La polémique née suite à l’adoption par le Conseil des ministres en sa séance extraordinaire du vendredi 23 juin 2017 de trois rapports relatifs à des mesures d’allégement de procédures de passation de la commande publique appelle un certain nombre de commentaires pour nourrir le débat à travers un regard d’économiste.

Pour rappel, le premier est relatif à un projet de loi portant allègement des conditions d’exécution du programme de projets de Partenariat public-privé (PPP) qui vise à permettre, pour une durée de six (06) mois, le recours à la procédure d’entente directe pour la passation de contrats PPP relatifs à des Projets nominativement arrêtés par le gouvernement.
Le deuxième rapport est un décret portant allègement des conditions de recours à la procédure d’entente directe pour la passation des marchés publics et délégations de service public dans la mise en œuvre des projets et programmes d’investissements. Ce décret vise pour une durée de six (06) mois, le recours à la procédure d’entente directe pour la passation des marchés publics et délégations de service public pour les projets et programmes d’investissement relevant des secteurs de la santé, des infrastructures, de l’énergie, de l’éducation, de l’agriculture, de l’eau, des ressources animales et halieutiques, de l’enseignement supérieur et de l’humanitaire. En clair, il s’agit des secteurs qui se partagent la quasi-totalité des affectations budgétaires.
Le troisième rapport est relatif à une autorisation de recours, pour une durée de six (06) mois, à des procédures exceptionnelles pour la passation des marchés publics dans le cadre du Programme d’urgence pour le Sahel (PUS).
Retenons qu’au sens du décret n°2017-0049/PRES/PM/MINEFID du 1er février 2017 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, il y a deux procédures exceptionnelles (art 73-76) : l’appel d’offres restreint et l’entente directe. Les autres sont des procédures allégées modulées en fonction de seuils et de nature d’acquisition (demande de cotations informelle et formelle, demande de prix, consultations de consultants, demande de propositions allégée).
Le projet de loi portant allègement des conditions d’exécution des programmes des Partenariats Publics-Prives (PPP) a été adopté par l’Assemblée Nationale au cours de sa séance plénière du mardi 3 juillet 2017 sans les députés de l’opposition consacrant ainsi, une fracture totale sur cette loi.
La raison majeure avancée par le gouvernement et pour l’adoption de ces meures est la faiblesse du taux d’exécution du budget d’investissement qui n’aurait pas atteint 30% du fait de la lourdeur et de la complexité des procédures de contractualisation. Si l’on admet avec le Gouvernement que ce faible taux d’exécution est de nature à compromettre durablement la mise en œuvre du PNDES, il convient de s’interroger sur la pertinence de l’instrument utilisé (ici le gré à gré) pour la résolution du problème. Notre conviction est que le diagnostic est mal posé (peut être sciemment) et que de ce fait, la solution proposée est inadéquate. Tout d’abord, il convient de s’interroger sur les causes réelles de la faiblesse du taux d’exécution.
Qui des textes ou des autres facteurs expliquent le mieux cette situation ?

