Depuis longtemps, de nombreux pays africains, dont le Mali, le Sénégal ou la Guinée ont mis en place une politique de mobilisation de leur diaspora dans leur développement économique. Avec du retard, le Burkinabè s’y met !

« Tout en vous souhaitant un bon retour dans vos pays d’accueil et familles respectifs, je déclare clos, au nom de son excellence monsieur le premier ministre, les travaux du premier forum national sur la migration et le développement au Burkina Faso ». Il est un peu moins de 17 heures hier quand, dans la salle de conférence de Ouaga2000, la Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, des finances et du développement, chargée de l’Aménagement du territoire, Pauline Zouré termine son discours. Photo de souvenir avec les Burkinabè de l’extérieur ayant répondu présents à ce rendez-vous organisé les 6 et 7 avril 2017 par le ministère de l’Economie, des finances et du développement, via la direction générale de l’Economie et de la planification, avec le soutien de la coopération suisse.
« Les jours les plus éloignés finissent par arriver ; c’est la loi du temps », avait déclaré le secrétaire général du ministère de l’Economie Séglaro Abel Somé, se réjouissant de ce qu’enfin, le gouvernement ait organisé un Forum dédié aux filles et fils du Burkina vivant à l’extérieur ». Mais dans les couloirs de la salle de conférence de Ouaga2000, des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, venus à titre personnel, font grise mine. Ils n’apprécient pas du tout de « n’avoir pas été associés à un événement qui relève après tout de notre ministère ». Interrogé, le directeur des politiques de population, Gustave Bambara et membre du comité d’organisation du Forum, réfute cette accusation : « Nous leur avons envoyé des lettres depuis janvier, mais en retour, nous n’avons rien reçu », affirme-t-il. Sourire quelque peu agacé, le secrétaire général du ministère, Séglaro Abel Somé s’en défend : « Il ne s’agit pas d’un Forum sur la diaspora, mais sur la migration et le développement, donc une thématique plus marge dans lequel bien entendu, il y a la diaspora ». Cette dysharmonie gouvernementale explique sans doute le nombre assez modeste du nombre des participants, -quelques 200, y compris les nationaux de l’intérieur-, à ce Forum, venus du Mali, du Gabon, de la Côte d’Ivoire, des Etats-Unis, du Ghana, de l’Italie, du Sénégal et du Niger. Dans une déclaration rendue publique le 2 avril (http://kaceto.net/spip.php?article2200), les Burkinabè de France avaient annoncé qu’ils ne participeraient pas à ce rendez-vous, l’information leur ayant été communiquée très tardivement.

Ce déficit de communication entre les deux ministères, pour ne pas dire plus, n’a nullement affecté la qualité des débats qui ont été animés par des spécialistes et des participants désireux de proposer des pistes pour une meilleure implication des Burkinabè de l’extérieur dans le développement économique et social du Burkina. Durant deux jours, ils ont débattu des opportunités et des créneaux d’investissements pour la diaspora, du bilan des politiques migratoires burkinabè depuis 1960, des transferts de fonds et autres ressources et comment augmenter leur volume et leur impact sur le développement. Autres thématiques débattus : la gestion des migrants de retour, le panorama de l’émigration burkinabè d’hier et d’aujourd’hui, la contribution de la diaspora au développement, avec le cas de la région du Centre-Est.
Grâce à Moussa Willy Bantenga, Professeur titulaire d’Histoire économique et sociale et vice-président du Tocsin, on en sait un peu plus sur l’organisation des Bissas en Italie et l’impact de leurs contributions au développement de la région du Centre-Est. Béguédo, dont le contingent de migrants est le plus important de la région en est un exemple. La contribution de ses fils et filles vivant en Italie a littéralement transformé ce village en « ville bénie, connue et admirée ».
Faisant le bilan des politiques migratoires depuis 1960, le professeur Gabriel Sangli, de l’Institut supérieur des sciences de la population à l’université de Ouaga1, Pr Joseph Ki-Zerbo, a rappelé que trois conventions ont été signées entre 1960 et 1980 : avec la Côte d’Ivoire en mars 1960, le Mali en septembre 1969 et le Gabon en août 1973 et ratifiée en 1974.
Avec la Côte d’Ivoire, c’est le gouvernement Burkinabè qui avait le monopole du recrutement, avec l’obligation pour le candidat d’avoir un contrat de travail de 6 mois avant son départ. Le migrant devait reverser 1500 frs au gouvernement et 1000 frs par épouse accompagnant. Il pouvait amener avec lui sa famille, au maximum deux femmes et les enfants de moins de seize (16) ans. Dans la convention signée avec le Mali en 1969, « les nationaux de chacune des parties pourront accéder aux emplois publics dans l’autre Etat dans les mêmes conditions que les nationaux, déterminées par la législation de cet Etat. Les nationaux de chacune des parties bénéficieront sur le territoire de l’autre de la législation du travail, des lois sociales et de la sécurité sociale dans les mêmes conditions que les nationaux ». Reste que les guerres ayant opposé les deux pays en 1974 et 1985 ont entravé la bonne application de la convention. Avec le Gabon, le travailleur voltaïque bénéficie également des mêmes droits que les nationaux gabonais et « les employeurs gabonais devaient reverser 15% du salaire des travailleurs voltaïques à la Haute-Volta ». Comme avec le Mali, la convention avec le Gabon n’a pas non plus été respectée en raison d’un « manque de coordination entre les structures des deux pays », du « non-respect des engagements par le Gabon (remboursement des frais de transport, non reversement des 15% de salaire au BF par certains employeurs, les conditions de rapatriement non respectées etc). Résultat, la convention a été suspendue en 1977.

