Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l’actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Vingt-quatrième épisode : août 2017. Si vous avez manqué l’épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Santé

Avorter en plein été, un parcours de la combattante
Médecins en vacances, cabinets fermés, saturés : plusieurs femmes ont raconté à franceinfo leurs difficultés pour obtenir une interruption volontaire de grossesse (IVG) en plein été. « Les vacances des personnels médicaux forcent certains centres à fermer, allongeant les délais pour recourir à un avortement », explique la journaliste Mathilde Goupil dans l’enquête. Alors même que le ministère de la Santé oblige les Agences régionales de santé à maintenir la possibilité d’avorter durant l’été. Une femme raconte avoir dû attendre « au moins cinq semaines pour obtenir un rendez-vous » l’année dernière - alors que la Haute autorité de santé recommande l’obtention d’une consultation « dans les cinq jours suivant [l]’appel ». Elle a aussi dû se résoudre à recourir à une IVG chirurgicale (obligatoire après neuf semaines d’aménorrhée), alors qu’elle souhaitait initialement une IVG médicamenteuse. Faute de places, certaines patientes sont aussi renvoyées vers des hôpitaux situés dans des départements voisins, avec des frais de transport à leur charge, voire à l’étranger. Dans ce cas, l’IVG n’est pas remboursée, explique dans l’article Valérie Séhier, du Planning familial.

Cependant la situation s’améliore, notamment grâce à la mise en place de mesures depuis 2012, comme la suppression du délai de réflexion. Le Haut conseil à l’égalité (HCE) réclamait tout de même en janvier « un moratoire sur les fermetures des centres IVG » (plus de 130 entre 2001 et 2011) et la mise en place de « testings » dans les établissements publics pour s’assurer que les IVG sont bien possibles jusqu’au terme légal de douze semaines de grossesse.

En août, Libération a aussi enquêté sur les violences gynécologiques, qui soulèvent des questions autour de l’intimité de la femme, interrogé la pratique devenue controversée de l’accouchement à domicile, et relayé la dépénalisation de l’avortement au Chili.

Corps, sexualités et genres

Des ados kényanes inventent une appli contre l’excision
Elles sont âgées de 15 à 17 ans et se font surnommer les « restorers » (les réparatrices). Cinq adolescentes kényanes ont conçu une application pour lutter contre l’excision. Interdite au Kenya depuis 2001, l’ablation partielle ou totale du clitoris et/ou des lèvres est pourtant toujours pratiquée, rappelle TV5 Monde. Selon une étude de l’OMS réalisée en 2008-2009, 27 % des Kényanes ont subi des mutilations génitales.

Baptisée « I Cut », l’application doit mettre en contact les filles en danger et les services de secours grâce à un système du bouton d’alerte, une technologie notamment inspirée des téléphones grave danger permettant de prévenir les violences conjugales. La plateforme veut aussi offrir une aide médicale et légale aux filles victimes de ces mutilations. Stacy Owino, Cynthia Otieno, Purity Achieng, Macrine Atieno et Ivy Akinyi n’en font pas partie mais racontent y avoir été confrontées via des amies proches, qui, comme la plupart des filles excisées, ont dû arrêter l’école. Avec leur projet, les lycéennes sont les seules Africaines à avoir participé au Technovation challenge, un programme qui sélectionne des projets innovants de jeunes filles à travers le monde. Elles n’ont pas gagné, mais comptent bien développer leur application.

En août, on a aussi relayé une polémique sur une activité extrascolaire « sport-minceur » réservée aux filles à Genève.

