Les Kényans attendaient jeudi avec impatience et une certaine angoisse l’officialisation du vainqueur de l’élection présidentielle, dont les résultats provisoires donnaient le sortant Uhuru Kenyatta largement en tête mais ont été rejetés par son rival Raila Odinga.

Dès le lendemain de l’élection de mardi, des violences sporadiques - qui ont fait quatre morts - ont éclaté dans plusieurs fiefs de l’opposition, dans l’ouest du pays et dans les bidonvilles de Nairobi, où les déceptions électorales sont fréquentes et souvent accompagnées de tensions.

Ces incidents ont ravivé le souvenir des violences post-électorales de 2007-2008, les pires depuis l’indépendance en 1963, qui avaient fait au moins 1.100 morts et plus de 600.000 déplacés, et traumatisé un pays jusque-là réputé stable.

"Nous sommes à nouveau à la croisée des chemins", notait jeudi dans son éditorial le quotidien The Daily Nation. "La Nation est assise au bord du précipice, dans un équilibre précaire. La dispute sur les résultats électoraux crée inutilement de l’anxiété."

Tous les yeux sont désormais tournés vers la Commission électorale (IEBC), l’organe indépendant chargé de garantir l’équité du scrutin mais dont l’opposition n’a cessé de mettre en cause l’impartialité pendant la campagne.

Il revient à l’IEBC d’officialiser les résultats. Pour l’heure, ceux transmis électroniquement par près de 97% des bureaux de vote donnent 54,27% des suffrages au président Kenyatta, contre 44,84% à M. Odinga, sur un total de 14,7 millions de votes comptabilisés.

Mais pour que ces résultats puissent être validés, ils doivent être corroborés par les procès-verbaux venus des 40.883 bureaux de vote et que la commission n’a pas encore tous reçus.

L’IEBC n’a pas indiqué quand elle serait en mesure de proclamer le vainqueur. Elle a cependant l’obligation légale de le faire au plus tard sept jours après l’élection.

 Une nuit calme -

La coalition d’opposition Nasa a contesté les résultats provisoires donnés par l’IEBC, expliquant qu’ils auraient dû, avant publication, être confrontés aux procès-verbaux.

Elle a aussi lancé une accusation très sérieuse en affirmant que des pirates avaient pénétré le système informatique de l’IEBC grâce aux codes d’accès du responsable informatique de la commission assassiné fin juillet, et avaient "manipulé" les résultats en faveur de M. Kenyatta.

Raila Odinga, 72 ans, qui se présentait pour la quatrième fois à une présidentielle, a dénoncé "une fraude d’une gravité monumentale". "Il n’y a pas eu d’élection", a-t-il asséné.

L’IEBC a tardé à démentir ces allégations, avant de le faire mercredi soir. "Notre système de gestion des élections est sécurisé. Il n’y a eu aucune interférence interne ou externe à notre système, à quelque moment que ce soit", a affirmé Ezra Chiloba, son directeur exécutif.

Les accusations de l’opposition ont agité mercredi certaines zones acquises à sa cause. A Kisumu (ouest), des centaines de manifestants ont érigé des barricades et brûlé des pneus.

Comme dans tout le pays, où 150.000 membres des forces de sécurité sont déployés, la nuit a cependant été calme à Kisumu. Seules les traces noirâtres des feux, les débris de verre et pierres dans les rues, et quelques barricades pouvaient encore être observées jeudi matin, selon un journaliste de l’AFP.

Mercredi, les échauffourées les plus sérieuses avaient eu lieu à Nairobi, qui donnait l’impression d’une ville morte en son centre, les gens préférant éviter de se déplacer.

A Mathare, un bidonville de la capitale, la police avait tiré à balles réelles, tuant au moins deux personnes qu’elle a accusées d’avoir tenté d’attaquer des policiers "avec des machettes".

 Dernière bataille -

Deux hommes ont également été tués par la police dans le comté de Tana River (sud-est), après avoir attaqué, armés de couteaux, un bureau de vote où le comptage était encore en cours.

Dans ce contexte tendu, l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, qui dirige la mission d’observation électorale de l’ONG Carter Center, a appelé mercredi les dirigeants kényans à "prendre leurs responsabilités".

Même s’il a affirmé "ne pas contrôler le peuple", et a pour l’instant appelé au calme, Raila Odinga jouera un rôle crucial pour éviter que la situation ne dégénère et ses prises de parole seront attentivement écoutées au sein de son ethnie luo, dans un pays où le vote se joue avant tout sur des sentiments d’appartenance ethnique.

En 2007, il avait rejeté la réélection de Mwai Kibaki, lors d’un scrutin entaché de nombreuses fraudes selon les missions d’observation électorales. Le Kenya avait plongé dans deux mois de violences politico-ethniques et de répression policière. En 2013, il avait aussi contesté sa défaite et s’était tourné vers la justice, qui lui avait donné tort.

L’enjeu est capital pour M. Odinga, qui joue la dernière bataille d’une longue rivalité dynastique avec la famille de M. Kenyatta, 55 ans.

Son père, Jaramogi Oginga Odinga, fut brièvement vice-président, avant de perdre la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d’État Jomo Kenyatta, le père d’Uhuru.

Autre grand enjeu de ces élections, les Kényans attendent de connaître leurs prochains gouverneurs, qui disposent d’un réel pouvoir d’action dans le cadre de la décentralisation mise en œuvre en 2013.

AFP