C’est une foule nombreuse qui est venue dire ses adieux au président de l’Assemblée nationale du Burkina hier 22 août après-midi au Funérarium des Batignolles à Paris. Burkinabè et non Burkinabè ont salué la mémoire « de l’ami, du parent, du frère et du camarade », selon les mots de Maître Bénéwendé Sankara

La cérémonie de levée et de mise en bière du corps du Président de l’Assemblée nationale (PAN), Salifou était prévue pour 14 heures. Mais, bien avant l’heure, il y avait déjà du monde devant le Funérarium des Batignolles dans le 17 è arrondissement de Paris. Tous ceux qui sont là ont l’air grave. C’est vrai que l’endroit ne se prête guère aux éclats de rire. Burkinabè et non Burkinabè ont voulu rendre un vibrant hommage au PAN, Salifou Diallo, décédé brutalement le 19 août dans sa chambre d’hôtel à Paris alors qu’il entamait un repos médical après un check-up à Tunis. Le personnel de l’ambassade est massivement présent. Les « Koros » de la communauté burkinabè à Paris aussi. Fidèle Kientéga, ancien compagnon de Thomas Sankara et Pierre Ouédraogo, ancien secrétaire général des Comités de défense de la révolution (CDR), déjà aux côtés de la veuve depuis le 19 août, sont arrivés.
Progressivement, on se dirige vers l’entrée du Funérarium. A 13h52mn, la famille du défunt, accompagnée de la délégation dépêchée de Ouaga, fait son entrée dans le bâtiment. Bien entendu, il y a Chantal Diallo et sa mère, Alimata Salembéré, très éprouvée ; à leurs côtés, l’ambassadeur du Burkina à Paris, Alain Gustave Ilboudo, au four et au moulin depuis samedi, Sherif Sy, l’ex-président du parlement de Transition, Maître Bénéwendé Sankara, premier-vice président de l’Assemblée nationale, le ministre de la Fonction publique Clément Sawadogo, arrivé à Paris depuis quelques jours, Dieudonné Bonanet, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Juliette Bonkoungou, députée du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Alassane Sakandé, président du groupe parlementaire du Mouvement du peuple pour le progrès (le parti au pouvoir), le député Charles Lona de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et le député Aziz Diallo. On y aperçoit aussi l’ambassadeur de France à Ouaga, Xavier Lapeyre de Cabanes, qui a interrompu ses vacances pour se joindre à la délégation qui raccompagne la dépouille à Ouaga, Frédéric Korsagha, ancien ambassadeur du Burkina à Paris, et bien sûr, le Secrétaire général du MPP section France, Sibiri Nabaloum et son homologue UPC, Edouard Sanou.

