Non respect des feux de signalisation, tabassage d’enseignants et de personnel pédagogique dans les établissements scolaires, dégradation des biens publics, défiance de l’autorité de l’Etat, etc., les actes d’incivisme ont atteint un niveau inquiétant ces dernières années dans notre pays. Comment y remédier ? La réponse incombe bien entendu à L’Etat, mais aussi aux organisations sociales (syndicats, associations) et à l’armée. L’auteur du texte ci-contre s’intéresse au rôle de cette dernière dans la formation du citoyen burkinabè.

Point n’est besoin de discourir ici sur la nation. Chacun a, à peu près, son idée sur la notion. Retenons tout simplement qu’elle est une communauté d’hommes liés par l’histoire, des valeurs partagées et un destin commun. Le Burkina Faso, nonobstant son hétérogénéité ethnique, est une nation. Elle est une nation, mais une nation bien jeune et bien précaire. La nation burkinabé se doit de devenir plus forte, plus cohérente, plus pérenne. Le territoire-même qui l’abrite n’a point encore atteint son centenaire. Créé en 1919, il sera dissout en 1932, puis reconstitué dans ses frontières actuelles en 1947. Il accède ensuite à souveraineté en 1960.
Ainsi, cinquante-six ans d’histoire plus ou moins tumultueuse, selon les périodes, nous lient. Les mêmes symboles nous relient. Nous partageons le même présent, et nous nous projetons dans le même avenir. Mais, tout est encore fragile.
Aussi, chaque génération de Burkinabé se doit de cultiver les valeurs nationales, pour les transmettre, en même temps que le drapeau, à la génération suivante, qu’elle aura éduquée, instruite et formée. Ce processus, de renforcement et de pérennisation de la nation, est l’œuvre de chacun, mais, il est plus essentiellement du ressort des regroupements sociaux et de certaines institutions de l’Etat qui portent notre volonté commune. Parmi ces acteurs, on peut citer : les associations laïques ou religieuses, les syndicats, les partis politiques, l’Ecole et l’Armée nationale. Nous optons ici de jeter un regard sur la contribution des forces armées burkinabé au développement du civisme dans la notre pays.

L’Armée et ses missions dans la République
L’Armée, c’est la grande muette, dit-on bien. Mais, la coutume du silence ne concerne que ses données stratégiques et non ses missions républicaines. En règle générale, ces missions sont les mêmes dans toutes les républiques du monde. On peut en citer les principales :
-défendre le territoire national contre les agressions extérieures
 assurer l’ordre et la sécurité intérieurs en cas d’état d’urgence
 protéger les institutions de la République
 participer à des opérations internationales de maintien de la paix dans le monde
-contribuer au développement social et économique du pays
 contribuer à la formation de l’homme burkinabé
L’Armée contribue donc à la formation de l’homme. Mais, la face la plus connue de l’Armée est ce que Karl Marx en dit au dix-neuvième siècle. En effet, l’Armée est essentiellement l’appareil répressif d’Etat ; elle est la force publique qui, avec les forces paramilitaires, permet à l’Etat de détenir le monopole de la violence légale, comme le dirait Max Weber. L’autre face de l’Armée est nettement moins visible. Pourtant, l’Armée participe aussi à ce que Marx appelle l’appareil idéologique d’Etat qui comprend classiquement : les institutions éducatives, les médias d’Etat et toutes les structures qui véhiculent des idées et des valeurs morales publiques.

L’Armée, une école au service de la Nation
Bien sûr, tout militaire, s’il en a le profil, peut être utilisé par l’Etat, à des fins éducatives, comme à des fins de recherche, de santé publique ou de génie. Ici, il ne s’agit pas de cela. Pour bien comprendre alors ce dont il est question, il faut revenir à la notion de « citoyen burkinabé ». Posons- nous la question suivante : que doit-être l’homme burkinabé type ?
*L’homme burkinabé type, est d’abord porteur, des valeurs physiques idéales. Une nation forte, c’est une nation d’hommes et de femmes athlétiques et endurants. Construire l’homme commence donc par la culture physique et c’est ce que fait l’Ecole. Mais on sait aussi que l’Armée apporte une grande contribution. Elle assure la culture physique de tous les Burkinabés appelés dans les écoles militaires ou paramilitaires, en vue d’une carrière dans les forces de défense, de sécurité et de douane. Bien sûr, tous les Burkinabé n’optent pas pour ces métiers. Cependant, ils ont tous l’obligation constitutionnelle, sauf en cas de dispense, d’être appelés sous le drapeau pour y recevoir la culture physique du burkinabé type. Vous remarquerez alors avec moi, qu’après les temps du contingent spécial des scolaires de dix-huit ans, du service national populaire -SNP-, l’appelé sous le drapeau n’assure plus qu’un service civil dénommé service national pour le développement -SNP- ; il ne reçoit donc plus la culture physique du burkinabé type.
*L’homme burkinabé type, c’est ensuite ce citoyen qui a capitalisé le savoir et le savoir-faire nécessaires à sa participation au développement du pays. L’école est là pour les lui fournir, mais, en théorie, l’armée est elle aussi là pour accomplir une part de cette mission. Pendant cette période où le citoyen est sous le drapeau, il y reçoit le savoir et le savoir-faire militaire dans l’optique de devenir un des soldats de réserve de la Nation. Il peut aussi y recevoir des savoirs scientifiques et technologiques, dans le cas où l’école classique ne les lui a pas fournis - cela va de l’alphabétisation à la formation professionnelle-.
*L’homme burkinabé type, c’est en fin ce citoyen qui incarne des valeurs de vie, un savoir-être, une personnalité morale. L’Armée n’a pas l’exclusivité de les lui donner. La culture morale, éthique et civique est d’abord l’affaire des familles, des associations laïques ou religieuses, des organisations professionnelles, de l’école. L’armée n’intervient que dans l’optique de renforcer et d’éprouver tout ce que le jeune burkinabé aura appris dans la société. Elle insiste sur des valeurs spécifiques comme : le respect des symboles de la Nation ; le patriotisme ; le respect de la hiérarchie ; la discipline ; la solidarité de groupe ; l’esprit de groupe et de troupe ; le volontariat et l’esprit de sacrifice ; le courage, l’audace, l’humilité etc…
Sur la base de ces éléments, il reste alors à voir si tous les moyens sont donnés à notre armée pour faire face à cette mission nationale d’éducation, d’instruction, et de formation de l’homme burkinabé.
Ces dernières années, l’incivisme est monté en flèche au Faso. Beaucoup d’encre et de salive ont alors coulées. On a pointé du doigt, les familles, l’école et les enseignants. Mais, on a bien souvent oublié de dire que les difficulté financières ont conduit la Nation à la suppression d’un maillon principal du processus d’édification de l’homme burkinabé. Ce constat, nous le referons dans une réflexion très prochaine qui se chargera de prospecter les possibilités de rétablissement d’un service militaire réel des jeunes, avant leur entrée dans la vie active.

Zassi Goro,
Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.