Est-ce la démocratie qui conditionne le développement ou, au contraire, le développement qui conditionne la démocratie ? Autrement dit, faut-il qu’un pays atteigne un certain niveau de démocratie pour se développer ou faut-il au contraire qu’il atteigne un certain niveau de développement pour devenir démocratique ? Denis Dambré expose ici le point de vue de l’économiste américain Robert Barro, puis l’applique à la situation actuelle au Burkina Faso

Dans un ouvrage paru en 2004 sous le titre "La démocratie et le marché", Jean-Paul Fitoussi, Professeur d’économie à l’Institut d’études politiques à Paris, expose la théorie du macro-économiste américain Robert Barro sur le lien entre la démocratie et le développement. Selon Barro, la démocratie serait tout simplement un « bien de luxe » dont le besoin de consommation se manifesterait lorsqu’un pays atteint un certain niveau de développement économique. Fitoussi explique : « Le niveau de développement économique affecte la propension des pays à rechercher la démocratie, ou à la maintenir si elle existe. C’est une autre façon de dire que la liberté politique est un bien de luxe. […] Si par exemple les pays africains ont connu depuis les années soixante une réduction des libertés publiques, c’est parce que la démocratie y avait été installée trop tôt, à un moment où leur niveau de pauvreté ne leur permettait pas de consommer ces biens de luxe ».
Et Fitoussi de livrer la conséquence qu’en tire le macro-économiste américain :
« La conclusion la plus générale, nous dit Barro, est que les pays avancés de l’Ouest contribueraient davantage au bien-être des nations pauvres en exportant leur système économique, notamment les droits de propriété et les marchés libres, plutôt que leur système politique… »
A voir le dialogue social impossible en ce moment au Burkina Faso, on peut se demander effectivement si la démocratie n’est pas un bien de luxe pour notre pays. Pour deux raisons :
D’abord, parce que l’incapacité à dialoguer de façon constructive témoigne de la volonté de la frange la moins mal lotie de la population burkinabé de consommer, voire de surconsommer le bien de luxe que constituerait la démocratie. Il suffit d’observer ceux qui font grève en ce moment. Ce sont des personnes instruites, ayant un niveau de vie plutôt supérieur à celui de la majorité silencieuse des campagnes. Donc, des personnes qui ont, selon la théorie de Barro, atteint un certain niveau de développement personnel et éprouvent le besoin de faire valoir leurs droits, donc le besoin de consommer la démocratie. Tandis que la majorité silencieuse des campagnes, accaparée par la rudesse du quotidien, se bat plutôt pour assurer sa survie.
Ensuite, parce que ce même dialogue social impossible prouve justement que notre démocratie a encore du chemin à parcourir pour atteindre sa pleine maturité et sortir du statut de bien dont la consommation est réservée à une élite. En effet, dans une démocratie mature, on n’hypothèque pas l’avenir de la jeunesse par une radicalité pouvant entraîner une année blanche pour les élèves et les étudiants. Car chacun sait que tout le monde en sortirait perdant. Et lorsque des velléités d’exercice immature de la démocratie s’expriment, le pouvoir politique, fort de sa légitimité acquise au terme de scrutins électoraux, doit être en mesure de rappeler avec fermeté les principes du droit.
Le désordre qui règne aujourd’hui dans nos villes révèle la fracture du tissu social burkinabé entre, d’un côté, une majorité silencieuse des campagnes qui se bat pour tout simplement s’en sortir au plan économique, de l’autre, une minorité instruite des villes qui, pour manifester son droit d’intervention dans la conduite des affaires de l’Etat, use et parfois abuse des possibilités offertes par la démocratie. Le tout sur fond de faiblesse manifeste du pouvoir politique.
Si la grève des enseignants devait déboucher sur une année blanche, tous les Burkinabé en sortiraient perdants : les parents d’élèves qui se sont parfois endettés pour s’acquitter de la scolarité auront payé une année pour rien ! Les élèves et les étudiants auront perdu une année d’apprentissage et seraient relégués au plan international par rapport aux jeunes de leur âge ! Les enseignants auront montré que, malgré une rhétorique huilée sur la défense de l’école, la lutte pour leurs intérêts personnels a primé sur l’accompagnement de la jeunesse vers l’insertion sociale ! Le pouvoir politique aura prouvé son incapacité à gérer une crise, donc il aura fait étalage de sa faiblesse ! En bref, tout le monde aura perdu.
Tirons des leçons de l’histoire ! Rappelons-nous que la période où notre pays a le plus progressé au plan économique et social est celle de la révolution. En quatre ans, la physionomie de nos villes a changé et notre conscience politique s’est accrue. Mais cette période de progrès indéniable était-elle marquée par la faiblesse du pouvoir politique ? Assurément, non ! Sankara n’était pas du style à s’en laisser compter. C’est dire que nous retrouverons le chemin du progrès social le jour où nous aurons un pouvoir suffisamment fort et entièrement dévoué à l’intérêt général.

Denis Dambré, proviseur de collège