Suite de la réflexion sur le vivre ensemble. Nos différences, nos identités multiples sont une source de richesse et ne saurent être des causes de conflits permanents

"Notre dernière publication a mis en exergue l’exigence de vivre ensemble avec nos différences. Nul n’est d’ailleurs besoin de doctrine pour justifier un tel impératif. En effet, qui dit richesse culturelle, dit aussi diversité ; et, autant la diversité biologique est à sauvegarder dans la nature, autant la pluralité culturelle est à nourrir au sein de nos sociétés. C’est bien la chance de notre espèce, que d’être la seule capable de plusieurs modes de vie. Notre diversité est le patrimoine humain à préserver contre tous les dangers de réduction monolithique et totalitariste. Cependant, l’espoir n’est permis que si nos différences peuvent composer les unes avec les autres, que si nos identités peuvent s’harmoniser et nos modes de vie se conjuguer sans réciproquement se nier. Dans ce sens, deux impératifs s’imposent à nous : d’abord, il nous faut bâtir, partout, des sociétés laïques où la loi dicte à chacun les limites nécessaires au respect de l’autre. Ensuite, nous devons éduquer chaque être humain du village planétaire, au principe et à la pratique de la tolérance, au respect de l’identité d’autrui.

Vivre ensemble sous la loi

Être ensemble sous la loi, sans négation réciproque, sans aliénation d’une des parties, induit le rejet des sociétés totalitaristes qui imposent des modes de pensée, des croyances religieuses et des régimes de vie culturelle. Les États religieux, les religions d’État, les velléités de dominations racistes, ethniques ou nationalistes, sont des choses qui sont à l’antipode d’une humanité riche en valeurs surajoutées à notre brute et abrupte nature d’animal supérieur doué de conscience. Ce qu’il nous faut alors, ce sont des sociétés où la loi est fondatrice et garante des libertés d’opinion, de croyance, de culte et de mode de vie. Naturellement, il faudra que chaque liberté s’arrête là où commence celles des autres, et que toutes les libertés soient pratiquement compatibles avec l’ordre contractuellement institué. Le rôle régalien de l’État et de la loi, dont l’application est à sa charge, est alors de freiner tous les excès qui constituent des entraves à l’expression de la diversité identitaire, de protéger les minorités culturelles et de servir de cadre normatif, par le bornage des marges de comportement individuels et collectifs. Dans cette optique, tout n’est pas à faire, parce que de grands pas ont déjà été posés par nos devanciers des siècles antérieurs. En effet, le grand héritage de notre époque est cette magnifique rencontre entre la liberté proclamée comme principe de vie et la laïcité célébrée comme norme de société. Ainsi, la vie culturelle, le mode de pensée et d’existence de chacun de nous, sous réserve du respect des lois et des droits d’autrui, ne sont plus guère des affaires d’État, mais d’option personnelle. Tant que l’on restera dans ce cadre, la gandoura de Mamadou côtoiera l’ensemble veste occidentale de Jonathan, dans ce même bureau où tous deux sont au service de la république, et où, à la pose déjeuner, deux régimes alimentaires, précédés de deux prières non similaires, s’accompagnent sans s’affronter. Cette symbiose, de deux libertés et de deux identités incarnées, est possibles grâce essentiellement au précieux principe de la laïcité. C’est la mise en œuvre de ce principe qui permet de séparer le domaine publique de la sphère privée de vie.
La laïcité consiste à proclamer : « chacun a sa vie, ses croyances, ses opinions ; la vie commune, elle, relève du domaine publique ; elle est citoyenne et sans référence à des valeurs individuelles où groupusculaires ». Dans ce sens, nous pourrons toujours nous dire : La mosquée est pour toi et c’est ton choix que garantit la loi. Le temple, la synagogue, la cathédrale et la case des ancêtres, sont pour d’autres qui bénéficient également de la même bienveillance des lois. Par contre, le marché, les restaurants ouverts au public, la rue, les transports publics, les institutions républicaines et les services étatiques ou communautaires, l’hôtel de ville, la forme et le contenu de l’école, tout cela appartient au domaine public et constitue le cadre de notre vie commune. La laïcité est une belle aubaine pour les sociétés contemporaines, faites d’identités diverses, d’aspirations contradictoires et d’expressions culturelles différentes. C’est elle qui permet de gérer le melting-pot du pays de Georges Washington où vivent dans les mêmes espaces, musulmans, chrétiens, indiens, hindous, bouddhistes et libres penseurs. C’est elle également qui est le ciment de la vie dans ce beau pays qu’est le Burkina Faso où se conjuguent une soixantaine d’identités culturelles et deux religions révélées, que sont l’islam d’Orient et le christianisme d’Occident. Dans l’ordre des relations interpersonnelles, la laïcité est aussi une voie salutaire. Par exemple, même si je ne suis pas ton frère en Christ ou en Mahomet, même si nous n’avons pas subi la même initiation de la tradition, je demeure ton frère en la loi, je suis ton concitoyen, celui qui habite la même cité que toi. Frères, nous le sommes, dans la cité, sous la république, sur la terre des hommes, jusqu’à ce que le ciel veuille peut-être bien nous séparer, ou d’avantage nous fondre !
Au bilan transitoire, nous retenons que le cadre républicain et les lois laïques posent magnifiquement tous les jalons de « l’être ensemble » dans la différence. Mais, on peut s’en douter, le vivre ensemble est loin d’être du ressort exclusif de l’État et des lois. Certes, le contrat social républicain nous réunit ; il fixe les normes, prescrit les droits et les devoirs, proscrit toutes les sources d’entorse à la coexistence harmonieuse des identités. Cependant, la loi ne règle pas tout, et elle n’amortit pas le conflit des identités ; elle ne nous oblige pas à nous parler, à nous accepter mutuellement, à sympathiser, à nous aimer. La loi m’oblige à composer avec la différence des autres, mais elle ne peut m’empêcher d’avoir ce dédain, ce mépris, pour ce qu’ils sont, et pour ce qu’ils font. Du mépris à la violence, le pas est alors infime, et seule l’éducation à la tolérance peut se prêter comme antidote préventif à ce mauvais pas. Nous avons donc toutes raisons de consacrer notre prochaine publication aux principes de la tolérance, du respect de la différence d’autrui et de l’acceptation de la diversité culturelle dans nos sociétés démocratiques et républicaines.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net