Depuis 2012, l’Association des Burkinabè de Lyon organisent un forum consacré au développement durable sur le continent africain. Cette année, la troisième édition coïncidait avec les négociations de la COP22 qui se sont déroulées à Marrakech.
Retour sur les grands moments de ce rendez-vous citoyen, désormais inscrit dans l’agenda des décideurs politiques, les chefs d’entreprises et les militants associatifs de la région Rhône-Alpes

« Evidemment, les aléas politiques font peser des incertitudes sur les positions de tel ou tel pays, mais voilà il y a 195 pays qui ont dit ‘’nous, on continue’’. Et puis ça a été accompagné de déclarations de beaucoup d’entreprises, d’abord à Marrakech, mais aussi plus généralement d’entreprises mondiales. Je crois que les villes et les régions ont aussi réaffirmé leur soutien à l’accord de Paris ». Faisant le bilan des négociations de la COP22 qui s’est déroulée en novembre dernier à Marrakech, au Maroc, l’ambassadrice de l’ONU en charge des questions climatiques, Laurence Tubiana évite de tomber dans l’enthousiasme facile. Elle sait que sous la pression de grandes entreprises, de nombreux pays, notamment la Chine, les Etats-Unis et bien d’autres pays émergents rechignent à mettre en place une vraie politique de lutte contre le réchauffement climatique. Mais qu’une grande majorité de pays se soient formellement engagés à combattre les émissions de gaz à effet de serre montre qu’une conscience écologique mondiale a vu le jour, résultat d’actions conjuguées de personnalités politiques et d’organisations citoyennes.
L’association des Burkinabè de Lyon (ABL) peut revendiquer sa modeste part dans ce résultat à travers le Forum économique de développement durable en Afrique (FEDDA) qu’elle organise depuis 2012. La troisième édition de ce rendez-vous biannuel s’est déroulée du 9 au 12 novembre dernier, pratiquement en même temps que les négociations de la Copp22 qui se sont étalées du 7 au 18 du même mois. Sous le thème, « innovations et développement durable ; quels nouveaux défis pour l’Afrique ? », universitaires, étudiants, chefs d’entreprises, militants associatifs, élus locaux, etc., ont planché sur divers thèmes, allant de « femmes et développement durable », aux « opportunités d’affaires en Afrique » en passant par « l’économie sociale et solidaire ».

Dans un exposant fort brillant, l’économiste François Kaboré, par ailleurs directeur du Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP-IDDH) basé à Abidjan, a montré que l’innovation et le climat des affaires étaient déterminants dans les performances économiques des pays ou des entreprises. L’Afrique a les atouts nécessaires pour amorcer son développement. D’ici 2035, elle aura la plus grande population active de l’histoire de l’humanité, avec plus de 50% de sa population qui aura au plus 20 ans ; des ressources naturelles abondantes : hydrocarbures, diamant, bauxite, colton, platinium, cobalt, chronium, etc.
Reste à améliorer le climat des affaires, en réduisant par exemple le temps nécessaire pour monter une affaire, le délai pour être raccordé à l’électricité, la garantie du droit à la propriété, la fiabilité du système judiciaire dans le règlement des litiges, le respect du droit des actionnaires minoritaires dans les transactions et la simplification des formalités douanières.
Définissant l’innovation comme un nouveau produit, un changement qualitatif d’un produit existant, un nouveau marché ou les changements décidés dans l’organisation du travail, il a insisté sur le fait que l’innovation était véritablement le moteur de la croissance. Quant à l’entrepreneur, il est selon lui, celui qui prend des risques, et à la différence de l’imitateur, innove. Certes, sur le continent, des millions d’hommes et de femmes entreprennent et innovent, mais leur nombre atteint-il une taille critique à même de créer assez de richesses et d’impulser le développement ? Autrement dit, la qualité des ressources humaines n’est-elle inversement proportionnelle à celle des ressources naturelles ? Le débat est ouvert.