Sexisme « ordinaire »

La SNCF accusée de vouloir imposer le port de la jupe à des agentes
« Port de la jupe obligatoire pour servir café, boissons fraîches et le journal L’Équipe à une clientèle pro composée majoritairement d’hommes ! » : Dans un tract diffusé sur les réseaux sociaux mi-août, la CGT Cheminots de Rennes a accusé la SNCF de vouloir imposer le port de la jupe au personnel féminin pour un nouveau service « premium » destiné aux clients professionnels de première classe entre Rennes et Paris. La tenue aurait été présentée comme « plus élégante » par la présidente du CHSCT de l’entreprise fin juin lors de la présentation de l’offre, selon le tract syndical, qui cite aussi un document interne. Et en cas de refus, l’entreprise aurait menacé d’externaliser la prestation. « Au nom de l’emploi, tout doit être accepté et considéré comme acceptable par les femmes ? », s’indigne la CGT, qui pointe aussi « une conception sexuée de l’accueil », l’accompagnement au salon devant être réalisée par une « hôtesse dédiée » (et non un « hôte »), selon le document.

La direction régionale de la SNCF a démenti formellement, dénonçant « une mauvaise interprétation » du texte. « Les deux tenues, pantalon ou jupe, seront possibles comme toujours », a assuré la compagnie, qui insisté sur son engagement « pour la mixité ». Marie-Laure Barbu, membre de la CGT à la SNCF Rennes interrogée par LCI, nuance : « depuis plusieurs années, les droits des femmes au sein de l’entreprise reculent. Qui dit qu’à terme, un stéréotype physique ne va pas être imposé à toutes les femmes. Va-t-on devoir faire un 38 pour servir du café ? ». Elle demande à la SNCF de publier le compte rendu des propos tenus à la réunion.

En août, on a aussi relayé l’affaire des silhouettes sexistes de Dannemarie, qu’on vous résume ici, et sur laquelle le Conseil d’Etat a rendu une décision vendredi. Et sinon, des cris de chèvre (dont l’auteur n’a pas été identifié) ont été entendus à l’Assemblée nationale pendant qu’une députée s’exprimait.

Les Texanes obligées de souscrire à une « assurance viol »

Sur l’image, les trois hommes, souriants, posent à côté d’une loi anti-avortement tout juste signée. Le gouverneur républicain du Texas Greg Abbott a validé le 15 août la House Bill 214, un texte qui exclut la prise en charge de l’avortement des assurances maladie privées comme publiques. Et ce même en cas de viol, d’inceste ou de malformations du fœtus. Seul une femme enceinte se trouvant en urgence mortelle pourra bénéficier d’une assurance maladie. Les Texanes devront donc souscrire une assurance séparée (et payante) pour être couvertes en cas d’IVG. Sauf que ce genre d’assurance n’existe pas encore. Et que le principe suppose que les femmes doivent « anticiper » un potentiel viol suivi d’une grossesse, et leur fait porter la responsabilité financière et morale de ce crime.

Dans son tweet, le gouverneur texan, qui multiplie les projets de loi hostiles aux droits des femmes, se réjouit : « Nous avons signé une nouvelle loi pour s’assurer qu’aucun Texan n’est tenu de payer une procédure qui met fin à la vie d’un enfant à naître » en prenant part au système d’assurance maladie. Comme l’explique Slate, le cas texan n’est malheureusement pas isolé : la moitié des Etats américains interdisent aux assurances publiques de couvrir les avortements, et dix de ces Etats les ont également rayées des actes pris en charge par les assurances privées.

Ailleurs à l’étranger, le Liban a abrogé un texte permettant à un violeur d’échapper à une condamnation. En Inde, la répudiation chez les musulmans a été interdite, une décision « positive mais ambivalente » selon une chercheuse interrogée par Libération.

