Dans ce deuxième volet de notre réflexion sur la culture, nous osons envisager l’horizon d’une véritable renaissance culturelle africaine. L’idée qui sous-tend cette notion de renaissance étant bien entendu, discutable.

Qui parle de renaissance, considère qu’il y a eu vie et mort. L’Afrique culturelle a-t-elle vraiment existé ? Si oui, a t-elle dépérie ensuite au contact des autres ? Si l’on répond par l’affirmative à ces deux questions, il reste alors à explorer la possibilité d’une résurrection culturelle du continent des pharaons, dans la perspective d’un renouvellement des valeurs de notre humanité, apparemment à bout de souffle.
Pour cette Afrique magnifiquement placée, tel le nombril d’un corps, au centre de la planète terre, pour cette Afrique au cœur de l’histoire contemporaine, quelles sont réellement, au-delà de nos vœux pieux et de nos discours nationalistes, les chances d’un repositionnement culturel positif au profit de l’humanité entière ? Quelles sont les conditions minimales de cette nouvelle repousse des feuilles du baobab d’Afrique ?
Avant d’envisager les réponses à ces questions, il est indispensable d’évacuer, en les récusant, les préjugés sur l’Afrique noire. S’il existe un point sur lequel nous n’avons jamais pris au sérieux le philosophe allemand Hegel, c’est bien son discours sur la place de l’Afrique dans l’histoire. Pour Hegel et pour tous ceux qui avaient envie de justifier la colonisation de l’Afrique, les peuples négro-africains sont des peuples barbares, sans culture, à peine sortis de l’animalité, et qui n’ont rien à apporter à l’histoire universelle. Pour eux, la colonisation est un donc une sorte de mission de civilisation. Mais, vue de prêt, la colonisation est loin d’être ce que le colonisateur en a dit. Elle est plutôt une de ces rencontres brutales entre civilisations différentes et toutes relatives, dans le processus d’universalisation du devenir historique et de constitution de l’humanité.

Dans ce sens, l’Afrique post-pharaonique a d’abord rencontré, à partir du VIIe siècle, l’islam de Mahomet dans sa volonté d’expansion. Dans ce premier choc, l’Afrique a concédé certaines choses et en a rejeté d’autres ; il en est sorti, dans les contrées concernées, ce qu’on peut appeler l’islam africain, teinté de vitalisme négro-africain.
En rencontrant, plus tard, les forces colonisatrices d’Occident, l’Afrique comprit tout de suite, qu’elle avait à défendre, une nouvelle fois, son identité contre un monde autre. Jamais elle ne vit, en cette invasion, une lumière venant pour son salut. On comprend alors les nombreuses résistances africaines à la colonisation, à « l’école du blanc », au mode de penser européen, aux modes de vie de l’Occident chrétien et laïc.
Il faudrait alors dire, aux contemporains qui nourrissent encore le préjugé hégélien, que l’Afrique culturelle a existé. Cette Afrique venue de loin, cette Afrique qui résista à la férule humiliante de l’esclavage, qui affronta l’impérialisme à la fois politico-militaire, idéologique et culturelle, a pu, fort heureusement, retrouver sa véritable histoire, grâce à l’œuvre de ces historiens de haut niveau, tels Cheick Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo et bien d’autres. Elle a été chantée et magnifiées par ses poètes, ses hommes de Lettres qui, face à la négation sans scrupule de leur dignité et de leur humanité, osèrent clamer leur identité, leur négritude. Elle a fait l’objet de toutes sortes de nostalgie, de toutes sortes de revendications politiques et de projets de société. Nous-mêmes avons encore un souvenir magique de cette Afrique, dont nous n’avons pourtant connu que quelques îlots survivants à la razzia des forces aliénatrices. Cette Afrique, c’est celle du Tin-bouani du Bwamu, annonçant, dans la nuit, la guerre du lendemain, la chute d’un grand baobab ; c’est celle du Bendré Moaga, proclamant la vie et la mort et appelant l’homme à l’intégrité ; c’est l’Afrique du Tamani Mandénka, du Doulyaro de Liptako et du Fouta-Djalon ! C’est l’Afrique du Goni de Mopti, du Balan sacré du Kénédougou et de Ségou, de la Kora du Wassoulou de Samory Touré ! C’est l’Afrique du xylophone magique des peuples fang, Batéké, Linga. C’est l’Afrique des fiers guerriers Massaï, Zoulou et Songhaï ; C’est l’Afrique des Simbon et Doso du Mandé ; c’est l’Afrique de l’heureux piroguier du Djoliba-Niger ; c’est l’Afrique des sages du clair de lune !

