S’estimant diffamés, six magistrats membres de la commission d’enquête du conseil supérieur de la magistrature attaquent par la procédure pénale, le directeur de publication du journal Lesoir.bf. Et réclament 60 millions de F CFA de dommages et intérêts

Hier 13 juillet, notre confrère Lookmann Sawadogo, directeur de publication du journal Le Soir était appelé devant la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Ouagadougou. Il y a été attrait par six magistrats membres de la commission d’enquête du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mise en place le 28 juillet 2016 pour statuer sur les manquements gaves à l’éthique et à la déontologie dont seraient coupables certains magistrats. Ils l’accusent de les avoir diffamés et avoir porté atteinte à leur honorabilité dans un article publié sur la page facebook du journal, lesoir.bf dont il est le directeur de publication. En plus d’une éventuelle condamnation à la prison, ils réclament le paiement de 60 millions de FCFA à titre de dommages et intérêts, soit 10 millions par requérant,-rien que ça !-, un (1) million pour les frais, la publication de la décision sur la page facebook du prévenu durant une semaine, et dans deux quotidiens pendant deux jours.
Défendus par Maître Hervé Kam, par ailleurs porte-parole du Balai citoyen, seuls quatre d’entre eux étaient présents à l’audience : Jean Kondé, Laurent Poda, Karfa Gnanou et Seydou Barro. Mais l’audience n’a duré que quelques minutes, avant d’être reportée au 27 juillet, le temps pour les avocats de Lookmann Sawadogo d’apprécier des pièces du dossier transmises tardivement par l’accusation, notamment l’article incriminé et les commentaires des internautes. Interrogé sur ce point, Maître Kam répond par un sourire qui laisse penser qu’il s’agit juste d’une manœuvre de son confrère du camp adverse pour gagner du temps.
Mais crime a pu commettre notre confrère pour mériter d’être cité, non en vertu de la loi sur le délit de presse votée en décembre 2015 par le Conseil national de la Transition (CNT), mais sur la diffamation de droit commun basée sur le code pénal ?
Car, évidemment, le choix n’est pas anodin. La loi CNT portant sur le régime juridique de la presse en ligne au Burkina consacre la dépénalisation des délits de presse, et fixe « de cinq cent mille (500 000) francs à trois millions (3 000 000) de francs CFA, quiconque commet par voie de presse en ligne une diffamation envers les cours, les tribunaux, les forces de défense et de sécurité et les corps constitués » (Art 91). Les plaignants veulent-ils juste laver leur honneur qui aurait été sali ou veulent-ils le ruiner et envoyer en prison Lookmann Sawadogo, par ailleurs animateurs de l’émission hebdomadaire Presse Echo, diffusée sur BF1 ? Il n’est pas interdit de poser cette question, en attendant que le juge dise le droit, en l’occurrence, la loi sous laquelle sont traités les délits de diffamation dans notre pays.
Si à l’audience du 27 juillet, le dossier n’est pas à nouveau renvoyé, ce qui, dans l’absolu n’est pas exclu, on pourra alors entrer dans le fond de l’affaire et examiner l’extrait de l’article de notre confrère que les magistrats incriminent.
Titré, « Comité d’enquête soupçons de corruption de magistrats : un gros poisson parmi les membres enquêteurs ? », l’auteur avait révélé que « des soupçons de choses peu catholiques pèseraient sur un des membres du comité. Cela concerne une dame qui menacerait de porter plainte si ce n’est déjà fait, pour de l’argent dit-on, perçu contre service mais dont le coup de main dans un dossier n’aurait pas été effectué. La dame en question s’est attaché les services d’un avocat pour porter l’affaire en justice. Mais, tout semble-t-il est mis en œuvre pour étouffer l’affaire comme on noie un poisson dans l’eau ».
Une semaine plus tard, l’Observateur Paalga enfonçait le clou sur le même sujet dans Lettre pour Laye du 14 avril 2017. « Cette révélation laissait entendre qu’un membre de la commission d’enquête du Conseil supérieur de la magistrature était accusé par un justiciable de faits de corruption. Après avoir fouiné dans le milieu, il nous revient qu’effectivement une des éminences de cette commission censée être composée de membres au-dessus de tout soupçon fait l’objet d’une plainte. Les auditions auraient même commencé et des déballages seraient en cours », écrit le doyen des quotidiens burkinabè.
Dans son rapport remis le 6 juillet dernier, la commission d’enquête ne parle même plus de soupçons, puisqu’elle écrit noir sur blanc que « sur 51 dossiers, la commission a conclu à l’existence de manquement à l’éthique et à la déontologie dans vingt-neuf (29) dossiers et impliquant trente-sept (37) magistrats principalement, et incidemment trois (3) avocats, cinq (5) greffiers, quatre (4) OPJ et APJ de la gendarmerie nationale ». Le citoyen burkinabè découvre les pratiques peu orthodoxes en cours parmi les professionnels du droit : monnayage de la programmation des dossiers ; monnayage de la liberté provisoire notamment à l’instruction et au niveau des chambres correctionnelles des cours d’appel, monnayage du recouvrement de sommes d’argent dans les cabinets d’instruction et dans les sous-unités de police judiciaire au profit des victimes avant toute décision ; décisions de mesures de garde à vue pour contenter la victime et recevoir de sa part des présents.
De manière officielle, la commission d’enquête confirme les arrangements d’arrière- boutique que la presse a dénoncés quelques semaines plus tôt. D’après un proche des plaignants, ces derniers en veulent à notre confrère pour avoir écrit que « tout semble-t-il, est mis en œuvre pour étouffer l’affaire comme on noie un poisson dans l’eau », même s’il ne le dit pas expressément.

A la veille de l’audience, des organisations professionnelles des médias et de défense des droits de l’homme ont apporté leur soutien au journaliste et dénoncé le choix de la citation directe en matière en matière correctionnelle engagée contre lui et non en vertu de la loi sur le délit de presse.
Sans dévoiler leur stratégie de défense, les avocats de Lookmann Sawadogo, Maître Anna Sory Ouattara et Christophe Birba se disent sereins, et promettent batailler pour que le droit soit dit.
Rendez-vous le 27 juillet 2017 à 8 heures.

Joachim Vokouma
Kaceto.net