La visite du 27 au 29 novembre 2017 du président français Emmanuel Macron à Ouagadougou est, à ce jour, l’un des événements politiques majeurs qui auront marqué l’année 2017 au Burkina Faso. Mais un mois après cette visite, qu’en reste-il dans les titres de publications francophones sur Internet ? C’est à cette question que je vais tenter de répondre à ma manière.

Pour y arriver, j’ai analysé deux corpus (ensembles pertinents et cohérents) de titres de publications francophones en ligne (je passe ici sous silence la technique de recueil des données) : l’un couvrant les 72 heures de la visite du président Macron (du 27 au 29 novembre 2017), l’autre couvrant la période allant du 30 novembre 2017 au 23 décembre 2017. L’idée c’est, par ce découpage temporel, saisir quelque peu la dynamique du flux médiatique (toutes sources confondues) concernant cet événement politique. Flux qui, sur un plan diachronique évoque l’idée d’un chassé-croisé des « contenus » où, selon l’expression journalistique consacrée : « une info en chasse l’autre ». Nous le savons, les contenus médiatiques sont aujourd’hui exposés à une usure rapide. L’événement « visite de Macron à Ouagadougou au Burkina Faso » échappe-t-il à cette règle ?
L’analyse du contenu sémantique des deux corpus marquant deux temporalités (un « pendant » et un « après ») a permis d’identifier sept catégories sémantiques structurantes dont le tableau suivant nous donne la configuration :

Première observation : 82,36% des titres pertinents de publications francophones en ligne concernant la visite du président Macron à Ouagadougou ont été générés entre le 27 et le 29 novembre 2017 (C’est-à-dire, pendant la visite du président français à Ouaga). Le reste, soit 17,64%, concerne l’évocation de cette visite sur la période du 30 novembre 2017 au 23 décembre 2017 (C’est-à-dire, après la visite du président français). Comme quoi, la fraîcheur constitue une valeur clé de l’actualité, les sujets traités – et surtout montrés – se bousculant dans une fuite en avant et se démodant très vite.
Deuxième observation : Si après la période du 27 au 29 novembre 2017 on a moins titré sur la visite du président Macron à Ouagadougou, trois faits majeurs sont fortement associés à l’évocation de cet événement : le « discours de Macron » à l’Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo ; « Les étudiants » et les « échanges » qu’ils ont eu avec le président français sous forme de « questions/réponses » suite à son discours ; « La plaisanterie » du président français sur son homologue burkinabè Roch Marc Christian Kaboré à propos de la « climatisation » de l’amphithéâtre dans lequel il a prononcé son discours. Trois séquences donc, en un même lieu.
Sur le discours de Macron en tant que tel, j’ai déjà eu à le décrypter dans mon précédent article que vous pourrez lire ou relire ici-même à la rubrique « Analyse ». Discours marquant tant au niveau de sa forme, de son contexte d’énonciation, qu’au niveau de son contenu.
Le jeu des questions-réponses « sans filtre » avec les étudiants a aussi fait couler beaucoup d’encre et reste visiblement présent à l’esprit après le passage du président Macron à Ouagadougou. Je reprendrai ici les mots du célèbre dessinateur-éditorialiste franco-burkinabè Damien Glez : « Même cabotin, le spectacle politique fut notamment remarqué dans la phase inédite des questions-réponses. Une séquence foutraque au calibrage joyeusement explosé… » (Voir « L’œil de Glez : Macron, les étudiants burkinabè et la tirade féministe », Jeune Afrique en ligne du 28 novembre 2017). Le président français lui-même, un brin commentateur amusé de cette séquence, lâchait : « Je connaissais les étudiants français, qui sont déjà des esprits paradoxaux mais vous, vous êtes des esprits super-paradoxaux parce que vous râlez pour avoir la parole et puis vous râlez dès que quelqu’un la prend en disant que les questions sont mauvaises ! ». Les étudiants choisis pour poser les questions se souviendront pendant longtemps de cette séquence, tant la pluie de critiques qui s’est abattue sur leurs prestations a été violente au Burkina et ailleurs en Afrique et dans la diaspora, notamment à travers les réseaux sociaux (Exception faite tout de même de la prestation de l’étudiante Salimata N. Traoré, l’héroïne qui « sauve un peu la face des Burkinabè et des jeunes africains »). Les pauvres avaient-ils connaissance des quatre maximes conversationnelles de Grice (1979) ?*
Si la réponse est « non », alors j’ai des amis professeurs à l’Université de Ouaga 1 qui doivent se sentir responsables de ces lacunes. Si la réponse est « oui », alors il faut admettre que les cabotins ont réussi magistralement leur coup… attirer l’attention, non pas forcément sur eux-mêmes (ce n’est en tout cas pas le plus intéressant), mais sur le linge sale de la famille. Il reste qu’on ne viole pas les maximes conversationnelles gricéennes sans en payer le prix communicationnel.
Enfin, ce qui a perduré dans les titres des publications francophones en ligne sur la visite du président Macron à Ouagadougou, c’est l’épisode dit de la « climatisation » de l’amphithéâtre et notamment de la polémique qui s’en est suivie. Je résume rapidement le contexte. Lors de la séquence de questions-réponses, une étudiante demande au président Macron combien de temps les étudiants de l’Université Ouaga 1 pourront profiter de la climatisation de l’amphithéâtre et de cette énergie qualifiée d’« énergie française » (en référence à une centrale solaire financée par la France et que le président français a inaugurée par la suite). Réponse de Macron : « Vous me parlez comme si j’étais encore une puissance coloniale ! Mais moi je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso ! C’est le travail du président ! ». Rires et applaudissements dans la salle. Le président Kaboré lui-même arbore un large sourire puis quitte la salle pour un court instant (Il n’avait peut-être pas, à ce moment précis, réalisé le choc des images qui pouvait être donné à voir dans les médias français en particulier). Le président français de continuer sur le ton de la plaisanterie : « Du coup, il s’en va… Reste-là ! Du coup, il est parti réparer la climatisation ». Hilarité générale dans la salle. Mais dans les médias (à l’exception notable des médias burkinabè), sur les réseaux sociaux, chez certains opposants politiques français (Nicolas Bay (FN), Nicolas Dupont-Aignan (Débout la République), les députés du groupe France Insoumise (communiqué officiel de condamnation), Valérie Boyer (députée LR)...), dans les milieux militants (Dominique Sopo de SOS Racisme, l’activiste panafricaniste controversé Kémi Seba qu’on ne présente plus…) et chez certaines personnalités de la société civile (Alpha Blondy pour ne citer que lui), les réactions outragées fusent : on crie à l’incident diplomatique, à l’humiliation, à la condescendance, au paternalisme, à l’arrogance, au racisme même… les autorités burkinabè et françaises ont beau conjointement dénoncer un non-sujet (ce qui est probablement vrai pour la grande majorité des Burkinabè, c’est ma conviction : la plaisanterie acceptée rapproche, cimente des liens privilégiés, permet même de se dire certaines choses difficiles sans se fâcher, elle participe pleinement du génie social burkinabè), la machine à polémique n’en décolère pas. C’est ainsi.