Cette Afrique-là, a existé et elle s’est pensée ; elle a pensé la vie, le monde, le commencement, la fin, l’éthique, l’esthétique et le politique. C’est l’Afrique de Wendé, Dieu unique du Mogho ; de Lawa, Esprit suprême en terre Sana du professeur Joseph Ki-Zerbo ; de Dofini, Dieu unique en pays Bwamu de Nazi Boni. Mais voilà, le fait colonial est venu arrêter une histoire multimillénaire et pousser tout un monde à l’effondrement. Depuis, l’Afrique est embarquée dans une nouvelle histoire où on exige qu’elle reprenne tout à zéro. Le constat est amer : le monde africain s’est vraiment effondré, et puisque l’histoire est irréversible, il ne reste que la perspective du baobab qui pousse de nouvelles feuilles, en puisant dans la sève ancienne, grâce à ses quelques racines encore incrustées dans le sol du passé.
Le malaise est profond, car, ni l’école d’inspiration occidentale, ni les médias, ni les mentalités, ne véhiculent des modèles d’une nouvelle identité africaine dans le village planétaire. Pourtant, cette dame de fer, la Grande royale, dans « l’aventure ambiguë » de Cheick Hamidou Kane, avait lancé l’avertissement : le nouvel africain ne doit aller vers l’Occident que pour apprendre à lier le bois au bois.
Dans cet horizon de la princesse Diallobé, quel est le bois que nous pouvons aujourd’hui apporter au monde ? On a souvent indiqué l’Orient comme modèle de conciliation qui a pu lier ses propres visions philosophiques avec le savoir et le savoir-faire de souche occidentale. Ce ne n’est pas faux, mais le modèle n’est pas très opérationnel pour l’Afrique. En effet, l’Afrique, du point de vue des croyances, a déjà tout perdu ; elle est, à jamais et depuis la fin du XIXe siècle, écartelée entre les visions arabo-musulmanes du monde et les croyances judéo-chrétiennes d’Occident. L’Afrique des ancêtres, des mondes invisibles, des baobabs et des caïmans sacrés, des rites initiatiques et des tabous de clans, l’Afrique de la forge mystique et du tam-tam magique, cette Afrique-là, ne subsiste guerre qu’à travers des poches de résistance que l’urbanisation et la scolarisation occidentale repoussent quotidiennement vers les gouffres du passé.
À notre sens, l’Afrique doit plutôt s’orienter vers cette piste magnifiquement indiquée par Monseigneur Anselme Titiama Sanou de Bobo-Dioulasso. Cette voie consiste à introduire certaines pratiques ancestrales dans les nouveaux univers de croyances et de pensées philosophiques. Les langues africaines ont déjà accompli leurs missions, en s’accaparant des cultes et des textes sacrés d’Occident. Il faut aller plus loin ; bien sûr, les tam-tams et les masques ont déjà investi, par endroit, les églises et les temples ; l’Église, celle de Rome, ne rejette plus les prénoms africains surajoutés aux prénoms dits chrétiens. On peut, désormais, se prénommer, sans sacrilège, Ouédraogo Wendpanga Christophe, Goro Adama Zassi Joseph, Paré Lawagoulé Jonas, Coulibaly Pierre Fakoly, Boly Belco Christian, Lompo Diaba Vincent, Somé Léa Nadège Tuono, Zoungrana Dagniwendé Pierrette, Joelle Edégdéhé Ndong, etc... C’est bien dans ce sens, en prolongement au Kimbanguisme d’Afrique centrale, que nous pouvons avancer.

Tout naturellement, le plus grand effort est à faire du côté du clergé musulman, de manière à développer un islam propre au continent, porteur de la tolérance et de l’esprit de symbiose des pères africains. Les États laïcs, tout en évitant le folklore inutile, doivent aussi, courageusement, prendre ce pas du renouveau africain qui injecte ce que nous fûmes hier dans ce que nous sommes obligés d’être aujourd’hui. Le président Roch Marc Christian Kaboré, qu’on ne voit guère qu’en tenue Faso dan Fani lors des cérémonies officielles, est d’ailleurs à distinguer sur ce chemin audacieux de l’émergence des valeurs africaines. En tout cas, le Burkina Faso, avec encore plus de volonté, peut poursuivre cet effort déclenché par la révolution sankariste de 1983 et donner l’exemple, sans jouer au donneur de leçon, à toute l’Afrique.
En bilan, on peut ouvrir la brèche sur tout ce que l’Afrique doit, de nos jours, emprunter comme bois à l’occident. Cet emprunt est indispensable, car c’est un raccourci de la longue route du progrès. Il s’agit du savoir expérimental et du savoir-faire prométhéen qui ont permis à l’Occident de devenir maître et possesseur de la nature, comme prédit par René Descartes. Si nous sommes sortis perdant de la confrontation historique, c’est bien parce que, sur ce terrain, nous avions des lacunes. Ceci ne veut pas dire d’ailleurs que nous n’avions pas de savoir et de savoir-faire opérationnels ! Au contraire, nous restons convaincus, pour notre part, que l’Afrique regorge de choses extraordinaires qui pourront à l’avenir contribuer à résoudre bien de problèmes aujourd’hui insolubles par la rationalité occidentale. L’état actuel du monde exige cependant que nous comblons le plus rapidement possible, le fossé entre l’Occident et nous, en termes de développement des mass-médias, des institutions de recherche et d’application scientifique, de créativité industrielle.

Nous devons le faire sans complexe, comme l’Asie, car la rationnalité n’est pas une invention singulièrement européenne. Il s’agit d’un patrimoine universel qui a juste transité par l’Europe, après avoir probablement pris son envol dans cette Égypte ancestrale de nos pères.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net