Droits civiques, libertés

Les compartiments pour femmes débattus outre-Manche
Des rames uniquement réservées aux femmes ? Le concept existe notamment dans le métro de Tokyo et a été introduit l’année dernière sur une ligne de train allemande. Outre-Manche, le député travailliste Christopher Williamson a relancé le débat sur cette mesure, déjà proposée par le chef de l’opposition Jeremy Corbyn en 2015, et loin de faire l’unanimité, y compris dans le parti. Face à la hausse du harcèlement sexuel dans les transports publics ces cinq dernières années, l’élu a donc proposé d’aménager des rames exclusivement réservées aux passagères pour leur éviter les agressions. Les femmes auraient le choix entre les compartiments mixtes, et ceux interdits aux hommes, a-t-il expliqué au site PoliticsHome. Une ségrégation pas vraiment du goût de plusieurs élues travaillistes, pour qui il faudrait d’abord sensibiliser les hommes plutôt que d’obliger les femmes à changer leur comportement : « restreindre les femmes dans leurs mouvements » revient à « normaliser » les agressions sexuelles, estime ainsi la députée Stella Creasy. « Le problème, ce sont les assaillants, pas la place des femmes dans les transports. » Le Women’s Equality Party s’est également opposé à la proposition. Restreindre la liberté des femmes pour assurer leur sécurité ? Pas question non plus pour l’écrivaine féministe Laura Bates, qui, dans une tribune parue dans The Independent, note également que les femmes qui feraient le choix de voyager en wagon mixte risquent d’être tenues pour responsables en cas agression. Et oseront encore moins porter plainte.

En août, le Népal a interdit l’« exil menstruel », qui consiste à bannir les femmes du foyer le temps de leurs règles. En Tunisie, le président a décidé d’ouvrir le débat sur l’héritage qui privilégie les garçons dans les pays musulmans.

Travail

Cuisine : où se cachent les cheffes ?

Pourquoi le guide Gault et Millau, créé par deux hommes, n’a t-il jamais attribué 5 toques à une femme, ni ne lui a décerné le prix de « cuisinier » de l’année ? Pourquoi le Michelin se fait-il tancer à chaque édition sur le nombre de femmes qui reçoivent ses macarons tant convoités ? Les femmes cheffes ne sont que 6% en France. C’est ce qu’on apprend dans Faiminisme, le premier ouvrage de Nora Bouazzouni (tout juste paru aux éditions Nouriturfu), dans lequel la journaliste remet en question la division genrée du travail dans ce milieu. Résultat : il y aurait d’un côté la « cuisinière » (à la maison, le temps moyen consacré à la popote est de 50 à 59 minutes pour les femmes et 15 à 18 minutes pour les hommes) et de l’autre « le chef » (dans les cuisines des grands restaurants).

La faute notamment au machisme ambiant dans le milieu de la gastronomie, à l’image du chef Paul Bocuse, dont l’auteure nous rappelle les dires au premier chapitre de son livre : « les femmes sont certainement de bonnes cuisinières pour une cuisine de tradition […] nullement inventive […] mais ce ne sont pas de bonnes cheftaines ». Outre les cheffes cuisinières, Nora Bouazzouni s’intéresse également au sexisme dans le monde agricole et à toutes les formes d’expression de la domination patriarcale à travers la nourriture. Dans sa préface, on peut lire : « Que ce soit par la division sexuée du travail, la ségrégation alimentaire ou l’orientation des pratiques de consommation à travers les interdits, les discriminations ou les diktats esthétiques, la nourriture sert à maintenir les femmes à la place qui leur a été assignée, depuis des millénaires, dans l’espace ou la société ».

En août, on s’est aussi demandé pourquoi les entreprises françaises étaient encore si récalcitrantes en matière d’égalité salariale. En Allemagne, le gouvernement a posé un ultimatum d’un an aux entreprises pour nommer plus de femmes à leur tête, sous peine de quotas.

Famille, vie privée

Une auteure québécoise dénonce le sexisme de la parentalité
Elle s’appelle Marilyse Hamelin et vient de publier un essai au Québec, Maternité, la face cachée du sexisme (Ed. Leméac), dont parlait au mois d’août le journal le Devoir. Elle y dénonce, à la suite d’Elisabeth Badinter et d’autres féministes, le mythe de l’instinct maternel, et refuse qu’on laisse croire que les femmes ont « la science infuse sur la parentalité », ce qui permet en fait souvent aux pères de s’exonérer des tâches liées à la parentalité. Elle revient aussi sur la socialisation des jeunes enfants, et dénonce le fait qu’on donne aux filles des poupées, leur montrant comme naturel le désir de maternité et la capacité à s’occuper d’enfants, contrairement aux garçons. Dans une interview vidéo au site du journal, elle en dit un peu plus.

