Le mardi 23 mai 2017, Adjaratou Diéssongo, plus connue sous son nom d’artiste de Adja Divine, a été l’objet d’une agression en pleine rue à Ouagadougou, accusée à tort, de vol d’enfant. Une foule ensauvagée s’est déchaînée sur elle, et lui a infligé une suprême humiliation en la dénudant en plein jour. Une violence inouïe qui a choqué plus d’un Burkinabè et suscité une polémique dans tout le pays.
A quelque chose malheur est bon, dit-on ; cette affaire va-t-elle provoquer un vrai déclic chez les organisations féminines afin qu’elles se mobilisent davantage contre les violences sexo-spécifiques ? Eléments de réponse avec, Zenabou Coulibaly, docteur en Sciences humaines et présidente du Conseil des femmes du Burkina.

Quand et pourquoi avez-vous créé le Conseil des femmes du Burkina ?

Le conseil est né en 2014, suite aux résultats des élections de décembre 2012 pour défendre les intérêts économiques et sociaux des femmes et leurs places dans les instances de décisions. Lorsqu’il y a un problème, on essaie de s’en saisir, d’en faire une analyse Genre et voir comment agir pour trouver des solutions. C’est ainsi que nous avons fait l’analyse Genre des élections législatives 2012, puis celles de novembre 2015, et sommes en train de faire la même pour les municipales de mai 2016.

Avez-vous entrepris quelque chose sur l’affaire Adja Divine ?

Face à cette violence faite à Adja Divine, nous avons, en tant qu’organisation féminine, épaulé les femmes artistes qui ont organisé une marche de protestation. Nous les avons aidées à rédiger les déclarations et les avons soutenues techniquement, tout en sonnant la mobilisation des membres de notre organisation pour participer à la marche. A cette occasion la présidente sortante du conseil des femmes du Burkina, Martine Yabré a pris la parole pour condamner ce qui s’est passé et assurer la victime de notre soutien indéfectible.
Notre organisation a ensuite rendu visite à la victime, et à présent que l’émotion est passée, nous sommes en train de nous concerter avec nos antennes régionales, et avec la Coalition burkinabè des droits des femmes (CBDF) pour organiser une grande marche de soutien et attirer l’attention des autorités sur ce que nous avons appelé l’incivisme violent.

Adja Divine a porté plainte contre la police, laquelle a aussi porté plainte contre elle. Comment allez-vous la soutenir ?

La police l’a convoquée et nous attendons de savoir ce qu’on lui reproche, et à partir de là, nous pourrons arrêter une ligne de conduite en conséquence. S’il faut lui apporter un soutien juridique, il y a une Association des femmes juristes qui pourrait dans ce cas être saisie pour lui prêter toute l’assistance dont elle aura besoin dans cette affaire.

Concrètement, que comptez-vous faire pour faire baisser les violences faites aux femmes, à défaut de les éradiquer complètement ?

Nous sommes juste une organisation féminine et en tant que telle, nous pouvons juste aller l’Etat sur toutes les formes de violences exercées sur les femmes, faire du plaidoyer pour que l’Etat sanctionne sévèrement ceux qui se rendent coupables de violences sexo-spécifiques. Vous savez bien que la violence est multiforme ; elle peut être psychologique, morale et physique, mais c’est cette dernière forme de violence que les gens voient. Or, la violence psychologique est parfois plus grave que la violence physique, car elle peut conduire une personne à poser certains actes irréversibles.
Notre rôle est d’attirer l’attention de l’Etat chaque fois qu’on pourra le faire et c’est ce que nous avons décidé dans notre plan de travail que nous avons adopté.
Aux victimes, nous les rencontrons quand c’est possible et essayons de les aider dans les limites de nos moyens comme dans le cas de Adja Divine.

L’année dernière, une dame est décédée à l’hôpital Yalgado suite à une chute d’un lit qui n’était pas assez résistant pour la supporter. Mais on n’a pas connu une mobilisation des femmes en sa faveur. Pourquoi ?

Personnellement, j’étais absente du pays au moment des faits, mais je sais que les femmes ont publié un communiqué dans lequel elles ont condamné ce qui s’était passé, d’autant que la femme avait attiré l’attention des soignants sur la fragilité du lit.
Ce fait, comme d’autres qui se sont produits après, donne l’impression que l’Etat n’a plus d’autorité puisque les gens se font justice eux-mêmes.
Après l’insurrection populaire, il faut que les populations prennent conscience que c’est à l’Etat et seulement à lui de rendre justice ; qu’on ne peut pas prendre prétexte du dysfonctionnement de la justice pour se transformer en justicier. Sinon, cela voudrait dire que nous quittons la civilisation pour retourner à la barbarie.

Après l’agression dont a été victime Adja Divine et la mobilisation que cela a suscitée, on a entendu des gens dire que les organisations féminines n’apportent leur soutien qu’à certaines victimes. Que leur répondez-vous ?

Non, ce n’est pas vrai et je ne suis pas d’accord avec ceux ou celles qui font ce type d’analyse. Les femmes sont confrontées à d’énormes problèmes que les organisations ne peuvent pas tout résoudre. C’est vrai, dans l’affaire Adja Divine, les artistes se sont spontanément mobilisés et nous les avons soutenus lors de la marche. Depuis cette manifestation de protestation et de dénonciation, personnellement, je suis entrain de travailler pour que de façon simultanée, dans les treize régions les femmes sortent.
J’ai dit aux femmes qu’on ne pouvait pas rester dans le silence face à ce qui est arrivé à notre sœur ; il faut que nous sortions pour dire qu’on en a marre de ces violences qui ne frappent que les femmes. Même si quelqu’un est accusé de vol, il faut alerter la police et ne jamais chercher à se faire justice soi-même..

Avez-vous un message à lancer à l’endroit des forces de l’ordre et de sécurité ?

Dans l’affaire Adja Divine, je n’étais pas sur les lieux et je ne sais pas ce qui s’est réellement passé surtout qu’il y a plusieurs versions dans la relation des faits qui se contredisent. Mais ce que je peux dire à la police, c’est de faire beaucoup attention surtout dans le contexte sécuritaire actuel. Dès que la police se met à suivre quelqu’un, on pense tout de suite que c’est un terroriste ou grand malfrat, et sans chercher à comprendre, la population à tendance à vouloir le lyncher. Donc, la police doit faire attention lorsqu’elle veut appréhender quelqu’un.

Entretien réalisé par Wakiyatou Kobré
Kaceto.net