Troisième observation enfin : des faits graves survenus à l’arrivée du président français à Ouagadougou comme les manifestations violentes dites anti-impérialistes, l’attaque à la grenade d’un véhicule transportant des militaires français et le caillassage du convoi de la délégation française n’ont pas fait long feu dans les titres des publications francophones centrés sur la visite d’Emmanuel Macron au Burkina Faso. Cela reste une énigme pour moi. Mais tant mieux pour l’image du pays, car ces faits sont susceptibles de mettre à mal le sens de la tranquillité sociale et de l’hospitalité légendaire des Burkinabè. De même, on peut constater que la catégorie « Enjeux historiques et diplomatiques » est nettement moins présente dans les titres des publications en ligne du 30 novembre 2017 au 23 décembre 2017. Il faut voir sous cette catégorie les références aux débats sur la colonisation et le néocolonialisme, sur l’impérialisme, sur la françafrique et sur certains dossiers brûlants au Burkina Faso tels celui de Thomas Sankara (le président Macron a promis la déclassification de tous les documents secrets français liés à l’affaire Sankara) et le dossier François Compaoré, frère cadet du président déchu Blaise Compaoré, suite à l’insurrection populaire du 24 octobre 2014 (le président Macron s’est engagé à faciliter l’extradition de François Compaoré arrêté en France).

*Références citées :
Grice H. Paul. Logique et conversation. In : Communications, 30, 1979. La conversation. pp. 57-72.
Les quatre maximes conversationnelles de Grice : 1) Maxime de quantité : « Que votre contribution contienne autant d’information qu’il est requis (pour les visées conjoncturelles de l’échange) », « Que votre contribution ne contienne pas plus d’information qu’il n’est requis » ; 2) Maxime de qualité (véridicité) : « Que votre contribution soit véridique » , « N’affirmez pas ce que vous croyez être faux », « N’affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves » ; 3) Maxime de relation (pertinence) : « Parlez à propos » ; 4) Maxime de manière (clarté) : « Soyez clair », « Evitez de vous exprimer avec obscurité ». « Evitez d’être ambigu », « Soyez bref (Ne soyez pas plus prolixe qu’il n’est nécessaire) », « Soyez méthodique ».

Ousmane SAWADOGO, Expert en Text Mining et Web Content Mining – Kaceto.net.