Chronique : "Moi, Kayouré Sambo, je vous le dis !"

Le cercle des chroniqueurs de Kaceto.net s’agrandit avec l’arrivée de Kayouré Sambo. Au lendemain de la "Journée tolérance zéro" contre les mutilations génitales féminines, il revient sur ces pratiques ancestrales qui, hélas, résistent encore au temps en dépit des lois nationales et internationales qui les répriment.

Alors qu’on était à quelques jours de la « journée tolérance zéro » contre les mutilations génitales féminines (MGF) commémorée le 06 février de chaque année sur décision de l’ONU, chez nous, à Bagré, le 26 janvier dernier une foule d’une centaine de manifestants a déferlé sur la brigade locale de la gendarmerie pour libérer une exciseuse et sept de ses complices arrêtées pour avoir excisé six fillettes de 1 à 5 ans. Vingt-neuf (29) manifestants ont été interpelés dont huit (08) meneurs et cinq (05) étaient recherchés. D’importants dégâts matériels furent constatés sur les lieux.
Les gouvernements successifs du Burkina Faso se sont engagés à éradiquer cette ignoble pratique au plan national, et en collaboration avec les autres pays, aux plans régional et international. On notera que cette année, notre pays a retenu le thème suivant : « La mise en œuvre du plan stratégique national de promotion de l’élimination des mutilations génitales féminines 2016-2017 : défis et perspectives ».
Faut-il rappeler la loi 043/96/ADP interdisant la pratique de l’excision sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement ? Il faut croire que les coutumes et traditions ont la peau dure chez nous puisqu’elles persistent après l’adoption de ladite loi en 1996. Les pratiques les plus néfastes, en plus de l’excision, étant le mariage précoce et/ou forcé, le lévirat, la persécution et le rejet pour sorcellerie etc.
Ce qui vient de se passer à Bagré est tout simplement d’un autre âge. Pas digne de notre ère du XXIème siècle et surtout anachronique pour notre Etat de droit démocratique où la Constitution affirme l’égalité en droits pour tous les citoyens, conformément aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1945.
Malgré donc la loi, malgré l’existence du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE) qui n’a jamais ménagé ses efforts de sensibilisation à travers moult campagnes conduites souvent par les plus hautes autorités de l’Etat et les leaders d’opinion (responsables politiques, chefs coutumiers et autorités religieuses), cette pratique obscurantiste persiste. Encore plus sournoise car clandestine, puisque légalement interdite, elle porte atteinte, non seulement à l’intégrité physique de la femme, mais aussi et surtout, à sa dignité d’être humain ainsi qu’à son droit de faire librement ses choix de vie.
En effet la pratique de l’excision – et pire, de l’infibulation sous d’autres cieux – que l’on justifie soit par la religion (purification, incontinence sexuelle) soit par la tradition (initiation, préservation de l’identité féminine et culturelle), ne vise qu’à ôter à la femme la possibilité d’une pleine jouissance de sa vie sexuelle, à la diminuer pour mieux la soumettre à l’homme en prétendant l’empêcher d’être frivole.

Personne ne confirme ces raisons : ni l’imam, ni le chef coutumier, ni le prêtre, ni le pasteur. Aussi, de nos jours, seule la cupidité d’un côté (l’exciseuse rétribuée) et l’ignorance de l’autre (les parents) peuvent justifier cet entêtement à s’exposer au couperet de la Justice. Sinon, comment comprendre qu’on puisse offrir ces jeunes progénitures aux lames souillées et risquer leurs vies, menacées par l’hémorragie, le tétanos, la stérilité, l’incontinence urinaire, le VIH, voire la mort ?
Certes, au Burkina, les statistiques notent une légère baisse de la pratique avec un taux actuel de 67,6 % contre 76% en 2010 pour les 15 à 49 ans et 11% contre 13% en 2010 pour les 0 à 14 ans. N’oublions pas que l’objectif visé est la tolérance zéro.
Les premières dames d’Afrique et bien des associations et ONG nationales et internationales s’insurgent et dénoncent à travers déclarations, séminaires, ateliers, marches-meetings et autres manifestations. Rien n’y fait. Alors, quelle stratégie inventer ? La question reste encore posée, même si l’on sait que de nos jours la chirurgie réparatrice (a posteriori !) existe et fait des heureuses. Encore faut-il y avoir accès. Le mieux encore restera toujours la prévention.
Au-delà de la problématique de la pratique de l’excision, l’affrontement du 26 janvier à Bagré repose le problème de l’Etat de droit, de l’autorité de l’Etat et des Forces de défense et de sécurité ainsi que de l’incivisme du citoyen burkinabè.
La question est de savoir si l’on veut vraiment construire la démocratie dans la l’ordre et la discipline, dans la sécurité, dans la justice et la paix, ou si l’on veut retourner à une société régie par la loi de la jungle et du chaos.

Kayouré Sambo
Kaceto.net