Le présent américain Donald Trump a lancé un vaste plan de réduction d’impôt et accordé d’autres avantages fiscaux aux entreprises américaines. Une politique qui ne sera pas sans conséquence sur l’aide au développement.
Le Pr Mamadou Djibo s’en inquiète

La réforme fiscale du Président Trump qui vient d’être votée est massive et historique dans la mesure même où, pour la première fois, il est concédé une réduction de 40% du taux d’imposition des sociétés aux Etats-Unis. Lorsqu’on additionne cette réduction substantielle aux subventions accordées aux entreprises aux Etats-Unis parce que disponibles allant jusqu’à frôler les 21% du coût d’acquisition d’équipements au moyen de la mesure des amortissements accélérés, d’une part et d’autre part, la baisse des impôts sur le gain en capital, alors il est aisé de mesurer l’amplitude gigantesque de l’avantage fiscal des sociétés aux Etats-Unis pour gagner des parts de marché sur la scène mondiale. (Cf.1). Un avantage tellement compétitif qu’il s’agit bien d’une avance difficilement rattrapable par les économies concurrentes comme celles du Canada voisin (avec en plus l’ouverture des hostilités commerciales sur le bien-fondé des acquis de l’ALENA), de la Chine, de la France, de l’Allemagne etc. Enfin, il y a cet autre coup de pouce que constitue le système territorial fiscal qui accrédite l’idée que les multinationales américaines seront grandement exonérées de l’impôt de rapatriement des comptes offshores qu’elles y détiendraient de l’ordre de 35% à 8% et 15,5% suivant la classification des biens. Il s’agit donc d’une réforme massive et impressionnante au profit des sociétés américaines et au détriment du Trésor. Il est aisé de penser que les Africains vont subir des coupes dans les financements d’ordre bilatéral avec les Etats-Unis en raison même de cet immense manque à gagner. L’argent public américain deviendra rare pour tous et davantage pour les pays pauvres en termes d’aides publiques.

Cette réduction fiscale massive est congruente du fait aussi que la France du président Macron a prévu de réduire son taux d’imposition de 33% courant à 25% à l’horizon 2022. Dans le même temps, le Royaume –Uni fait le même effort baissier de 20% à 17% (les effets du Brexit pourraient l’amener à aller plus loin, creusant ainsi le déficit public). Toutes ces histoires baissières du taux d’imposition tentent de rivaliser avec le taux standard de 15% en Irlande. Et elles administrent la preuve que la guerre des baisses de taxes dans les pays industriels est belle et bien ouverte comme l’article ci-dessous référencé le démontre. Ça va saigner ! Il est aussi constant que les Etats avec les souverainetés rapiécées (surtout en Afrique) seront davantage des spectateurs impotents que des lieux de régulation et de fixation des seuils de décence fiscale leur permettant de faire face aux charges, à leurs charges régaliennes touchant la santé, l’éducation, la sécurité et la protection de l’environnement. Or, précisément, la légitimité des Etats le doit surtout à leurs capacités de prise en charge de ces lieux de souveraineté au profit des citoyens et citoyennes en proie aux effets pervers de la croissance exponentielle des inégalités de conditions, de revenus et de traitement des citoyens, salva veritate. Cette question des inégalités se double, terriblement, en d’autres contraintes économiques pour l’Afrique pour être dans le Mainstream de l’émergence (si tant est qu’il est dans son envol vérifiable). Trois remarques sont à noter :

1. Les Etats africains sont infiniment désavantagés par cette guerre ouverte à incarner le pays le plus incitatif pour les multinationales en termes d’investissements et de sécurité juridique pour les investisseurs advenant des problèmes entre partenaires. Il y a d’abord que le code des investissements dans la plupart des pays africains offre, outre la possibilité de rapatrier les gains en capital mais aussi et surtout, au départ, il y a l’exonération complète de taxes pendant 4 souvent 5 ans aux firmes internationales. L’on peut penser que le fait de l’offre d’exonération totale quinquennale soit réelle met les Etats africains en meilleure posture sur le marché de l’attractivité pour les investisseurs. En outre, les concessions sur la terre à Firestone au Libéria, les mines d’or au Burkina Faso et autres richesses comme le coltan en RDC le sont à des conditions très alléchantes. Et que de ces avantages offerts, les Etats africains sont des leaders dans la tendance baissière des taxes. Faux !