Entente directe : tentative de contournement du climat social

A l’analyse de la fronde sociale récente, il nous semble que le gouvernement veuille contourner l’obligation de publier un avis qui le soumet au désidérata des syndicats. On se rappelle des récentes grèves des agents des finances (SYNAFI pendant au moins 45 jours) et ceux du Trésor Public (SATB pendant au moins 14 jours) qui ont paralysé un tant soit peu l’exécution de la dépense publique. La grève du premier syndicat cité, de par l’absence de publication des avis et des résultats dans la revue des marchés publics qui est une obligation réglementaire, a retardé la passation de la commande publique. Quant à la grève du second syndicat, l’effet a été ressenti au niveau de l’acquittement des frais relatifs à l’obtention des dossiers d’appel à concurrence et le règlement des factures des créanciers de l’Etat.
Mais, même si on peut convenir que c’est de bonne guerre que le gouvernement essaie d’éviter que de tels mouvements sociaux ne viennent remettre en cause son besoin d’exécuter diligemment les programmes et projets prévus dans le PNDES, reste que l’instrument utilisé est mauvais et ne répond en rien aux principes de cohérence et d’efficience tels que popularisés respectivement par les économistes Jan Tinbergen (1963) et Robert Mundell (1960). Pour faire simple, le principe de cohérence énonce que pour toute politique économique ayant des objectifs fixés, le nombre d’instruments doit être égal au nombre d’objectifs visés. Pour cela, les objectifs doivent être quantifiés pour être efficaces et pour permettre de mesurer l’impact réel des instruments. Il n’y a donc pas de « une pierre deux coups » !
Le principe d’efficience propose d’affecter à chaque situation économique (ou objectif) une politique (ou instrument) disposant d’un avantage comparatif relativement aux autres pour raison d’efficacité.
Rappelons que la manipulation des règles de la commande publique relève bel et bien de la politique économique. Que ce soit les marchés publics, les délégations de service public ou les contrats de partenariats public-privé, tous ces outils de la commande publique induisent des dépenses publiques pour la puissance publique sous forme de paiement direct après exécution, ou sous forme de paiement échelonné pour le remboursement des dettes. Comme on le sait dans la littérature économique, les dépenses publiques, la fiscalité et la dette sont les principaux instruments de la politique budgétaire. En voulant utiliser les règles de la commande publique pour « se défaire de l’emprise » des syndicats et vouloir en même temps conduire une commande publique saine et efficace, il semble qu’il y ait une méconnaissance de ces deux principes élémentaires notés ci-avant.
L’examen des textes qui encadrent la commande publique montre bien que la procédure d’entente directe est bel bien une procédure autorisée. Un marché est passé par entente directe lorsque l’acheteur public (autorité contractante) engage directement (sans publicité préalable pour les marchés publics et les délégations de service public) des négociations avec un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire en vue de lui attribuer le marché. Toutefois, sa mise en œuvre obéit à des exigences strictes. Entre autres exigences, il y a l’obligation qu’une des huit (8) conditions identifiées à l’article 75 du décret n°2017-0049/PRES/PM/MINEFID du 1er février 2017 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public soit remplie. Une deuxième exigence est que l’entrepreneur, le fournisseur ou le prestataire soit de bonne réputation (n’est pas sur la liste des exclus ou des défaillants et disposant de capacités techniques, financières et juridiques pour bien exécuter le marché). Une troisième exigence fait obligation de requérir l’avis de la Direction chargée du contrôle a priori.
La quatrième exige que le titulaire se soumette au contrôle de prix. Il s’agit de l’obligation pour le titulaire de présenter ses bilans, ses comptes de résultats ainsi que sa comptabilité analytique d’exploitation ou à défaut de celle-ci de tous documents de nature à permettre l’établissement des coûts de revient. Le but de cette obligation est d’identifier d’éventuelles surfacturations.
L’objectif visé par le strict encadrement de cette procédure est d’éviter les écueils liés à cette procédure qui de part de ses modalités est plus exposée à la corruption, au favoritisme, à la surfacturation et aux manipulations diverses.
A l’examen donc, on s’aperçoit que l’intention du gouvernement est de se défaire des conditions restrictives imposées pour utiliser la procédure d’entente directe. Par exemple, supprimer l’étape de l’avis de la Direction chargée du contrôle a priori reviendrait à ignorer le contrôle du respect des conditions de l’entente directe et de la réputation du titulaire. Les nouveaux textes autorisent désormais l’ordonnateur du budget concerné ou l’autorité publique porteuse du projet (ministre sectoriel) à s’accorder à lui-même l’autorisation de passer un contrat (marché public ou PPP) par la procédure d’entente directe. Ce qui pourrait signifier ouvrir la commande publique à toute sorte de manipulations et bonjour le copinage, la création d’entreprises fictives pour faire d’elles des titulaires de marchés, la surfacturation et la mort des entreprises sans connexion politique. Sur ce point la littérature économique a suffisamment documenté le fait que déléguer de manière systématique un pouvoir large, comme celui de s’accorder à soi-même un droit, à un agent public, crée de ce fait une situation de monopole dans la prise de décision. Dans ce cas, il ne reçoit aucune incitation à adopter un comportement économique efficace et se mue en créateur d’inefficience-X. C’est-à-dire, une situation dans laquelle l’agent public choisi l’activité à mettre en œuvre non sur la base de son efficience mais plutôt sur le volume d’activité mis en œuvre.
La philosophie du gouvernement est semble-t-il « Si on n’arrive pas à suivre les règles, c’est que les règles sont forcément mauvaises, il faut alors adapter les règles à notre comportement, à nos pratiques, mais surtout pas le contraire ». En procédant ainsi, le gouvernement opte de faire le procès des règles et procédures en lieu et place d’un procès des comportements et de leurs auteurs. Ce qui n’est ni tenable, ni efficace, encore moins souhaitable.

