En Europe, la Suède a été le pays pionnier en matière de lutte contre les violences éducatives. Elle a adopté dès 1979 une loi les interdisant. Puis elle a accompagné l’adoption de la loi par une campagne de sensibilisation de sa population et par une politique de soutien aux familles et aux adultes en charge d’enfants. Depuis 1995, le pays mène tous les trois ans une enquête auprès des parents et des enfants sur ce sujet. Et le moins qu’on puisse dire est que les résultats, comme le montre Catherine GUGUEN, sont spectaculaires

« Dans les années 1960, en Suède, neuf enfants sur dix étaient frappés ‘‘pour les éduquer’’. Actuellement moins d’un enfant sur dix est frappé ‘‘pour son bien’’. De plus en plus de parents sont devenus opposés à l’utilisation de châtiments corporels comme méthode d’éducation. De l’enquête réalisée auprès de parents en 2006, il ressort que seuls 7% des parents sont favorables aux châtiments corporels. »
Autre constat intéressant, la baisse significative de la violence éducative en Suède n’a pas entraîné un surcroît d’indiscipline chez les petits Suédois. Bien au contraire, elle a contribué à une nette amélioration des conditions d’apprentissage dans les écoles. Les enfants vont à l’école avec beaucoup moins de stress et le système éducatif du pays est présenté aujourd’hui comme l’un des plus performants au monde.
En France, une enquête réalisée par la SOFRES en 1999 révélait que 84% des parents utilisaient les châtiments corporels dans l’éducation de leurs enfants. Un autre sondage de l’’institut IFOP publié en mars 2015 montrait que seuls 30% des Français se déclaraient favorables à l’interdiction de châtiments corporels comme la gifle ou la fessée. Ces enquêtes mettent en évidence l’enracinement dans l’opinion publique française de l’idée selon laquelle la violence envers les enfants aurait des vertus éducatives.
C’est aussi la raison pour laquelle, très à l’écoute du pouls de l’opinion, les pouvoirs publics en France ont mis du temps à légiférer en la matière. Après avoir rejeté plusieurs propositions de loi antérieures, l’Assemblée nationale a fini par adopter, seulement dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 juillet 2016, un amendement au projet de loi égalité et citoyenneté pour abolir les violences faites aux enfants. La loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Il faut préciser que le pays avait été épinglé en mars 2015 par le Conseil de l’Europe pour sa complaisance législative à l’égard des parents et des adultes maltraitants.
Mais, saisi par une soixantaine de sénateurs de l’opposition, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 222 du projet de loi qui interdisait précisément les « violences corporelles » envers les enfants. La raison invoquée est qu’il s’agirait de ce qu’on appelle un « cavalier » législatif, c’est-à-dire d’un article sans rapport avec l’objet principal d’une loi. Malgré les découvertes en neurosciences et en dépit de la colère des partisans d’une éducation bienveillante, tout reste donc à reconstruire.
La toute nouvelle loi, qui était de nature exclusivement civile – comme d’ailleurs en Suède – et ne s’accompagnait d’aucune peine nouvelle à l’encontre des parents, visait avant tout à énoncer un principe pour imprégner les pratiques éducatives d’habitudes bienveillantes. Elle permettait aussi à la France de respecter pleinement la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (CIDE) de 1989. Une Convention qu’elle a signée et ratifiée dès 1990 et qui stipule en son article 19 que :
« Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »
Pour la Suède comme pour la France, contrairement à certaines caricatures souvent entendues de la part des inconditionnels de la fessée, le but visé par les lois d’interdiction des violences éducatives n’est pas d’empêcher les parents et les professionnels de l’éducation de fixer des limites aux enfants. Les psychologues soulignent d’ailleurs l’impérieuse nécessité de limites dans l’éducation.
L’objectif est triple : d’abord de rappeler que l’enfant est un être humain qui, à ce titre dans un pays de droit, jouit d’une dignité égale à celle de toute personne ; ensuite d’éviter les aberrations éducatives comme celle qui consiste à vouloir apprendre aux enfants à être non-violents en exerçant des violences physiques ou morales insupportables contre eux ; enfin de rappeler que le but de l’éducation à la citoyenneté est l’éveil de la raison qui permet de mieux comprendre et de mieux réguler ses émotions dans ses rapports avec les autres.
Les derniers éclairages des neurosciences viennent à l’appui de ces principes fondamentaux à prendre en compte dans l’éducation des enfants. Car l’autorité en éducation ne consiste pas à soumettre les enfants, mais à obtenir par l’exemple de conduite et par l’argumentation qu’ils adhèrent aux règles indispensables du vivre-ensemble. Mais ce point de vue n’est pas nouveau. Le sociologue Emile DURKHEIM écrivait déjà ces mots très éclairants au sujet l’autorité du maître :
« Or d’où peut-elle lui venir [son autorité] ? Serait-ce du pouvoir matériel dont il est armé, du droit qu’il a de punir et de récompenser ? Mais la crainte du châtiment est toute autre que le respect de l’autorité. Elle n’a de valeur morale que si le châtiment est reconnu comme juste par celui-là même qui le subit : ce qui implique que l’autorité qui punit est déjà reconnue comme légitime. Ce qui est en question. Ce n’est pas du dehors que le maître peut tenir son autorité, c’est de lui-même ».

Dambré, Proviseur de collège