Notre publication précédente s’était chargée d’indiquer les pistes d’une critique négative du processus de la séduction. La séduction, y avions-nous écrit, fait partie intégrante des démarches qui visent à corrompre l’âme d’autrui, à influencer ses choix, ses goûts, ses jugements. Nous pouvons ici préciser que, dans la mythologie de beaucoup de civilisations, le modèle même du séducteur, c’est le diable. Sous divers visages, c’est lui qui fait miroiter de belles choses pour tenter l’âme humaine, comme il le fit pour précipiter Ève dans la chute originelle. On se rappelle aussi du scénario diabolique pour séduire Jésus de Nazareth, pendant le jeune de quarante jours ; cette tentative échoua, parce que, Lucifer, le diable, avait à faire à Dieu, le pur Esprit qui n’a aucune relation sensible avec le monde. Mais face à l’être charnel, face au mélange « ange-bête » que nous sommes, le diable est, dans l’imaginaire populaire, le séducteur le plus puissant, le plus apte à prendre toutes les formes et à utiliser tous les moyens. Face à lui, peu d’humains résistent. Mais fort heureusement, si le diable peut séduire, c’est que Dieu le peut aussi. Si l’on peut séduire pour corrompre, c’est que l’on peut séduire pour purifier, éclairer. C’est sous ce deuxième angle que nous abordons, ici, le processus de séduction.
La séduction, une arme naturelle de communication, autorisée par le divin et culturellement sublimée par l’humain
On n’aurait pu remarquer au départ que la séduction existe même dans la nature animale, voire physico-chimique. Le monde physique donne l’impression que, tantôt les contraires s’attirent et tantôt les choses semblables se rassemblent. On peut remarquer quelque chose d’identique dans le monde vivant, où les espèces dépendent les unes des autres, dans la chaîne de prédation ou d’interdépendance pour la survie. Au sein d’une même espèce, on voit, régulièrement, les animaux se séduire, poussés, soit par l’instinct sexuel, soit par l’instinct grégaire. Mais c’est précisément chez l’humain que la séduction joue un rôle déterminant dans le processus de la vie.
Affinée par l’ingéniosité culturelle, sublimée par nos tendances esthétiques, la séduction est, chez l’homme, un adéquat moyen pour dépasser l’indifférence ou vaincre les répulsions interindividuelles et intercommunautaires. A l’échelle de l’homo sapiens, on ne choisit d’être ensemble que lorsqu’on s’est vues, attirés, conquis et séduits. C’est après qu’on se soit séduit, que tout le reste devient possible dans la durée. Ce reste, c’est « le vivre ensemble », c’est la communion des esprits, c’est la communauté de sentiments, c’est le partage des visions. La séduction est ainsi l’arme la plus terrible et la plus magnifique, quand on veut unir les hommes sans avoir à faire recours à l’épée ou à tout autre moyen de contrainte. On comprend pourquoi les milieux d’affaires et de diplomatie, font de la séduction un dogme sacré. Le principe, dans ces milieux, est simple : quand vous recevez un partenaire d’affaires, un adversaire ou un ami politique, une personnalité diplomatique, le minimum est de connaître son profil psychologique, son histoire, ses valeurs, ses opinions, ses goûts, ses penchants, ses répulsions, ses espoirs ; ce sont ces paramètres, bien exploités, qui vous permettront d’avoir un ascendant sur lui. C’est d’ailleurs la même technique d’approche que les communicateurs de masse utilisent, au profit des produits commerciaux, des vedettes ou des acteurs politiques.
La leçon principale, qu’on peut tirer de l’histoire de la communication en milieu humain, est que la séduction rapproche les consciences, facilite le diadoque et la compréhension. Mais, dans le souci d’en éviter les dérapages diaboliques, tout usage de la séduction doit tenir compte de l’éthique. Il faut séduire mais il ne faut pas tromper ou manipuler autrui. La séduction ne doit pas rimer avec publicité mensongère, duperie et hypocrisie. L’apparence doit refléter l’être, ou, à défaut, en être une expression qui ne le contredit pas. A tout ami, chacun de nous devrait dire : « montre moi qui tu es ; ne me montre pas ce que tu n’es pas ». La séduction doit prendre racine dans des valeurs durables et dans des qualités profondes et pérennes. Chacun de nous devrait alors faire sienne, cette pensée de la savane Mandé : « Fais moi voir ce que tu es, et ce que tu as tous les jours ; ne me fais pas voir ce que tu es, et ce que tu as, en des occasions exceptionnelles de la vie. Si tu me séduis avec ta beauté de jeunesse, que feras-tu quand tu vieilliras ? Si tu me séduis avec ta fortune matérielle, je m’en irai quand tu seras ruiné. Si tu me séduis avec la beauté de tes yeux, que me montreras-tu quand borgne ou aveugle tu seras ! Séduis-moi avec la beauté de ton l’âme et le charme de tes vertus ».
En guise de conclusion ouverte à cette réflexion menée sur la séduction, nous nous autorisons à mentionner l’avertissement solennel que Jésus de Nazareth a adressé à ces apôtres avant de les abandonner sur la terre et pour la suite des temps : « Plusieurs viendront sous mon nom, disant : c’est moi qui suis le Christ. Et ils séduiront beaucoup de gens ». Mathieu 24-5.

Zassi Goro ; professeur de Lettres et de philosophie


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