Plus qu’une boutade, ces mots de Simone de Beauvoir préfigurent le point de vue que nous voulons, ici, soutenir à la suite de notre publication sur les données naturelles de la féminité.

Dans cet article précédent, il est apparu que dans toutes les espèces vivantes, la nature distingue, plus ou moins visiblement, la femelle du mâle. La morphologie, l’anatomie et la physiologie constituent, chez les animaux supérieurs, un substrat génétiquement déterminé, duquel se déduit fatalement le mode d’être au monde de la femelle. Mais, l’humain, qui occupe le sommet de la pyramide des vivants, est loin d’être réductible à la condition animale. Du même coup, La femelle de l’humain est plus qu’une femelle. Elle est la féminine. Elle porte la féminité culturelle, riche de millénaires de valeurs crées, accumulées et transformées par l’homme. La féminité, en ce sens, est un modèle social, un moule de civilisation, qui précède la naissance de la femme. On naît femme, mais c’est l’éducation, reçue d’une société, qui nous indique, nous impose ou nous propose des schèmes pour devenir féminine. En quoi consiste alors ce processus de reproduction culturelle de la féminité à travers la vie des femmes ?
Le processus d’apprentissage de la féminité
Entre la femelle et la féminine socialement validée, il y a un grand fossé, à l’image de l’écart qui sépare l’état de nature et la civilité. Du point de vue de la morphologie, il faut que chaque fille s’astreigne à un apprentissage pour devenir féminine. C’est comme si l’on disait que la nature n’a pas tout réglé chez l’humain, et qu’il ne suffit pas de naitre pour être. La fille de l’homme doit apprendre et intérioriser le savoir être féminin. Ce savoir être, est tout à la fois dans la forme, l’allure, la posture, la parure, toutes choses qu’on peut regrouper sous le label de savoir paraitre. Il s’agit, dans ce registre, de spécifier ce que la nature n’a pas spécifié. Toutes les civilisations ont, par exemple, eu des modèles d’accoutrement, de parure et de coiffure typiquement féminins. En règle générale, quelle que soit la norme de corpulence féminine dans une culture, on exclut toujours la musculature, que l’on considère réservée aux hommes. Dans nos sociétés contemporaines de normes occidentales, l’idéal de la morphologie féminine est celui que nous exigeons de nos miss ; c’est la taille fine. La femme idéale, que nos médias colportent, est mince sans être maigre, élancée sans être géante. De tels critères esthétiques exigent de garder la ligne à tout prix, par la diététique ou par la chirurgie, quand trop de rondeurs s’invitent là où il ne faut point. Sous d’autres cieux et en d’autres temps, la femme devait être bien en chair, sans cependant être musclée comme l’homme. Dans tous les cas, cette exigence de morphologie s’accompagne toujours d’un moulage de la démarche. Dans toutes les cultures, on trouvera une allure féminine qui s’apprend. Etre femme, c’est marcher comme une femme, c’est démarcher comme une reine, en créant l’harmonie entre les mouvements des différentes parties du corps, sans précipitation, sans brutalité, avec charme et nonchalance. La femme idéale a une allure féline ou féérique ; elle pose galamment et paresseusement ses pas. On exige ainsi qu’elle soit belle jusqu’à ses façons de marcher, de s’arrêter, de s’assoir, de rire, de bailler, de dormir.
L’exigence d’esthétique devient encore plus rigide quand il s’agit de la parure. C’est elle qu’on impose à la fillette comme première aspiration. La femme n’a pas le droit d’être débraillée, mal vêtue. Pour la pudeur, pour l’hygiène, parfois pour l’honneur des siens, la femme doit être proprement et décemment vêtue. Pour l’esthétique contemporaine, elle doit être galamment habillée, dans un style qui laisse transparaître sa féminité, qui met en exergue sa forme, son teint, sa démarche. Tout style féminin rehausse ainsi la femme qui l’adopte et relève la présence du féminin dans l’univers. De ce point de vue, la féminité a un coût économique qui devance, de loin, celui de la masculinité. La condition féminine est bien exigeante, quel que soit le milieu social où on l’observe.
Le poids de la condition féminine s’alourdit d’ailleurs, quand on se situe sous l’angle moral. Presque de façon universelle, la féminité rime avec certaines qualités morales. On exige que la femme incarne la douceur, la générosité, la bonne humeur, la fidélité, la soumission au mâle, voir au monde tout court. Quelle que soit sa condition de vie, on attend d’elle, sourire et rire, beauté et charme, amour et esprit de compréhension, hospitalité et dévouement. La femme doit savoir être, la mère et la compagne, la nourrisse et l’éducatrice, l’épouse et la confidente, la maîtresse de maison et la bonne de la maison.
Au bilan, on peut retenir que la féminité est un pan important de la civilisation des hommes. Loin d’être une donnée brute de la nature, elle est un schéma socioculturel qui s’apprend, se cultive, se colporte et se raffine au fil des générations. Le bon féminisme ne consiste d’ailleurs pas à nier ce modèle social d’être femme ; il revendique la parité et l’égalité entre les genres de sexe au sein du corps social. Le monde est plus beau, quand il mêle les deux genres sans les hiérarchiser. Mais, à force de confusion et de mauvaise interprétation de l’égalité, nous voilà aux portes d’un autre monde où, finalement, la féminité est en recul vers l’état purement animal. Puisque, hommes et femmes, nous sommes tous devenus des sans culottes, puisque, nous auréolons les mêmes coiffures, les mêmes boucles aux oreilles, puisque, nous portons les mêmes types de chaussures et les mêmes parures, puisque, nous marchons avec les mêmes allures au rythme de l’ascenseur, du bus ou du métro qui arrive, de l’avion qui doit prendre son envol, puisque, la machine a indifférencié les tâches domestiques, puisque tout cela, nous sommes en train de pousser notre civilisation vers l’abolition de la barrière culturelle entre la féminité et la masculinité, pour n’avoir que des mâles et femelles dans le navire humain, au sens biologique de ces mots. Là encore, c’est sans compter ce droit à la liberté de choisir d’être femme sans l’être de nature, et d’être féminine pendant même qu’on a tout pour être masculin. Enfin ! Là, c’est le droit des gens !

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie