pouvoir.

Tina Faal, ancienne députée nommée au Parlement par le chef de l’Etat dans la précédente législature, a ainsi été détenue sans explication pendant trois semaines en août alors qu’elle avait obtenu une liberté sous caution dans une affaire distincte de droit commun.

Même les médias du régime ne sont pas à l’abri.

Le directeur général de la radiotélévision d’Etat GRTS, Momodou Sabally, et le correspondant de la chaîne pour les questions agricoles Bakary Fatty, ont ainsi été arrêtés le 8 novembre par l’Agence nationale du renseignement (NIA).

Selon des militants des droits de l’Homme, il leur est reproché d’avoir retransmis des images de l’opposition au moment de la diffusion prévue d’un sujet sur un projet agricole lancé par l’épouse du président Jammeh.

M. Sabally a été inculpé la semaine dernière de "crime économique", manquement à un devoir officiel, abus de fonction et diffusion de fausse nouvelle.

Malgré la menace permanente d’arrestations, les langues se délient depuis des manifestations en avril pour réclamer des réformes politiques, puis la mort en détention d’un des manifestants, l’opposant Solo Sandeng.

Le chef de l’UDP, Ousainou Darboe, et une trentaine de co-accusés ont été condamnés en juillet à trois ans de prison ferme pour participation à un rassemblement illégal.

"Notre dirigeant Ousainou Darboe a été arrêté à quelques mètres d’ici", indique un jeune homme portant ostensiblement un T-shirt aux couleurs de l’opposition, près d’une mosquée à Banjul. "Beaucoup vont s’inquiéter que je sois arrêté, mais je ne m’en soucie plus", assure-t-il.

AFP