Pour cette édition du FEDDA, c’est l’Ethiopie qui était le pays invité d’honneur, un choix dicté, selon la présidente du comité d’organisation Myriam Yelkouni, par ailleurs secrétaire générale de l’ABL, par le fait que « son économie figure parmi les plus performantes d’Afrique ». (Voir interview ci-contre). Les participants ont d’ailleurs eu droit à un exposé historique et économique complet sur l’Ethiopie, présenté par le conseiller économique à l’ambassade de l’Ethiopie à Paris, Tesfakiros Gebretsadik. On a ainsi appris que « l’Éthiopie est évoquée dans la Bible pour désigner les territoires au sud de l’Égypte », un « nom qui s’est ensuite appliqué aux hautes terres de la Corne de l’Afrique, depuis qu’un royaume, centré sur la cité d’Axoum, se l’est approprié après avoir adopté le christianisme au IVème siècle ». Quant à la construction de l’état moderne de ce pays jamais colonisé, elle est passée par une monarchie constitutionnelle (1930-1974), une révolution marxiste (1974-1991) et enfin un système fédéraliste ethnique depuis 1991. Au moins une centaine de langues sont parlées en Éthiopie, certaines comptant moins de 10 000 locuteurs. La majorité des langues appartiennent aux groupes linguistiques afro-asiatiques (sémite, couchitique, omotique) ou nilo-sahariennes.

Toujours selon le diplomate, au plan économique, « l’économie éthiopienne a progressé de 10.3 %, devenant ainsi l’une des plus performantes d’Afrique entre 2013 et 2014. Pendant 12 ans, la croissance a été en moyenne de 11 %, soit la plus rapide pour un pays non producteur de pétrole ». Avec une espérance de vie à 59,2 ans et un taux de scolarisation au secondaire à 38%, l’Ethiopie demeure cependant un pays parmi les plus pauvres avec un PIB par habitant de 550 dollars US et est classé 174e/187 dans l’IDH du Pnud.
Depuis 2010, l’Ethiopie a entrepris un vaste programme de renforcement des infrastructures de base, notamment l’électricité, les télécoms et les transports. Ses principaux partenaires économiques et financiers sont la Banque mondiale (955 M USD), les États- Unis (619 M USD), le Royaume-Uni (515 M USD). La France est le 15e donateur bilatéral en Aide publique au développement (APD) en 2013 (47,5 M USD). Avec un montant de 745 M€, l’Europe est également très présente en Éthiopie, cette dernière étant le premier pays bénéficiaire du 11ème Fonds européen de développement (FED, 2015-2020).
Connue pour ses athlètes de haut niveau, la l’Ethiopie est en train de transformer de fond en comble son économie. Dans la capitale, Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, les hôtels haut de gamme poussent comme des champignons, tandis que vingt universités seraient en construction. En 2015, l’Éthiopie a été élue la « meilleure destination touristique au monde » par le Conseil européen du tourisme et du commerce, et figure parmi les 31 candidats, qualifié de « destination culturelle parfaite », en raison les efforts de protection des sites historiques, culturels et religieux, comme celui de Lalibela.
Peuplé de 94 millions d’habitants, l’Ethiopie entretient des relations de coopération décentralisée avec la ville de Lyon, principalement dans les domaines de la planification urbaine, la collecte et le traitement des déchets, le développement durable et les échanges universitaires. Bref, c’est le visage d’une Ethiopie moderne, dynamique, offrant des opportunités d’investissements que le diplomate s’est employé à montrer.
Les débats, forts riches qui sont suivis chaque exposé, et l’intérêt des participants dans les ateliers montrent que le FEDDA constitue bien un cadre pertinent pour débattre des enjeux économiques, politiques et culturels du futur.
Rendez-vous en 2018 pour la quatrième édition

Joachim Vokouma
Kaceto.net

Militante active de l’Association des Burkinabè de Lyon (ABL), Myriam Yelkouni est la cheville ouvrière dans l’organisation du Forum économique et de développement durable en Afrique (FEDDA), une des manifestations organisées par l’ABL, en plus des Journées culturelles du Burkina.
Dans l’interview qui suit, elle dresse un bilan de la troisième édition qui s’est déroulée du 9 au 12 novembre 2016 et apprécie l’engagement de la diaspora dans le combat pour le développement durable sur le contient

Quel bilan pouvez-vous faire de la troisième édition du FEDDA que l’ABL a organisée début novembre ?

