Le comptable de la mairie de Diguel, dans le Soum, Ali Tamboura, enlevé par des individus non encore identifiés, le jeudi 7 septembre 2017, a été libéré le samedi 9 septembre. Joint au téléphone, il raconte les 48 heures passées dans les mains de ses ravisseurs « dans la forêt », à la frontière malienne.

Sidwaya (S.) : Dans quelles circonstances s’est déroulé votre enlèvement ?

Ali Tamboura (A.T.) : Le jeudi 7 septembre, j’étais à la mairie en train de travailler, quand un groupe d’individus, au nombre de sept sur cinq motos, y ont fait irruption. J’ai pris la fuite, ils ont tiré sur moi deux fois. Je me suis laissé tomber, faisant le mort, alors que les balles ne m’ont pas atteint. Ils sont arrivés à ma hauteur, un d’entre eux, apparemment le chef, leur a demandé de couper ma tête, si je suis mort. Au cas contraire, de m’amener vivant, ce qu’ils ont fait. Je me suis relevé et ils m’ont pris. Ils sont allés pour chercher le forestier, ils ne l’ont pas eu. Mais, en cours de route, ils ont arrêté un jeune du village du nom de Bakaye Goro qui revenait du champ et tenait une arme de fabrication locale. C’est en ce moment que mes yeux ont été bandés. Ils nous ont amenés, tous les deux, dans un endroit inconnu. Je sais simplement que c’est dans une forêt, où le calme plat était, par moments, déchiré par des cris d’oiseaux. Nous avons été détenus ensemble, menottés. Durant tout mon séjour, mes yeux étaient bandés. On mangeait deux fois par jour.

S . : Est-ce qu’ils vous ont maltraités ?

A.T. : Je ne souhaite pas m’exprimer sur la question. Dans tous les cas, j’ai été détenu durant deux jours, jusqu’au samedi soir, aux environs de 17 heures.

S. : Comment avez-vous vécu cela ?

C’est un calvaire total. Parce qu’on ne savait pas ce qu’on mangeait. C’est aussi l’eau de rivière que nous buvions. Il y avait une rivière dans la forêt. C’est d’ailleurs au bord de cette rivière que nous dormions, à la merci des moustiques. Nous n’étions pas libres de nos mouvements. Pour dormir, ils menottaient nos mains, et le jour, ils ajoutent nos pieds. Durant tout ce temps, nous n’avons pas vu la lumière. C’est dans ces conditions que nous étions détenus. Ils m’ont dépouillé de ma moto, de mes deux téléphones portables ainsi que d’une somme de 80 000 FCFA que j’avais dans mon portefeuille, ma carte d’identité, mon sac de bureau.

S. : Que vous ont-ils dit ?

A.T. : Ils ont dit des choses que je ne peux pas partager pour le moment.

S. : Dans quelle langue échangeaient-ils ?

A.T. : Ceux qui m’ont enlevé parlaient fulfuldé. Dans la forêt, c’est une population. Ils parlaient fulfuldé, mooré et bèla.

S . : Avez-vous une idée de l’identité de vos ravisseurs ?

A.T. : Non. Je n’ai aucune idée de qui ils peuvent être. Parce que mes yeux étaient bandés. Mais, un d’entre eux m’a dit qu’il me connaissait bien et que j’étais un homme très gentil. Il a rappelé qu’une fois, il m’a trouvé au marché de Diguel, que je lui ai cédé le banc et même que j’ai payé de l’eau pour les gens et qu’il en a bu aussi.

S. : Comment avez-vous été libéré ? Avez-vous versé une rançon ?

A.T. : Je n’ai pas payé de rançon, mais c’est au prix de vie. Ils m’ont posé une seule condition.
S. : Quelle est cette condition ?

A.T. : Je ne saurai vous répondre. Permettez-moi de ne rien dire.

S. : Comment avez-vous pu quitter votre lieu de détention pour arriver à Diguel ?

A.T. : Les assaillants nous ont libérés en pleine brousse, l’autre jeune qu’ils ont arrêté et moi. Lui, ils lui ont remis sa moto. Ils ont gardé la mienne, soit disant que c’est une moto de l’Etat. Nous nous sommes remorqués et avons fait environ une heure de route pour arriver à Diguel, aux environs de 18 heures. Mais, quand on partait le jour de l’arrestation, nous avons fait plus de deux heures sur la route.
Lorsque je suis arrivé, j’ai contacté l’Unité de gendarmerie à Baraboulé. Les gendarmes m’ont accueilli, j’ai reçu des soins et de la nourriture. J’ai passé la nuit à la gendarmerie. C’est ce matin (dimanche 10 septembre) que j’ai été en contact avec les autorités communales. Ensuite, j’ai été envoyé au Centre de santé et de promotion sociale pour des soins et j’ai été accompagné dans ma famille. J’aimerais remercier tout le monde pour les prières.

S. : Pourquoi se sont-ils pris à votre personne, selon vous ?

A.T. : Ils voulaient le comptable parce qu’en février 2017, la mairie fut attaquée. En son temps, nous avons plaidé auprès du ministère en charge de l’administration territoriale, pour avoir du matériel afin de continuer à travailler. Ils ne veulent pas que la mairie fonctionne. Ils se sont renseignés et ont appris que c’est le comptable qui est derrière tout ça. Ils m’ont dit que comme je tiens toujours à ce que la mairie vive, et qu’eux sont contre l’administration, alors ils me tueront et la mairie mourra aussi.

S. : Vous ont-ils dit pourquoi ils s’en prennent au Sahel burkinabè ?

A.T. : Ils m’ont juré qu’aucune structure administrative de Diguel à Djibo ne fonctionnera.

S. : Après cette expérience, comptez-vous toujours servir dans la zone ?

A.T. : Non, parce que ma sécurité est menacée. Mes ravisseurs me connaissent très bien. Ils connaissent toute ma famille, même la couleur de la porte de ma maison. Ils connaissent mon mode de vie. Restez dans la zone, serait comme si j’acceptais de me rendre à l’abattoir. Je suis pour le moment à la disposition des autorités avant de voir ce qu’elles diront. Je lance un cri de cœur afin qu’elles trouvent un moyen de m’éloigner de ces hommes.

S. : Comment, selon vous, on peut lutter efficacement contre ces groupes terroristes ?

A.T. : Pour moi, il faut mettre l’accent sur le renseignement. Je ne suis pas un spécialiste. Mais, il faut dire que ces hommes sont parmi la population. Il faut que les gens aient le courage de les dénoncer.

Interview réalisée
par Djakaridia SIRIBIE
Sidwaya