Après une semaine d’interruption, le procès des ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré reprend ce matin devant la Haute cour de justice

Ouvert le 27 avril puis reporté pour cause de rentrée solennelle du barreau le même jour et à laquelle tous les avocats sont concernés, le procès intenté contre les anciens ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré devant la Haute cour de justice reprend ce matin au palais de justice.
Ils sont poursuivis pour "complicité de coups et blessures volontaires et de complicité d’homicide volontaires". La justice les accuse d’avoir « soutenu la prise de réquisition du 29 octobre 2014 et d’avoir ainsi incité les forces de défense et de sécurité à tirer à balles réelles les 30 et 31 octobre et 2 novembre 2014 sur des manifestants occasionnant des décès de Belem Abdoul Moubarak, Ouoba Yempabou Fabrice Aristide, Béré Inoussa, Karambiri Gaston, Aouedri Ouébidoua, Tondé W. Jacob et Kambiré Ebou Joséphine". Aux 7 personnes décédées s’ajoutent 80 blessées dont Coulibaly Aboubacar et Bagnoubabou Adébouga. Bien entendu, les prévenus ne reconnaissent pas les faits et vont donc plaider non coupables.
On va pouvoir cette fois-ci entrer dans le fond de ce procès très attendu par les familles de victimes et l’opinion publique et situer les responsabilités. Dans cette affaire, la solidarité de l’ancienne équipe gouvernementale sera mise à rude épreuve.
Selon l’accusation, le président Compaoré a décidé que la prise de la réquisition spéciale complémentaire soit posée en conseil des ministres du 29 octobre 2014 pour recueillir l’avis des membres du gouvernement. Le ministre de la Sécurité de l’époque, Jérôme Bougouma a fait un exposé sur la situation sécuritaire et posé la question du recours à l’armée pour soutenir les forces de sécurité épuisées par plusieurs jours manifestations. Toujours selon l’accusation, « à l’issue de l’exposé, aucun membre du conseil n’a fait objection, apportant ainsi leur soutien à la prise de réquisition qui n’est que la matérialisation du recours à l’armée ».
Or, justement, de nombreux ministres contestent cette version des faits. Ils affirment que la prise de la réquisition spéciale complémentaire n’a pas été évoquée lors de ce conseil ordinaire des ministres du 29 octobre 2014, et qu’ils n’ont jamais été consultés encore moins, donné leur avis sur le sujet. Le compte rendu du conseil des ministres publié le même jour ne mentionne nulle part l’adoption d’un rapport sur la prise de réquisition spéciale complémentaire. Le sujet n’a même pas fait l’objet d’une communication orale, c’est-à-dire, une information communiquée par un ministre sur une activité passée ou à venir relevant de son département.
De deux choses, l’une. Soit le compte rendu du conseil des ministres du 29 octobre 2014 est partiel, pour ne pas dire faux, ce qui expliquerait qu’on ne trouve nulle trace de cette prise de réquisition spéciale complémentaire, soit la question n’a effectivement pas été évoquée, ce qui jette un doute sur la crédibilité du rapport de la Commission d’enquête indépendante (CEI) créée le 28 octobre 2015 sous la Transition et présidée par Maitre Batihié Benao. Dans ce rapport, c’est écrit noir sur blanc. Consulté par le premier ministre, le président Compaoré « a instruit de dire au MATS d’exposer la situation au Conseil des ministres du 29 octobre 2014. Cela a été fait et lors de ce Conseil, le MATS a conclu à la nécessité d’une réquisition complémentaire. Cela a été approuvé à l’unanimité des membres du gouvernement présents. Le Chef de l’Etat a donc instruit le Premier Ministre de prendre cette réquisition ».
La CEI a-t-elle auditionné tous les ministres présents à ce fameux conseil des ministres du 29 octobre avant de rédiger son rapport ? Tout porte à croire que la réponse est non. D’anciens ministres affirment avoir entendu parler de cette CEI, mais disent n’avoir jamais été sollicités pour être entendus.
La Haute cour de justice devra aussi établir la culpabilité des anciens ministres dans la mort intervenue dans l’après-midi du 2 novembre 2014 de Belem Abdoul Moubarak, « atteint d’une balle dans la tête » et de Aouedri Ouébidoua, lui aussi « atteint d’une balle au niveau de la clavicule ». Ils participaient à une manifestation qui se déroulait dans l’enceinte de la Radiotélévision du Burkina où le Général Kouamé Lougué et Sérémé Sarah s’y étaient rendus pour faire des déclarations. Après la prise d’assaut et l’incendie de l’Assemblée nationale, puis le saccage des locaux de la RTB par les insurgés dans la matinée, le gouvernement avait été dissout dans la soirée du 30 octobre 2014 et l’état de siège décrété par le président Blaise Compaoré.

Joachim Vokouma
Kaceto.net