Notre article précédent avait insisté sur les particularités du contexte de la laïcité de l’État au Faso (http://kaceto.net/spip.php?article2062). Nous y avons fait ressortir ce fait que l’État laïc, de modèle français, s’était superposé à une nation hétérogène du point de vue religieux. Parmi les perspectives de réflexion, nous avons alors mentionné la question délicate de la coexistence entre les communautés religieuses de poids équivalents au sein de la nation. Ce qu’il faut signaler ici, c’est qu’au Burkina Faso, les communautés religieuses ne se côtoient pas ; elles se mêlent. Ailleurs, sous d’autres cieux, christianisme et islam se côtoient en dominant, chacun, des aires géographiques distinctes, pour ne se fondre que dans les grands centres urbains. Au Faso, seule la région du Sahel pourrait rentrer dans ce cas de figure ; mais, on y note une présence effective et significative de l’Église, qui y compte un évêché installée à Dori, le chef-lieu de région. Une vision synoptique montre donc que le christianisme, l’islam et les religions coutumières, sont condamnés à s’exprimer dans les mêmes espaces de vie, les mêmes hameaux de survie. A priori, cette situation fait croire que les données de l’être- ensemble au Burkina Faso sont bien sensibles.
Les données de la vie des communautés religieuses sont sensibles, parce qu’on est sur le terrain des croyances, mais elles n’empêchent nullement les Burkinabé de vivre ensemble, dans leur diversité. Hormis cette velléité récente, de groupuscules intégristes, d’islamiser l’école et la société au Sahel, on ne note, au Faso, aucune déchirure sévère de nature religieuse au sein de la nation. On a souvent noté nos propres grincements de dents, suscités par quelques nuisances sonores occasionnelles, qui sont la conséquence du mauvais choix des sites d’édifices religieux. Mais, les nuisances sonores dans nos villes, l’occupation peu régulière et sporadique des rues, ne sont pas exclusivement imputables aux communautés relieuses. Nos activités commerciales, l’artisanat et notre mode de vie- où le rural et l’urbain se mêlent-, font encore plus de bruit et produisent encore plus d’anarchie dans l’occupation de l’espace que les petits écarts des communautés de foi.

La nation burkinabé a donc, jusque-là, assumé, dans la paix, sa diversité religieuse. Un peu partout, dans les compagnes comme dans villes, une église, un temple et une mosquée, sont en symétrie avec une forêt sacrée de nos pères « animistes », une école de la république et une mairie de l’État laïc. Nos cérémonies de baptême, de mariage, de noël, de tabaski et d’événements moins heureux, nous amènent, en majorité et au moins une fois le semestre, à une messe pour le musulman, à une prière musulmane pour le chrétien. Bien sûr, nous excluons, ici, les gens d’opinion extrême qui ne constituent qu’une minorité de Burkinabé. Pour les gens d’opinion évoluée, la tendance au syncrétisme est visible. Ainsi, dans les familles, la bible de Jésus côtoient bien souvent et sans querelle le coran de Mahomet. Mamadou Goro, le musulman, est l’époux de Joséphine Dagano la catholique ; les deux ont, comme enfants, Albert Seydou Wendpenga et Fatoumata Rosine Pognéré ; on remarque alors que les grands parents ont ajouté aux prénoms des enfants, des sobriquets qui les rattachent aux traditions africaines. De façons plus générale, les parentés biologiques et par alliance, les parentés à plaisanterie entre les ethnies, entre les familles, entre les générations, entre les statuts sociaux, tout cela joint à l’esprit de tolérance des sociétés burkinabé, génèrent un ciment social qui assure la cohésion et empêche toute tendance à l’intolérance religieuse. Il est évident que pour l’intérêt de notre être- ensemble, chacun de nous doit y mettre du sien, au quotidien, pour faire l’identification des choses qui nous lient, au-delà de nos choix de cœur, de croyance et de vie. Il est évident aussi que pour la durée, le législateur se doit d’envisager la question en toute sérénité, de manière à produire les textes qui protègent le domaine public et les libertés, contre d’éventuelles opinions extrêmes, ségrégationnistes et fanatisées, dont quelques signes de manifestation sont déjà visibles au Faso.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et philosophie, écrivain.