Le bilan que nous tirons de cette édition 2016 est assez positif du point de vue de l’organisation, de la satisfaction des participants et de leur nombre. Nous avons réussi d’une part, à toucher les cibles visées, à savoir les entreprises, les chercheurs, les étudiants, des porteurs de projets et des responsables d’associations. D’autre part, sur l’ensemble de la manifestation, le FEDDA a accueilli environ 90 personnes aux conférences du matin et aux ateliers de l’après midi.
Nous regrettons cependant ne n’avoir pas pu présenter cette année le concours business plan pour la simple raison que nous avons reçu très peu de dossiers respectant le cahier de charge du concours.
Je remercie nos partenaires qui nous soutiennent, notamment le Grand Lyon qui a inscrit le FEDDA par ses priorités cette année à travers le nouveau Réseau ONLY AFRICA. Je n’oublie pas le partenariat tissé avec l’Institut international pour la Francophonie qui a été riche et fructueux.

Cette année, c’est l’Ethiopie qui était le pays invité d’honneur. Pourquoi ce choix et que présente de particulier ce pays qui est plus connu du grand public par ses athlètes que par ses performances économiques ?

Pour plusieurs raisons. En plein essor économique, le PIB de l’Ethiopie est estimé en 2015 à 54,8 Milliards USD avec un taux de croissance avoisinant 8,7% en 2016. Son économie figure parmi les plus performantes d’Afrique. Pays non producteur de pétrole, sa croissance a conservé la moyenne de 11% sur douze ans. L’Union européenne, le Koweït, la Somalie, l’Arabie Saoudite et la Chine constituent ses principaux partenaires économiques et elle entretient d’excellentes relations économiques avec la France. Au cours de l’année 2013, les exportations de la France vers l’Ethiopie ont été évaluées à 179 millions d’euros et les importations françaises depuis l’Ethiopie à 37,8 millions d’euros.
A l’instar de nombreux autres pays du continent, l’agriculture, la pêche, la chasse et la foresterie occupent une place importante dans la vie économique de l’Ethiopie. L’agriculture représente 41% du PIB et 60% des exportations. Peu industrialisée, l’Ethiopie œuvre aujourd’hui pour le développement de son secteur énergétique, l’essor de son secteur industriel, le développement d’infrastructures de transports et des télécommunications. Le commerce et l’immobilier ne sont pas en reste dans l’ordre des opportunités à saisir.
Pour nous, le FEDDA offrait une occasion de bien découvrir les opportunités d’affaires qu’offre ce pays, par ailleurs une des meilleures destinations touristiques et culturelles du monde !

Avez-vous le sentiment au fil des ans que la problématique du développement durable est désormais prise en compte dans les choix économiques des pays africains ?

L’Afrique est le continent où la population se développe le plus rapidement. Les aspects de développement durable préoccupent tous les continents, et l’Afrique n’est pas en reste. De multiples initiatives sont mises en place par les villes pour faire face aux besoins des populations, notamment celles liées à l’énergie propre et accessible au plus grand nombre. Malgré le potentiel qu’offrent les ressources énergétiques abondantes, de nombreux pays doivent encore créer un environnement propice aux investissements pour le développement de ce secteur.
On peut noter également les progrès en matière d’agriculture « intelligente » visant une production agricole durable, de grande envergure et qui, dans le même temps, vise à réduire les effets néfastes du changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, au fil des ans, le secteur de l’éducation en Afrique a enregistré des améliorations régulières. Le niveau des dépenses publiques et privées consacrées à ce secteur vital par habitant a augmenté. C’est la preuve que l’éducation est érigée au rang de priorité par les pays africains. Globalement, il est indéniable que des progrès ont été réalisés en termes de développement durable, mais les efforts doivent être encore faits pour améliorer les conditions de vie des populations sans pour autant hypothéquer l’avenir des générations futures.

Dans votre discours d’ouverture, vous avez déclaré que le FEDDA visait entre autres, à « créer un cadre de développement de carrières, d’entrepreneuriat et de formation professionnelle adaptée pour de jeunes diplômés et professionnels ayant des projets avancés pour l’Afrique, qu’ils soient d’origine africaine ou non ». Selon vous, les entreprises jouent-elles vraiment le jeu à travers le FEDDA ?