Education

Au Québec, un petit guide pour sortir des stéréotypes sexistes à l’école
En cette rentrée, on n’insistera jamais assez sur l’importance de l’école dans la socialisation des enfants et leur appréhension de l’égalité filles-garçons. Toujours dans le journal québécois le Devoir, la même Marilyse Hamelin a publié à la fin du mois d’août un Petit guide pour éviter les stéréotypes sexistes en classe, fruit de la recension par deux organismes québécois de la littérature scientifique sur ces stéréotypes, comme celui consistant à penser que les filles sont bonnes en langues et les garçons en sciences, ou que ces derniers sont plus turbulents.

« Les parcours de décrochage et de raccrochage sont influencés par une socialisation différente des filles et des garçons […] les élèves qui adhèrent le plus aux stéréotypes sexuels sont ceux qui décrochent le plus », indique l’article, qui livre des pistes : prendre conscience de ses propres préjugés, déconstruire les stéréotypes sexuels (car « les normes sociales amènent des garçons à être moins engagés à l’école : une culture du jeu très présente, la transgression perçue comme virile, la forte préoccupation de s’affirmer par rapport aux pairs et aux filles. Des recherches récentes montrent que les troubles de comportement et d’apprentissage des garçons à l’école sont en lien avec la construction de leur identité masculine. »), aider les filles à avoir confiance en elles, car elles ont plus souvent que les garçons un problème d’estime de soi.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans Libé

• Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? C’est la question à laquelle répond un documentaire rediffusé en ce moment par Arte, dans lequel des experts en biologie, médecine, paléoanthropologie et sociologie expliquent le « dimorphisme sexuel de taille » des êtres humains.

• Un autre docu d’Arte, « Ni épouse ni concubine », donne la parole à des femmes qui remettent en question le modèle du couple traditionnel et des unions imposées en Chine. Agées de 18 à 67 ans, elles évoquent leur rapport au sexe, au couple et à la famille.
• « En tant que femmes, nous sommes des cibles plus faciles » : une surveillante pénitentiaire raconte à l’Obs son quotidien et son rapport différent aux détenus, plus susceptibles de l’agresser elle que ses collègues masculins.

• Dans un texte publié sur Lenny, la newsletter féministe de Lena Dunham, la blogueuse Garance Doré raconte (en anglais) son expérience de la fécondation in vitro après 40 ans. « Mon histoire m’a aidé à comprendre la pression énorme subie par les femmes pour être mères », écrit-elle.

• Toujours pour les anglophones, un édito du Washington Post explique pourquoi il faut se réjouir du cliché de la lanceuse d’alerte transgenre Chelsea Manning parue dans Vogue. « J’imagine que c’est ce à quoi ressemble la liberté », a commenté l’ex-informatrice de WikiLeaks à propos de la photo.

• Télérama consacre un article à la bibliothèque Marguerite Durand, seule bibliothèque de Paris consacrée à l’histoire des femmess, et qui doit être relocalisée. Fin 2016, une pétition publiée dans Libé s’inquiétait déjà de ce projet.

• Dans un entretien publié sur Slate, Ellen Ullman, qui a travaillé comme programmeuse et développeuse dans les années 1970 et 80, raconte sa carrière dans ce milieu macho et revient la place des femmes dans l’informatique à l’époque.

• Les Inrocks se sont associés à Cheek Magazine pour décrypter dans un hors-série le féminisme « nouvelle génération », à travers des interviews et des portraits (de la boxeuse Sarah Ourahmoune, de la réalisatrice Erika Lust ou encore de la chercheuse Réjane Sénac). Le numéro est en kiosques jusqu’à fin septembre.

Kim Hullot-Guiot , Juliette Deborde , Anaïs Moran

Kim Hullot-Guiot , Juliette Deborde , Anaïs Moran
Liberation