Installé le 22 mars 2016 par le Chef de l’État, Roch Marc Christian Kaboré, avec pour mission de « traiter un passé douloureux pour en faire un présent fraternel », le Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) garde un curieux silence sur ses travaux au point qu’on se demande s’il ne fait pas sur place.
Pour l’auteur de cette tribune, la vraie réconciliation passe par une administration juste et équilibrée dans la gestion de la chose publique

Le 06 novembre 2015, le Conseil national de la Transition (CNT) adoptait la loi n°074-2015/CNT portant création, attributions, composition, organisation et fonctionnement du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité nationale (HCRUN). Cette loi, inspirée d’une recommandation de la Commission de la Réconciliation nationale et des Réformes (CRNR), achevait le processus de maturation de la vision stratégique de réconciliation nationale de notre pays. Ce processus vient après un autre entamé depuis 1999 qui n’a jamais connu une réelle et sincère mise en œuvre.
Installé le 22 mars 2016 par le Chef de l’État, Roch Marc Christian Kaboré, avec pour mission de « traiter un passé douloureux pour en faire un présent fraternel », le HCRUN ne semble toujours pas convaincre sur sa capacité à apporter la réconciliation au pays des hommes intègres. Faut-il y voir une insuffisance de cette vision stratégique de réconciliation nationale, malgré ses efforts en matière de concertation ?
La question de réconciliation s’impose à tous les échelons de la société après des événements ayant déstructuré les communautés ou éprouvé le vivre-ensemble, comme les conflits armés politiques, interreligieux, ethniques, etc. Toutes ces choses, le Burkina Faso ne les a jamais réellement connues. Au contraire, le pays s’est affirmé, dans le concert des nations, comme l’un des rares qui sait prendre en main sa destinée pour imposer la volonté d’un peuple uni autour d’une cause nationale. Pourquoi donc parler de réconciliation nationale pour un peuple qui sait parler d’une seule voix ? Paradoxe !
La vision stratégique de la réconciliation nationale au Burkina Faso a réduit ce processus à la seule question de traitement des crimes liés aux 5.000 dossiers soumis au HCRUN. Dans ces conditions, la réconciliation vient comme l’aboutissement d’un processus de justice transitionnelle (idée de crime oblige), préalable au pardon et à l’établissement d’un nouveau contrat du vivre-ensemble. Pourtant, cette vision a été mise à mal, ces derniers temps, par trois faits majeurs :
  D’abord, le mécontentement des peuples du Namentenga, manifesté lors du plus grand symbole national (la célébration de l’indépendance), qui ont brandi la question du réseau routier pour menacer de se soustraire à la célébration du 11 décembre. Dans la même logique, les peuples de l’Est ont manifesté leur impatience et attiré l’attention des autorités sur le même sujet. Au-delà de cette insuffisance plane surtout la question des victimes collatérales, parfois inestimable, imputables à une mauvaise distribution des politiques publiques d’urbanisation ;
  Ensuite, à travers l’opposition Dozo et Koglweogo, c’est le refus d’une certaine assimilation culturelle "forcée" des populations de l’Ouest qu’il faut lire, en plus du fait que celles-ci s’offusquent de ce que Bobo-Dioulasso, la principale ville, n’ait de capitale économique que de nom. Mieux, il s’agit surtout d’un refus du tâtonnement en matière de politique publique de sécurité ou de l’absence de lisibilité d’une telle politique. Une préoccupation qui est d’ailleurs partagée avec les peuples du Sahel. On se souvient que ce sont les mêmes causes qui ont conduit à la désintégration du Mali voisin ;
  Enfin, l’exigence des peuples du Sud-ouest de voir un fils de cette région dans le prochain gouvernement traduit la crainte d’une autre forme de marginalisation de ces peuples qui éveille leur vigilance. Cela rappelle le système des Nations Unies des années 70 à 90 où il fallait avoir un fils du pays dans les instances dirigeantes pour avoir aisément accès à l’information et aux meilleurs projets.
Au travers de ces préoccupations, on voit que la question de la fracture sociale et sociétale au Burkina Faso est principalement imputable à l’administration publique. Elle fait donc partie des causes profondes qui entravent l’évolution de ce pays vers son idéal d’un seul peuple, un seul territoire et une Nation. Il faut absolument résoudre la question des crimes qui ont meurtri de nombreuses familles burkinabè. Mais en choisissant de faire peser la balance de la réconciliation nationale sur le traitement seul de la question des 5.000 crimes, parviendra-t-on à la réconciliation nationale ?
À mon avis non ! La prise en compte seule de cette dernière question est une résolution à une échelle plus réduite. À une échelle plus grande, il y a lieu de faire plus pour rassembler les Burkinabè. En plus de résoudre l’énigme des crimes, d’établir la vérité et de dire le droit pour se pardonner ensuite, il y a lieu que les rancœurs communautaires se taisent à jamais et ça, ce n’est pas cette vision de la réconciliation portée par le HCRUN qui pourra y parvenir, surtout pas dans le contexte de ses querelles intestines de gouvernance qu’un journal de la place relevait. Pourquoi ?