Oui, elles jouent le jeu. Un des objectifs du FEDDA est de favoriser l’épanouissement professionnel des participants, qu’ils soient étudiants, stagiaires, demandeurs d’emploi, porteurs de projets ou chefs d’entreprises. D’une part, le FEDDA crée un cadre de développement des carrières et de d’entreprenariat à travers le concours de business plan. Participer à ce concours permet à un porteur de projet (futur chef d’entreprise ou des étudiants et chercheurs en fin de cycle) de mettre en lumière son projet devant un jury composé de professionnels et des chefs d’entreprises. D’autre part, une nouvelle initiative a été lancée cette année à travers des offres d’emploi proposées par des entreprises et diffusées sur le site du FEDDA. En trois éditions, l’affluence des entreprises a été d’une croissance constante, même si le nombre d’entreprises présentes n’atteint pas toujours les objectifs que nous nous fixons. Nous souhaitons voir un plus grand nombre d’entreprises participer au FEDDA, qui est le lieu où elles peuvent avoir des informations sur les axes d’investissement en Afrique et le cadre juridique des affaires. Des rendez-vous B to B leur permettront de rencontrer des partenaires potentiels installés en Afrique.

Plusieurs thèmes ont été traités lors au cours du FEDDA : francophonie, innovations technologiques, femme et développement durable, etc. Quel est celui qui a le plus intéressé les participants ?

Pour cette édition, nous avons tous été agréablement surpris par la pertinence et la qualité des différents intervenants qui ont su tenir le public en haleine et suscité beaucoup de questionnements. Cela témoigne de l’intérêt qu’ils ont pour ce rendez-vous biannuel, et chacun étant bien entendu venu avec des objectifs particuliers, il est fort difficile d’accorder plus d’importance à un thème qu’à un autre. Il faut toutefois reconnaitre que les thèmes, « Comment l’innovation technologique peut-elle booster le milieu des affaires en Afrique ? » et « Ingénierie et innovations frugales : cas de pays francophone » ont suscité une adhésion particulière en ce qu’ils apportaient un plus dans les stratégies de mise en œuvre des jeunes porteurs de projets.

L’ABL continue-t-elle de bénéficier du soutien des pouvoirs locaux dans l’organisation de ses manifestations ?

L’ABL a prouvé son sérieux dans la gestion et l’organisation de ses évènements et aujourd’hui, notre association est reconnue dans la région comme une des associations les plus dynamiques. Elle bénéficie du soutien du Grand Lyon et cette année le FEDDA est inscrit dans le programme ONLY AFRICA (voir http://www.economie.grandlyon.com/fileadmin/user_upload/fichiers/site_eco/20161020_glonlyafrica_semaine_afrique_lyon_programme.pdf).

Il était prévu un tournoi de football, qui a été finalement annulé. Pourquoi ?

C’est exact ! Un autre objectif du FEDDA est également de participer à l’épanouissement et au bien-être de nos compatriotes burkinabè et de nos frères des autres pays, et le sport peut y contribuer. Comme à chaque édition, nous organisons un tournoi de foot, une mini Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui est très disputée. Malheureusement, cette année le week-end du 12 novembre était très chargé en activités sportives dans la ville de Lyon et ses alentours. Il nous a été difficile d’obtenir des terrains permettant l’organisation du tournoi dans les meilleures conditions.

Comment appréciez-vous la participation de la diaspora africaine et burkinabè lors de vos manifestations ?

Comme je le disais précédemment, le FEDDA est de plus en plus reconnu au niveau local. Cette reconnaissance se lit au niveau des pouvoirs publics, mais également de la diaspora africaine notamment par le biais d’Africa50, qui est partenaire du FEDDA. L’affluence de plus en plus importante des participants témoigne de l’engouement grandissant pour le FEDDA, et notamment de la diaspora. Lors des prochaines éditions, nous espérons une plus grande participation de la diaspora et des Burkinabé en particulier. Les personnes ayant des projets d’entreprenariat pourront les chalenger et pourquoi pas, décrocher des soutiens de nos partenaires. Les étudiants et les personnes à la recherche d’emploi pourront rencontrer des chefs d’entreprises et leur faire part de leur projet professionnel. Enfin, nous invitons les chefs d’entreprise burkinabé et de la diaspora à venir rencontrer des partenaires dans le cadre de leurs projets en Afrique.

Propos recueillis par Joachim Vokouma