La famille et l’école face au civisme en agonie au Faso

Notre article précédent s’était attelé à indiquer les facteurs politiques qui sont générateurs d’incivisme au Faso. (http://kaceto.net/spip.php?article1825).
Nous revenons ici sur un aspect plus connu et plus visible du problème : la crise du système éducatif comme facteur principal de l’incivisme. Dans cette démarche, nous mettons de côté toute approche doctrinale. Nous partons tout simplement du constat suivant : Au Faso, l’incivisme est monté en flèche ces dernières années ; au commencement de cette recrudescence, se trouve une crise grave de la famille et de l’école qui sont les premières institutions éducative dans la nation. Faisons l’état des lieux sans chercher ici à situer les responsabilités. La démission de la famille.
Sur fond de libéralisation des mœurs, de nucléarisation de la famille, d’occidentalisation de notre conception de la vie, de l’amour et de l’enfant, la grande majorité des parents a démissionné de l’éducation morale et civique de leurs progénitures. Vingt-six ans passés dans le milieu scolaire et dans tous les ordres d’enseignement du système, me permettent aujourd’hui de le dire avec amertume. L’autorité des parents sur les enfants s’est effondrée, pour laisser place au commandement des médias, des réseaux sociaux sur le Net, de la rue et dans certains cas, de l’enfant lui-même. Que s’est-il donc passé pour qu’on en arrive là ? Est-ce la suite logique de ce phénomène mondiale, d’origine occidentale, qui consacre l’émancipation de l’enfant dès le berceau ? En tout cas, l’amour aveugle de l’enfant dorloté, avec tous les doits et sans aucun devoir, s’est substitué à l’amour éclairé, qui inclut la coercition éducative, qui enseigne le droit et le devoir simultanément. Les familles, en majorité, comptent sur l’école pour l’éducation morale de leurs enfants ; et c’est là que l’eau est déjà versée. En effet, et tous les psychologues avertis le savent, si pendant les sept premières années de sa vie, l’enfant n’a pas intériorisé les principes de l’autorité et du devoir, sa prise en charge ultérieure par l’école est nécessairement plus complexe. Néanmoins, l’école peut procéder à des remédiations. Mais quelle école ?
*L’école burkinabé n’éduque pas, elle forme et instruit
Rabelais avait pourtant averti l’humanité : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait-il, depuis ces temps de renaissance en Europe, à l’orée de la libération de la raison et des mœurs. En tout cas, aujourd’hui, au Faso, l’école a peu de soucis de ce volet fondamental de la formation de l’homme. Former l’homme, c’est d’abord former la conscience de l’humain, c’est bâtir le citoyen. Tout cela est écrit dans cette belle loi d’orientation qui régit notre système éducatif. Mais, du texte de droit à la réalité pratique, c’est comme la distance entre terre et lune. Les préoccupations quantitatives l’ont emporté de loin sur la dimension qualitative de l’école. Faisons tout simplement le constat : notre école, qui n’a d’ailleurs qu’un embryon de préscolaire pour la prise en charge des plus jeunes, n’éduque pas ; elle alphabétise, elle instruit, et, dans une moindre mesure, elle forme professionnellement. Mais, à aucune étape des cursus, nonobstant les discours, l’éducation civique n’est une réalité concrète, hormis un badigeonnage à l’école primaire sans répondant au secondaire. Tout a été essayé en vain : on a tenté d’insérer au secondaire un vaste programme d’éducation en matière de population ; on a ensuite introduit dans les curricula des thèmes dit émergeants qui touchent à la vie morale et civique ; mais, tout cela n’a rien fait émerger du tout. Au contraire, tout s’est mis à aller à vau-l’eau. Pourquoi ? La croissance démesurée des effectifs par classe, le déficit de personnel d’encadrement de la vie scolaire, l’arrivée massive de jeunes enseignants issus des années de débrayages civiques et sans phase préparatoire à l’armée, dans une école professionnelle ou auprès des syndicats, tout est venu précipiter la chute du système. Aujourd’hui, notre école donne l’impression d’un milieu où chacun se cherche. Les administrations scolaires se retrouvent sans autorité, lâchées par l’Etat, jetées en pâture aux bases des syndicats, acculées par un personnel enseignant qui réclame, au quotidien, des droits, souvent au travers de la loi, et qui met aux oubliettes ses devoirs. « Désolés, nous ne maitrisons pas la base », disent les syndicats. « Débrouillez-vous pour trouver un terrain d’entente à votre niveau », répond l’Etat à ces administratifs. Voilà alors un beau champ débroussaillé où tout peut pousser, y compris la mort de l’autorité d’Etat. La suite est visible tous les jours dans la chronique nationale de la vie des établissements scolaires et universitaires : les chefs d’établissement sont chassés, des biens publics et privés incendiés ; les professeurs sont insultés et giflés ; les évaluations sont boycottées, les copies déchirées ; les symboles de la nation sont méprisés. Tout cela sans aucune possibilité de servir. Tout le monde craint aujourd’hui les dossiers relatifs au milieu scolaire. Les forces de sécurité et la justice ne font pas exception. En fait, depuis une vingtaine d’année, l’école burkinabé est devenue un pays dans le pays ; un pays sans loi, un pays de tous les droits et d’aucun devoir. Bien sûr, les mauvais dossiers de crime de sang, qui ont émaillé la vie de la quatrième République et qui ont concerné le monde scolaire, ont été pour beaucoup dans la révolte des élèves contre toute autorité d’Etat. Mais, il est certainement temps de reprendre la situation en main parce que, c’est tout l’avenir de la nation qui est ici en cause. Eduquer n’est pas possible dans un certain type de climat.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.
Kaceto.net