Notre précédente publication a mis en exergue divers types de lois que l’on peut regrouper ainsi qu’il suit : les lois de l’univers physique et biologique qui président au grand tribunal des phénomènes de la nature ; les lois morales, propres à notre conscience et qui canalisent nos actions humaines ; les lois politiques issues du droit positif écrit ou oral, qui régissent la vie en société. Il est évident que, du point de vue de la source et de l’objet-matière, chacun de ces types de lois a sa particularité. Mais, malgré les particularités, toutes les lois recouvrent des caractéristiques communes qui concourent à faire en sorte que dans un domaine donné, l’ordre l’emporte sur le désordre, le prévisible sur l’imprévisible, la généralité sur la particularité, la stabilité sur l’instabilité. En fait, le monde n’est concevable, dans sa permanence, qu’avec des lois qui laissent voir les mêmes principes. Quels sont alors les grands principes qui caractérisent toute loi ?

 La loi est objective

La loi est objective parce que, quel que soit le domaine où l’on se situe, elle n’est point l’expression d’une volonté capricieuse. La loi ne dépend ni de moi, ni de toi, ni de Zéphirin Diabré, ni de Rock Marc Christian Kaboré. Blaise Pascal, en son temps, disait aux Français : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Ce qui est vrai en France peut être faux, juste de l’autre côté de la montagne en Espagne. Ce constat pascalien, et l’auteur en avait conscience, ne tient que pour les vérités d’opinion qui, elles, dépendent du lieu et de l’époque. La vérité d’opinion est locale, circonstancielle et subjective. Elle est tout le contraire d’une loi. La loi, elle, est permanente ; elle ne dépend ni de mon goût, ni de mon vouloir, ni de mes intérêts. La loi, c’est la loi ; elle exprime toujours un rapport nécessaire entre les choses et les états de choses, indépendamment de toute volonté subjective. Ainsi, que je le veuille ou non, l’eau, chauffée à cent degré, s’évapore, maintenant, comme dans l’antiquité ou dans le futur lointain. De même, en vertu des lois naturelles, je n’ai aucune possibilité de m’envoler comme les oiseaux. Sous cet angle, la loi est dans la nature des choses ; elle n’est pas décrétée par ma volonté. Comme on pourrait le dire, avec des mots de Galilée, la loi est un pan du grand livre de la nature, rigidement écrit dans un code mathématique. Face à la loi, on ne peut rien, si non de la constater, de l’appliquer, de lui obéir, ou de lui désobéir, en subissant les revers qu’elle prévoit.
Ce caractère objectif de la loi est, sans doute, plus fragile, quand il s’agit des domaines moraux et socio-politiques. Mais la fragilité n’est pas un dénie du principe. La loi, qu’elle soit éthique, qu’elle soit juridique et socio-politique, doit être revêtue de l’oripeau de l’objectivité. La volonté d’autrui n’est pas pour moi une loi ; mes caprices n’ont pas valeur de loi. Il faut que la loi provienne d’une source indépendante du bon vouloir d’un des sujets de droit. Un regard sur l’histoire des sociétés montre que les législateurs ont toujours adossé les lois à une source objective. À la loi, ils ont toujours ajouté : « C’est la volonté de Dieu ! C’est la volonté des ancêtres ! C’est la nature des choses ! C’est la voix de la raison ! C’est la parole du livre sacré ! C’est la volonté du roi ! C’est la volonté du peuple ! C’est la volonté générale ! C’est le vote de la majorité ! etc.!

La loi a toujours ainsi eu besoin du sceau d’une autorité objective pour se légitimer. Sans ce sceau, il n’y a pas de nécessité, de transcendance ou d’immanence
justificatrice ; il n’y a pas d’obligation morale, même quand il y a obligation matérielle, à s’assujettir à une contrainte qui provient d’une volonté purement subjective, arbitraire et hasardeuse.

 La loi est universelle

À propos de cette caractéristique de la loi, on pourrait nourrir la controverse à l’infini, en particulier pour les lois sociales. En effet, on a bien l’impression qu’une loi morale n’a de valeur que pour les personnes qui relèvent du même code éthique. La loi morale est fille de son temps et de la société qu’elle régit. La conception marxiste va d’ailleurs plus loin, en voyant, dans les lois morales, une volonté de classes dominantes. L’universalité des lois politiques tombe également sous le coup du même type de critiques. Les lois politiques, expressions des mœurs et des contextes sociohistoires, donnent fortement l’impression d’être locales, relatives. Quant aux lois de la nature, la théorie de la relativité universelle, élaborée par le physicien Albert Einstein, a montré qu’elles ne sont pas aussi absolues qu’on l’imagine.
L’universalité des lois n’est donc pas à comprendre comme une validité absolue, intemporelle et a-topique. Elle signifie plutôt que dans les mêmes conditions de temps, de lieux, et avec des données identiques, la même chose se produit, le même comportement doit être observé, sauf pour les marges d’erreur et les exceptions prévues par la loi. Dans la nature, un tel principe est capital pour la science. Ce qui ne se produit qu’une fois, miraculeusement, exceptionnellement, n’a pas valeur de loi ; un exemple ne prouve ; il faut que l’expérience confirme toujours le même résultat, ici, en Chine, aux USA, en Europe, au XIXe siècle, au XXe et au XXIe, avant qu’on ne puisse parler de loi. Dans cette approche, un seul cas certifié suffit pour remettre en cause le champ de validité d’une loi. On comprend d’ailleurs pourquoi les vérités scientifiques ne tiennent pas lieu de dogmes clos. Elles ont l’âge des outils d’observation et d’expérimentation, comme le pensait l’autre. Une loi peut venir, soit limiter, soit bouleverser complètement une précédente que l’on considérait universelle.
Il faut appliquer cette même approche d’universalité circonscrite aux lois sociales.
De façon générale, la loi, pour être vraiment une loi, doit s’appliquer à tous, sauf aux exceptions qu’elle prévoit elle-même ; encore que trop d’exceptions tuent la loi et la vide de son contenu ! En principe, nul n’est au-dessus de la loi. Elle doit disposer de tous les moyens nécessaires pour s’appliquer à tous, partout et en tout temps. Mais le « nul » est à saisir avec discernement, car les lois sociales sont toujours circonscrites dans l’espace et dans le temps. Elles définissent elles-mêmes leur propre champ d’opérationnalité et elles laissent toujours une marge de liberté au juge qui les applique. Les lois sociales ne s’appliquent pas aveuglement et à la lettre.
En bilan transitoire vers l’étape prochaine de notre réflexion, on peut déjà retenir que, quel que soit le domaine où l’on se situe, il apparaît que « la loi, c’est la loi », dans les conditions définies par la loi elle-même. Face aux lois naturelles et sociales, on ne peut rien faire d’autre, que de se soumettre à la volonté du souverain législateur, qui est sensé se situer au-dessus de toute subjectivité, de toute volonté particulière. La loi, pour être la loi, doit être objective et universelle, sans exclure la possibilité de sa propre évolution dans le temps et de sa propension à ne pas être rétroactive dans les domaines sociojuridiques. Dans tous les cas, la loi, ainsi présentée, apparaît comme une sorte d’obstacle à notre liberté, puisqu’elle s’applique forcément à nous, tout en ne dépendant pas de notre volonté particulière. Cependant, sommes-nous irrémédiablement esclaves des lois, ou au contraire, nous est-il donné de les mettre à profit, pour étendre le champ d’exercice de nos libertés ? Autrement dit, pour nous, pour nos vies, les lois constituent-elles un mal ou un bien ?

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philoophie

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