L’atmosphère est lourde et la parole se fait rare. On chuchote entre voisin. Le silence est finalement rompu par l’attaché de presse à l’ambassade du Burkina à Paris, Auguste Bambara qui annonce une cérémonie très sobre. Pas de discours. La préparation du cadavre de Salifou Diallo est terminée et le cercueil dans lequel il repose s’y trouve dans la salle attenante à l’entrée. Il n’y a pas de protocole préparé à l’avance ; donc on improvise. C’est la famille Diallo qui est d’abord invitée à se recueillir, dans l’intimité autour du cercueil. Des malins qui s’étaient introduits dans la file sont écartés. « Pour l’instant, seulement les membres de la famille Diallo », rappelle t-on à haute voix. Quelques minutes après, c’est autour des personnalités venues de Ouaga et de Paris qui sont invitées à pénétrer dans la salle mortuaire. Trois couronnes de fleurs, envoyées par le président ivoirien Alassane Ouattara, le MPP France et l’association la Fraternité du Yatenga sont déposées autour du cercueil, tapissé d’un drap blanc. Salifou Diallo porte une veste bleu foncé et une cravate rouge à pois.
C’est Maitre Sankara qui entre le premier dans la salle. Mâchoires serrés, les yeux rougis, il s’avance vers le cercueil, s’immobilise un instant devant le corps de celui dont il est le vice-président à l’Assemblée nationale. Comme pour constater, les mains jointes, que, oui, Salifou Diallo est bien mort. Il effectue deux pas et se retrouve juste derrière la tête du défunt. Nouvelle pause et constat d’impuissance. Gorge nouée, tête baissée, dans un total désarroi, Maître Sankara rejoint la place qui lui est réservée. Il est suivi par Juliette Bonkoungou, troisième vice-président à l’Assemblée nationale. Moments d’intense émotion. Sanglots étouffés, la députée essaie de contenir ses larmes. La main posée sur le bord du cercueil, elle fixe le visage de Salifou comme si elle cherchait désespérément à nouer un dialogue. Puis, elle craque et fond en larmes, littéralement submergée par l’émotion.
Costume Mao blanc, Sherif Sy joue au dur, mais son visage est défait, dévasté par la douleur. Les mains sur le cercueil, il bredouille des prières à l’intention du défunt. Quand son tour est arrivé, l’ambassadeur de France à Ouaga, Xavier Lapeyre de Cabanes préfère se cacher le visage. Pour ne pas voir « l’horreur ».
La file des personnalités est à présent terminée et le public des anonymes va pouvoir à son tour s’incliner devant le cercueil. C’est dans la dignité que tous ceux qui ont fait le déplacement aux Batignolles pour rendre hommage à celui a été au devant de la scène politique depuis octobre 1987 aux côtés du président Blaise Compaoré jusqu’en 2008, début de la brouille qui a débouché au divorce de 2014.

Puis, vint l’heure de la prière, dite par les frères musulmans. L’assistance est invitée à se mettre debout. Autour du cercueil, les leaders de la communauté musulmane se concertent. Visiblement, quelque chose coince. Les conciliabules durent cinq bonnes minutes. Dans l’assistance, on se demande bien quel est le problème. La réponse finit par tomber. Ceux qui doivent diriger la prière exigent trois choses en préalable, explique Romain Bambara : d’abord, que le cercueil soit tourné vers l’Est, ensuite que les musulmans soient devant, et enfin que les femmes se mettent derrière. Les deux premières exigences sont vites respectées, mais s’agissant du premier, l’affaire n’est pas simple. Dans cette salle funéraire du 17è arrondissement, dans le Nord-Ouest de Paris, où se trouve l’Est ? Le cercueil, qui était posé sur un support fixe, est transféré sur un chariot. On se met d’accord dans un premier sur l’emplacement du cercueil, avant de vite se raviser. L’imam ordonne de pousser légèrement le chariot vers la droite. « Dieu est partout », commente à voix basse, un monsieur. En d’autres circonstances, ce « manège » prêterait à un fou rire !

Dans sa prière, l’imam, originaire du Sénégal, a demandé de prier pour le défunt et sa famille, « quelque soit la langue dans laquelle vous vous exprimez et quelque soient vos convictions religieuses ». Il a rendu hommage aux combats menés par le disparu aussi bien au Burkina qu’en Afrique, et invité l’assistance à « prier pour sa famille ».
On s’achemine vers la fin de la cérémonie. Maître Sankara se lève et demande à dire un mot. Juste pour remercier tous ceux qui sont venus rendre hommage à « l’homme du peuple, celui-là qui a aimé son peuple et qui a tout donné pour son peuple ».

On évacue la salle pour que les musulmans procèdent aux derniers rites et prières avant que le corps ne soit transféré dans le corbillard et transporté à l’aéroport.
Au moment où vous lisez ces lignes, l’avion présidentiel, le Pic du Nahouri, a décollé du Bourget avec à son bord plus d’une vingtaine de personnes. Ceux qui n’ont pas eu de place rejoindront Ouagadougou par le vol d’air France.

Joachim Vokouma
Kaceto.net