Le franc CFA est la monnaie utilisée par quatorze (14) pays d’Afrique occidentale et centrale que sont : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, la République Centrafricaine, la République du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo. A ces pays s’ajoutent Les Comores.

Cette monnaie est un héritage de la colonisation française. A l’origine, « Franc CFA » signifiait « Franc des Colonies Françaises d’Afrique. De nos jours, « CFA » signifie « Coopération Financière d’Afrique » pour la zone franc d’Afrique centrale (CEMAC) et « Communauté Financière d’Afrique » pour la zone franc d’Afrique de l’Ouest (UEMOA).
Créée en 1945 par la France, elle est officiellement destinée à garantir aux Etats d’Afrique Noire issus des anciennes colonies une stabilité monétaire, hier par rapport au franc français et aujourd’hui à l’euro. Mais, ces pays ont l’obligation de déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations, polémiques et contestations.

Il faut dire que les débats sur le franc CFA sont anciens. Depuis sa création, il y a toujours eu des échanges et des prises de position polémiques entre ses partisans et ses adversaires. Toutefois, ces derniers temps, il y a comme une ébullition socio-politico-médiatique autour de ce sujet. Aussi, j’ai voulu regarder l’évolution des enjeux structurants de ces débats en analysant trois corpus pertinents et significatifs de titres de presse francophone en ligne couvrant les périodes suivantes : 2009-2011, 2012-2014 et 2015-2017.

L’analyse des trois corpus de titres m’a permis d’identifier sept thématiques structurant les débats autour du franc CFA :
• « Dévaluation » du franc CFA
• « Abolition, l’abandon, sortie » du franc CFA
• « Arrimage (au franc français puis à l’euro), maintien, réforme » du franc CFA
• « Colonisation, Françafrique, servitude »
• « Problèmes » (difficultés, freins, inconvénients…), drame, nocivité, désuétude » du franc FCA ;
• « Avenir » du franc CFA
• « Rassemblements, mobilisations, manifestations, front… contre » le franc CFA.

N.B. : les chiffres entre parenthèses sur les graphes et le tableau ci-après indiquent les fréquences de cooccurrences).

Les graphes relationnels N°1 et N°2 révèlent que sur les périodes 2009-2011 et 2012-2014, deux thématiques ont été les plus saillantes : celle notamment de la « dévaluation » du franc CFA et celle de la souveraineté dont les références à la « colonisation, à la « Françafrique » et à la « servitude monétaire » en particulier en sont révélatrices. Il y a lieu ici de rappeler simplement que le 11 janvier 1994, le gouvernement français d’Edouard Balladur décidait de façon unilatérale de dévaluer de moitié le franc CFA. Cette dévaluation avait brutalement fait chuter le pouvoir d’achat des Africains de la zone franc CFA et ils en gardent un mauvais souvenir. D’autant plus que le spectre d’une nouvelle dévaluation « imposée » du dehors par la France continue de hanter les esprits, au rythme des secousses économico-financières en zone euro.

Le graphe relationnel N°3 concernant la période 2015-2017 révèle clairement un tournant marqué par une radicalisation, une ébullition dans les discours et les actions autour du franc CFA. Monnaie héritée de la colonisation française, monnaie qualifiée de « d’outil de la servitude volontaire » (Kako Nubupko, France24 le 14/12/2016), monnaie dévaluée et toujours sujette à « dévaluation », le franc CFA est plus que jamais sous le feu de vives critiques et contestations. Cette monnaie est désormais accusée d’être LA source de nombreux « problèmes » : frein au développement de l’Afrique, « drame » pour l’économie africaine, « nocive » pour les Etats africains, perçue comme un mécanisme « désuet »… Dès lors, la question de son « avenir » n’est plus taboue et est posée de façon insistante. Elle est comme sur toutes les lèvres. En Afrique et au sein de la diaspora africaine en Europe notamment, s’élèvent des voix de politiciens, d’intellectuels, d’artistes et d’
organisations de la société civile qui se mobilisent, s’organisent, manifestent et réclament « l’abandon » pur et simple du franc CFA, « la fin de la servitude monétaire » pour aller vers la création d’une monnaie unique proprement africaine. C’est ainsi que le 7 janvier 2017, à l’appel du célèbre activiste panafricaniste (controversé en France pour des raisons que je n’aborde pas ici) Kémi Seba et de son ONG « Urgences Panafricaines » (URPANAF), une journée internationale de mobilisation anti-franc CFA a été organisée pour la première fois, de Paris à Dakar en passant par Abidjan, Ouidah, Londres et Bruxelles.

Je vous donne le tableau des personnalités les plus associées à ces débats et polémiques autour du franc CFA. Et quelques observations :

On remarque qu’il y a moins d’intervenants visibles inscrits dans les titres de presse autour du franc CFA sur les périodes 2009-2011 et 2012-2014 que sur la période 2015-2017. Ce qui confirme bien que cette dernière marque véritablement un tournant, un cap, une amplification du débat, voire du combat qui s’incarne autour de certaines figures.

Parmi ces personnalités intervenantes, certaines parlent du franc CFA plus en termes de panafricanisme ou de revendication identitaire que d’efficacité économique et financière. On y trouve des activistes et des artistes panafricanistes anti-franc CFA : Kémi Seba, Dieudonné M’Bala M’Bala (controversé lui aussi), Youssoupha (rappeur) et Alpha Blondy ; on y trouve des politiciens contre le franc CFA : Idriss Déby (président tchadien), Moustapha Diakhaté (homme politique sénégalais), Marine Le Pen (présidente du Front National français : sic !), Mamadou Koulibaly (ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne), etc. ; on y trouve des politiciens plutôt favorables au franc CFA : Macky Sall (président du Sénégal), Alassane Ouattara (président ivoirien), Lionel Zinsou (ancien premier ministre et candidat malheureux à la dernière présidentielle béninoise), Michel Sapin (Ministre français de l’Economie et des finances).
A ces politiciens s’ajoutent des responsables d’institutions financières plutôt favorables au CFA dont notamment : Tiémoko Koné Meyliet, gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et Christine Lagarde (directrice du FMI) ; on y trouve enfin des économistes de renom plutôt contre le franc CFA dont : Nicolas Agbohou qui a publié un livre en 2008 : Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, Editions Solidarité Mondiale ; et Kako Nubupko, économiste et ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo. Il a dirigé un livre collectif intitulé : Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA ?, Paris, La Dispute, 2016.

Pour conclure, je pense que nous pouvons être d’accord sur le fait que la question de la souveraineté qui sous-tend le débat sur le franc CFA est absolument légitime. Près de 60 ans après les indépendances africaines, il est difficilement concevable que les pays africains dits de la zone franc CFA continuent d’utiliser une monnaie fabriquée et contrôlée par la France, les réserves de change de ces pays étant déposées auprès du Trésor public français. On peut comprendre que cette sorte de mainmise française depuis les temps coloniaux suscite des débats passionnés, voire révoltés. Mais, restons lucides : d’abord parce qu’il ne sert à rien de battre sa propre monnaie si on ne se donne pas les moyens d’en maîtriser le mécanisme et la dynamique par la suite. Mais surtout parce que la monnaie n’est pas l’alpha et l’oméga du processus de développement et de la croissance durables de l’Afrique. Pas trop d’illusions à ce sujet ! Il y a des problèmes liés à la gouvernance et à la démocratie (le récent problème gambien en est une illustration), il y a ceux liés à la productivité et à la compétitivité auxquels nos pays doivent faire face avec constance, cohésion, cohérence et consistance. Le cap et la route !

Ousmane SAWADOGO, expert en texte mining et web content mining, Kaceto.net