Capacités des acteurs chargés de la mise en œuvre des procédures

L’argument d’alléger les procédures pour aller vite est très léger et ne saurait prospérer car il y a déjà suffisamment de procédures allégées et avec elles un seuil de contrôle a priori relativement élevé laissant une marge discrétionnaire relativement importante aux autorités contractantes pour mener leurs projets d’acquisition. Le problème est peut-être ailleurs notamment au niveau des capacités des acteurs chargés de la mise en œuvre des procédures. C’est pourquoi, il faut mettre en place un programme de renforcement des capacités des acteurs et réduire la mobilité des acteurs formés. En effet, lorsqu’il y a un remaniement ministériel, il suffit de lire les comptes rendus du Conseil des ministres pour constater que la première priorité des nouveaux membres du gouvernement c’est de relire l’organigramme et de changer la quasi-totalité des collaborateurs de premier plan (DAF, DMP, PRM, DGESS, etc.). Ces changements entrainent un perpétuel recommencement et ne permettent pas de capitaliser le renforcement de capacités et le retour d’expérience. On oublie très souvent que l’administration est une continuité et que les agents publics sont censés être sans couleur politique dans l’exercice de leurs fonctions et sont au service du gouvernement en place quel qu’il soit.
Pour ce qui est du cas spécifique du partenariat public-privé, l’attribution sans mise en concurrence préalable (entente directe) est soumise à une obligation de publication d’un avis par l’autorité publique pour annoncer son intention d’engager des négociations pour un contrat de PPP. Cette procédure d’attribution ne peut être retenue que sous trois conditions liées à un monopole temporel (urgence), monopole légale ou de fait (une seule source capable de fournir le service détentrice ou non d’un brevet ou d’une licence dans le domaine) ou à une procédure de pré-qualification infructueuse. L’autorité publique est également soumise à l’obligation de mener des négociations avec un nombre aussi grand que possible de personnes capables d’exécuter le projet. Mieux, la décision d’inscrire un projet pour être réalisé en PPP quel que soit la procédure d’attribution est soumise à des préalables strictes.
En particulier, la proposition de recours au PPP est subordonnée à une évaluation préalable concluante menée par l’autorité publique. Cette évaluation comporte une analyse comparative de différentes options de réalisation du projet, notamment en termes de coûts-avantages, de partage de risques et de performance. Elle doit également rendre une expertise sur l’économie générale, l’impact du projet de partenariat sur le budget et la dette publique et tenir compte de préoccupations de développement durable notamment les impacts environnemental et social. La décision définitive de retenir l’outil PPP pour la réalisation d’un projet est ainsi conditionnée à la démonstration, dans l’évaluation préalable, de l’existence d’un bilan coûts/avantages, juridique et administratif plus favorable que celui des autres outils de la commande publique que sont le marché public et la délégation de service public. A notre connaissance, après de vaines recherches, peu de projets figurant dans le programme de PPP adopté par le Conseil des ministres semblent avoir satisfait à cette exigence. Ce qui fait penser qu’on s’achemine vers des partenariats public-perdant .

