Notre dernières publication a mis en lumière ce constat magnifique que l’éthique est une des valeurs de référence les plus hautes de notre civilisation d’homme. Nous pensons que l’humanité a évolué de l’amoralité vers une moralité de plus en plus grande. Cependant, cela ne signifie pas que d’un point de vue individuel, le bien s’est imposé absolument dans les actions humaines. Nous voulons dire, tout simplement, que nos ancêtres primitifs, enfermés dans les limites de leur nature animale, ne se demandaient pas si leurs actions étaient bien ou mal. Seule le développement historique de la conscience a pu imposer, de plus en plus fortement, la référence à la norme éthique. Sans doute, le mal sévit toujours dans notre humanité, et d’une certaine façon, il sévit de plus en plus visiblement sous de nouveaux visages. Mais, là n’est pas le problème ! Le plus important est que l’humanité, suite à bien de péripéties traversées, ait enfin pris conscience que rien ne doit se faire dans le monde, par l’homme, sans considération éthique. « La bonne moralité » est devenue un noble label pour les personnes physiques comme pour les personnes morales de droit public ou privé. Aussi, dans les ordres du politique, du scientifique, du technologique, ou même dans les affaires-business et la vie privée, l’éthique est désormais incontournable. Moult de ses prohibitions ont été d’ailleurs entérinées par le droit international et ceux des États nationaux. Au cœur de ces préoccupations contemporaines, il y a, naturellement, l’épineuse question de l’éthique en politique, qui a poussé à la promotion des droits humains contre l’arbitraire, les tortures morales et physiques, les atteintes à la vie et à la dignité humaines. Mais, il y a aussi et surtout, la bioéthique. La bioéthique relève, à la fois, des terrains philosophique et épistémologique, biomédical et déontologique. Il interpelle aussi bien les politiques de santé publique que la recherche scientifique et les essais cliniques ou technologiques sur le vivant. Comment alors la définir pour prendre en compte toutes ses dimensions ? Quelles sont les présupposés conceptuels de la bioéthique contemporaine ?
« L’Encyclopedia of Bioethics » définit la bioéthique ainsi : « C’est l’étude systématique de la conduite humaine dans le cadre des sciences de la vie et de la santé, examinée à la lumière des valeurs et des principes moraux ». Avant d’être membre, ces six dernières années et au titre de l’administration publique, du Comité institutionnel d’éthique du Centre de recherche en santé de Nouna, Burkina Faso, nous aurions plutôt fait de cette définition une interprétation philosophique et écologique, teintée de notre vision africaine du monde. Sous cet angle, la bioéthique est l’observation des règles de la morale dans nos rapports avec la nature vivante. On dirait par exemple qu’une vie égale une vie ; qu’il faut respecter la vie dans le moineau, dans la vache comme dans l’homme ; qu’on peut concasser une pierre parce qu’elle est pure matière, mais qu’on ne doit pas abattre un arbre centenaire, parce qu’il porte de la vie. On voit là les résurgences d’un animisme africain ou d’un bouddhisme asiatique. Dans l’optique des préoccupations écologiques contemporaines, notre interprétation de la bioéthique n’est pas pourtant sans intérêt. En effet, la principale question environnementale aujourd’hui est la sauvegarde de la biodiversité. On comprend d’ailleurs le souci de la communauté internationale de déclarer protégées les espèces les plus menacées d’extinction. L’homme ne doit plus s’ériger en prédateur omnipotent qui œuvre à décimer toute autre forme de vie sur la terre ! On devrait proclamer désormais : « Tu respecteras la vie dans la nature végétale et animale comme tu la respectes dans l’humain ».
Tout cela est séduisant pour une sensibilité écologique comme la nôtre, mais, ce n’est pas exactement cela la bioéthique. La bioéthique, telle qu’elle a été dérivée de la vision occidentale du monde, a un champ d’application plus restreint. Elle sous-entend que la vie, qui est à respecter, est celle que porte l’humain. On voit là l’héritage de René Descartes, qui lui-même est assis sur la vision judéo-chrétienne de la vie. Pour l’occident, seul l’humain est une vie qui porte l’esprit ; seul l’humain est le souffle du divin, l’image de Dieu dans l’univers. Les autres vivants ont été créés, modelés, alors que l’homme a été engendré. Descartes déduit de cette croyance, issue Du Livre de le Genèse, que les animaux ne sont que des machines de chair sur lesquels on peu faire des expériences scientifiques sans considération éthique. C’est sur cette base cartésienne que la biologie va prendre son essor, particulière avec le tournant du français Claude Bernard au XIXe siècle. La conséquence, tout le monde la connait : Les souris, les lapins, les singes et autres cobayes d’expérimentation, vont largement payer le prix de notre vision anthropocentrique de la vie. Pendant ce temps, depuis la table de Moïse et ses dix commandements, suivi du serment d’Hippocrate et la déontologie médicale qui en découle, l’homme fit l’objet de prudence, au point que l’on hésita, en anatomie primitive, à procéder à des études sur les cadavres humains. Les essais des premiers vaccins donnèrent lieu à des débats très complexes au temps de Louis Pasteur. L’unique limitation de ce scrupule à manipuler le vivant humain, viendra des ségrégationnistes, des racistes, des antisémites, qui osèrent penser qu’il existe des sous-hommes, sur lesquels on pouvait procéder à des expérimentations scientifiques et cliniques comme sur les singes. C’est alors que le scandale naquit dans l’histoire des nations, se révélant au grand jour, au procès des nazis à Nuremberg, et posant, en même temps, les conditions de prise de conscience pour la nécessité d’un code de conduite en matière de recherche et d’essai sur l’homme.
En bilan transitoire, il faut retenir que la bioéthique, en tant qu’elle est l’application des principes éthiques à l’étude, à la manipulation et aux soins du vivant humain, prend racine dans une vision judéo-chrétienne du monde, où la vie de l’humain est une valeur au-dessus des autres vivants. Sur la base de cette conception des vies et suite aux dérapages catastrophiques observés chez les médecins d’Hitler où ailleurs dans le monde, la communauté scientifique, les décideurs de programmes de recherche fondamentale, d’expérimentation biomédicale et de santé publique, durent, à l’échelle internationale, poser les balises d’une éthique des interventions sur l’humain. Cette codification éthique passe aujourd’hui comme un repère impératif pour tous les acteurs intervenant dans les maillons de la biologie, de la pathologie, de la pharmacologie et de leurs applications cliniques. Quelles sont donc les grandes obligations que cette codification fait peser sur les acteurs ? Tel sera la question à laquelle notre prochaine publication emportera une modeste réponse.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net