Sur les vrais motifs qui ont poussé le gouvernement à signer la convention avec le Burkina, des participants croient savoir qu’il s’agissait en réalité d’une convention de peuplement et non de migration. Sous peuplé, à peine 700 000 habitants à l’époque, le gouvernement gabonais aurait eu l’idée de faire venir des Voltaïques pour l’aider à faire des enfants. « Il faut dire la vérité historique aux gens et voir comment on peut mettre en place un dispositif permettant à nos enfants qui le souhaitent de venir découvrir le pays de leur père », a tonné un participant.
Sur les transferts de fonds de la diaspora, les participants sont unanimes : les 96 milliards de F CFA transferts en 2011 selon les données de la BCEAO, ne représentent qu’une très faible proportion du volume financier qui pourrait être mobilisé vers le Burkina. En comparaison, le Sénégal reçoit en moyenne par an 950 milliards de FCFA de sa diaspora ! C’est dire si le Burkina est en retard dans la mobilisation de sa diaspora. A preuve, rien que la société Quick Cash, fondée par Patricia Zoundi Yao et qui offre l’accès aux services financiers à nos compatriotes vivant en zones rurales en Côte d’ivoire, parvient à transférer 100 milliards de F CFA vers le Burkina en cinq ans.
Frustrés de ne pouvoir mobiliser le maximum de fonds vers leur pays d’origine, les Burkinabè du Ghana demandent au gouvernement d’être plus entreprenant afin de lever les blocages liés à la monnaie (Cedi/F CFA) en créant d’autres moyens qui pourrait faciliter les mouvements de capitaux. Parmi les recommandations des Forumistes, figurent d’ailleurs, la mise en place d’un fonds dédié aux migrants, la création d’un guichet unique pour faciliter les investissements de la diaspora et également d’un fond de garantie de la diaspora. Les « Koswétos », qui signifient littéralement en Mooré, « ceux qui ont duré dans la brousse », ont aussi demandé aux établissements financiers « de traiter de façon particulière les fonds transférés par les migrants, et surtout la création d’un maison de la diaspora regroupant des compétences multisectorieles utiles pour un appui-conseil aux investissements de la diaspora ».

Sur le vote de la diaspora en 2020, les avis sont aussi unanimes : si les autres pays, qui ne sont pas plus nantis que le Burkina font voter leurs compatriotes vivant à l’extérieur, il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même chez nous, d’autant que c’est un droit constitutionnel. Cinq (5) délégués de la diaspora siègent dans la commission constitutionnelle.
Ayant flairé le bon coup, le gouverneur de la région du Sud-ouest, dont le chef-lieu Gaoua, abrite les festivités du 11 décembre 2017, le colonel Tagsséba Nitièma a fait le déplacement de Ouaga pour informer les participants que 70 parcelles sont encore disponibles pour ceux qui seraient intéressés d’acquérir un ou des terrains au pays.
Informé qu’un Forum dédié à la diaspora se déroulait à Ouaga, l’artiste musicien Sana Bob, qui a longtemps vécu en Côte d’Ivoire, a insisté auprès des organisateurs pour venir « prester gratuitement » et saluer ses frères qui se battent pour rehausse l’image du Burkina à l’extérieur et contribuer au maintien de la paix. « S’il n’y pas de paix, les premières victimes sont les enfants, les femmes et les artistes », a t-il déclaré, provoquant l’hilarité dans la salle. La bonne ambiance et surtout le sérieux avec lequel les Burkinabè de l’extérieur ont débattu durant deux jours lèvent tout doute quant à leur volonté d’apporter leurs contributions à la construction nationale. Reste aux pouvoirs publics (gouvernement, collectivités locales) à être à la hauteur de leurs attentes.

Joachim Vokouma
Kaceto.net