L’entente directe n’est pas à rejeter systématiquement

L’entente directe peut avoir des avantages comparatifs sur les procédures alternatives mais à conditions de respecter certaines règles.
On peut en effet, convenir au regard de la théorie économique des avantages potentiels de la procédure d’entente directe. D’emblée, il faut vite souligner que ces avantages sont assis sur un certain nombre d’hypothèses. En effet, la théorie des contrats relationnels part du postulat que les contrats sont nécessairement incomplets du fait de la non-vérifiabilité de certaines dimensions de la relation. Sur cette base, elle met en évidence que la perspective de profits futurs a un effet disciplinant sur le comportement des parties au contrat. En les incitant à tenir compte de leurs réputations et des pertes que pourrait occasionner une réputation dégradée, la perspective de long terme de la relation ou sa possible répétition (reconduction d’un contrat) permet d’éviter les comportements opportunistes liés à l’incomplétude contractuelle. Mais cette proposition de la théorie fait l’hypothèse implicite que l’autorité contractante est bienveillante vis-à-vis du peuple mandant et si opportunisme il y a, elle ne peut se faire qu’au détriment du partenaire privé. Or, la réalité du Burkina Faso où les scandales de corruption dans la commande publique, dont la presse se fait régulièrement l’écho, sont légion laissent peu de possibilité pour soutenir l’hypothèse des autorités contractantes bienveillantes. Pire l’acheteur public peut se faire capturer par le partenaire privé s’il n’est pas lui-même ce partenaire privé par le mécanisme des prête-noms.
C’est pourquoi, la littérature économique recommande de faire jouer la concurrence pour le marché qui a l’avantage de réduire l’emprise de l’acheteur public sur le déroulement de la procédure. La présence des instances de contrôle et de régulation est un mécanisme qui joue contre l’occurrence des comportements opportunistes et des acheteurs publics et des partenaires privés.
De la nécessité de l’évaluation des politiques publiques avant toute modification
Comme montré ci-avant le principe de cohérence veut que l’impact réel des instruments soit mesuré. Or à notre connaissance, il n’y a eu aucune analyse d’impact de la réglementation (AIR) entre le passage de la loi n°020-2016/AN du 22 juillet 2016 portant allègement des conditions d’exécution des projets, programmes et activités de développement et la loi n°039-2016/AN du 02 décembre 2016 portant réglementation générale de la commande publique. Même si la première loi pouvait être considérée comme transitoire parce qu’adoptée pour six (06) mois, cela ne saurait constituer une excuse. De la même façon, nous ne sommes pas au courant d’une AIR entre le passage de la loi n°020-2013/AN du 23 mai 2013 portant régime juridique du partenariat public-privé au Burkina Faso à la loi PPP (adoptée par l’Assemblée nationale le 03 juillet 2017). On peut en dire autant pour le passage du décret n°2017-0049/PRES/PM/MINEFID du 1er février 2017 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public au décret modificatif adopté en Conseil des ministres le 23 juin 2017.
On le voit clairement, ces textes que le gouvernement veut modifier ont eu une durée de vie théorique moyenne d’au plus deux (2) ans. C’est à peine si les acteurs concernés ont eu le temps de s’informer de l’existence de ces textes à plus forte raison de s’en imprégner de leur contenu. Une analyse d’impact de la réglementation (AIR) telle que recommandée par l’OCDE aurait permis de diagnostiquer et de savoir qui des comportements des acteurs ou des règles, le gouvernement devait modifier et dans quel sens. L’AIR est une démarche systémique d’évaluation critique des effets positifs et négatifs de la réglementation en projet ou en vigueur, ainsi que des substituts non réglementaires. Il s’agit par essence d’un outil favorisant une approche de l’action publique basée sur les faits. L’OCDE a mis en évidence que l’application de l’AIR dans un cadre bien défini peut aider les autorités à mieux veiller à l’efficience et à l’efficacité de la réglementation. Toutes choses qui permettent d’assurer la cohérence des politiques et éviter l’improvisation.
Il y a donc lieu à notre sens que le débat se focalise moins sur les chapelles politiques des uns et des autres pour se recentrer sur l’impact économique à long terme de ces modifications (tout azimut) de textes au prétexte de voir aller vite. C’est déjà bien de vouloir aller vite mais c’est encore mieux d’aller vite et bien. Car derrière la procédure d’entente directe qui ne bénéficie qu’aux seuls heureux « invités au repas du seigneur », c’est le tissu entrepreneurial qui va flétrir, et cela peut aggraver le chômage ambiant des jeunes, auquel le gouvernement, malgré les déclarations de bonne intention, peine à trouver une solution.

Professeur Idrissa M. OUEDRAOGO,
Enseignant-chercheur en économie