2. Il faut rétorquer vu le réel, c’est plus véridique, que les Etats africains sont en quête d’ institutions fonctionnant correctement pour gagner voire lustrer leur légitimité auprès de leurs concitoyens. Cette contrainte politique induit un exercice sourcilleux des lieux de contrôle démocratique pour une meilleure gouvernance, source de leur légitimité et reconnaissance des citoyens et citoyennes parce que leurs besoins basics en santé, en éducation, eau potable et infrastructures routières, énergétiques, aéroportuaires sont satisfaits. Aussi, les besoins d’investissements pour satisfaire ces besoins, sont assez élevés et surtout ils jurent avec les impatiences populaires thésaurisées. Pour relever le défi de la légitimité et de la reconnaissance des citoyens, l’Etat doit tenir son autorité de régulation de façon consistante et durable. Et le paradoxe vient du fait que la volonté des dirigeants d’offrir un cadre économique et juridique attractif aux investisseurs pour relever les défis de la création de la richesse et subséquemment celui de redistribution, est astreinte aux desiderata de l’attractivité que la mondialisation débridée impose à tous les Etats du monde (comme s’il y avait une égalité arithmétique entre eux), puissants et industriels comme les Etats-Unis et le Canada face aux Etats africains pris dans le tourbillon des urgences et en proie à la corruption aigüe des élites, des Etats africains faibles en quête, sans vision stratégique, d’émergence non endogène. Il s’ensuit que les Etats africains ont moins de ressources pour les budgets d’investissements productifs et moins de capacités de diligenter et mener un leadership de transformations sociales (deux ou trois exceptions dont le Rwanda, existent, heureusement) pour assurer le minimum de sécularisation des institutions politiques pour la stabilité et de redistribution d’un revenu de bien-être au nom de la dignité humaine, prérogative universelle. Mais il faut préalablement maintenir l’évidence qu’il faut des politiques favorables au capital, à la propriété privée que la première Constitution connue et appliquée en Afrique Noire, celle de Soundiata Kéita (cf.2) reconnait et ce depuis 1235. Pour les contemporains il sied par expérience et sagesse de rejeter les politiques d’austérité, de mener la lutte contre la corruption des élites, la porosité à l’évasion fiscale tout en baissant certaines taxes pour gagner la bataille du progrès social pour tous. Le Portugal a réussi en Europe en disant non aux diktats austéritaires des eurocrates de Bruxelles tout en relançant la machine économique et l’espoir.

3. Il y a donc un lien indissoluble entre le régime fiscal éminemment favorable aux multinationales qui investissent, envoient leurs équipements exonérés de taxes de douane et qui rapatrient tous les gains produits et bénéficiant d’une main d’œuvre moins cher, non syndiquée et moins protégée. La concurrence en plus d’être structurellement gagnée par les multinationales sur le sol africain contre nos pmi-pme, cette guerre ouverte pour l’attractivité comme baisse effrénée des taxes, évasion fiscale tacitement concédée imposée aux Etats africains, nous conduit non pas à l’émergence, processus endogène mais plutôt au renforcement de l’extraversion des économies (rente après celles des comptoirs). Les Tigres asiatiques étaient extravertis par l’exportation des biens fabriqués mais endogène (transfert de technologies et délocalisations) avec une main d’œuvre locale, bien formée et disciplinée moins cher. Ils ont pu obtenir la redistribution des revenus par le salariat populaire, un puissant levier de construction de la paix sociale et de l’espoir au sein des populations tandis que cette guerre pour la baisse des taxes, d’essence néolibérale, nous conduira au péril social et politique dans l’exacte mesure où son terminus signifie pour nous Africains, la souveraineté rapiécée, le délitement de l’autorité de nos Etats, les impasses et l’embellie de la détresse sociale des peuples. Le Sommet de l’Union Africaine de ce début d’année 2018 porte sur la lutte contre la corruption. C’est bien. Il serait alors cohérent que le prochain se penche davantage sur la fixation d’un impôt standard africain sur les multinationales et sociétés étrangères dont l’appétit pour la nouvelle frontière, semble-t-il l’Afrique, est attesté pour financer notre stabilité sociopolitique et institutionnelle. Un tournant décisif pour relever les défis en santé, en éducation et formation de pointe et employabilité pour contrer la détresse sociale et les risques encourus pour la sécurité. Il est important de renforcer nos Etats en autorité et capacités d’interventions en vue de l’unification panafricaine sous régionale rationalisée et pragmatique, ce pas décisif vers la continentale en route depuis 1963.

Bonne Année 2018 !

Mamadou Djibo, PhD (University of Ottawa)

Philosophy

Source : www.guillaumesoro.ci
1. Sommes- nous en guerre fiscale ? www.plus. lapresse.ca du 31/12/2017 par Brigitte Alepin et Louise Otis, Winning the Tax War, Wolters Kluwer, Décembre 2017

2. La Charte de Kurukan Fuga, aux sources d’une pensée politique en Afrique, art. 32 ; 33 ; 34 ; et 35 relatifs à la sacralité de la propriété privée et à la justice sociale vécue comme équité, L’Harmattan, Paris, 2008.