Ce qui a été occulté dans le processus de réconciliation au Burkina Faso, c’est la place qu’a occupée l’administration dans cette division. D’abord, les acteurs politiques ont utilisé l’Administration pour diviser le peuple. Il n’y a pas longtemps, les agents publics étaient chassés de certaines régions pour leur militantisme (syndical ou politique) parce qu’ils n’étaient pas des fils de la région où ils accomplissaient leur service public. Chose que certains barons d’un autre temps avaient soit suscité ou, à tout le moins, avalisé par leur silence. L’introduction du régionalisme dans certaines administrations, lorsque des gestionnaires publics peu avisés de la notion et de la portée de l’intérêt général y ont pris les rennes, a contribué à accentuer le clivage. En outre, la dernière élection présidentielle, n’ayons pas peur des mots au risque de faire la politique de l’autruche et d’être comptable devant l’histoire plus tard, a laissé d’énormes séquelles sur notre unité, à cause des propos ethnicistes que certains politiciens ou certains cadres de l’administration publique ont laissés échapper dans les coulisses et qui rampent aujourd’hui au sein des populations.
Ensuite, l’administration a péché par l’absence de ce qu’il convient d’appeler une mauvaise distribution spatio-temporelle quantitative et qualitative des politiques publiques sur l’étendue du territoire national. On ne va pas reprocher aux populations de se plaindre, par exemple, de la disparité qu’il y a dans le ratio infrastructures/habitants ou infrastructures/potentiel économique au moment du bilan des années de la gouvernance passée auquel la plupart des acteurs politiques est comptable, même si les méthodes de cooptation politique des populations peuvent être mises en indexe ! C’était le rôle de l’administration de rester à équidistance de la voracité des acteurs politiques, ou à défaut de piéger les acteurs politiques indélicats dans la nasse de l’imputabilité et de la redevabilité.
Alors, aujourd’hui, au moment où tous les esprits sont éveillés (comme le dit le chanteur Jean Zoé), l’on observe une sorte de course contre la montre des populations pour ne pas se faire oublier dans le partage du gâteau national, surtout que le PNDES a eu beaucoup d’intentions de ressources. C’est sensiblement la même faiblesse qui a été perçue dans le processus de maturation de la loi sur les libertés religieuses que la Fédération des Associations Islamiques du Burkina (FAIB) s’est empressée de faire retirer par le gouvernement. Entre la vision stratégique portée par le HCRUN et la réalité de la fracture sociale et sociétale du Burkina Faso, il y a un hiatus que la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation (CODER) a bien perçu. Cependant, son exploitation a été mauvaise. Pourquoi ?
Le vide que la CODER a tenté de combler est simplement la prise en compte de l’angle mort de la réconciliation burkinabè occulté par la vision stratégique. En réalité, il s’agit d’offrir au peuple la plateforme incontournable pour extraire les ressentiments et les velléités de violence du corps social, afin de ne pas continuer à cultiver la haine comme cela se voit chez nos voisins. Peu importe le nom que cette plateforme aurait pris, elle devrait permettre de panser les traumatismes de nos peuples et de régler les questions de mémoire et d’histoire. C’est là que se situe le rôle majeur des leaders d’opinion que sont la chefferie coutumière pour les questions morales et historiques et celui des leaders religieux pour leur fonction de garant des autres valeurs additionnelles portées par les religions importées. La fonction essentielle d’une telle tribune, l’Afrique du Sud l’a expérimentée, c’est de servir d’un défouloir canalisé afin d’évacuer les rancœurs. C’est l’aboutissement de ce processus que l’autorité politique doit avaliser et ériger en norme. Cette mue a bien manqué au peuple Burkinabè ! Cela aurait dû être l’une des missions de la Transition. Mais la communauté internationale est passée par là, en toute ignorance de nos réalités, les appétits politiques très pressants aussi !
Malheureusement, la perception du processus par la CODER a été pervertie dans son esprit, dans son format et dans son contenu par les intrigues et les égoïsmes politiques (on l’a vue avec le départ d’un de ses membres fondateurs) et surtout la faible ouverture vers la société civile. À l’arrivée, c’est une structure qui n’est ni un parti politique, ni une force de proposition crédible, mais juste une organisation hybride qui s’affaiblit au fil du temps.
La réconciliation nationale au Burkina Faso doit permettre au peuple d’oublier ses ressentiments parce qu’un peuple qui n’oublie pas est un peuple sans avenir. Suivez simplement mon regard. Mais pour oublier ces rancœurs, il faut que l’administration publique prenne toute sa responsabilité et l’assume dans un pacte sacro-saint qui respecte une distribution spatio-temporelle quantitative et qualitative des politiques publiques, à la suite d’un mea culpa sincère et dans le respect du triptyque vérité-justice-réconciliation prôné par le Chef de l’État. Et ça, l’accroissement de l’imputabilité de la mise en œuvre des politiques publiques doit pouvoir aboutir à la prise de mesures correctives, pour rétablir chaque communauté dans ses droits, et/ou à défaut aux sanctions appropriées, comme gage d’une volonté farouche de lutter contre l’impunité, pour apaiser les cœurs. C’est simplement une nécessité cruciale de réconciliation nationale.

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr