Notre époque, c’est celle du village planétaire où tous les hommes sont, d’une manière ou de l’autre, interconnectés. À regarder le passé humain, on se rend tout de suite compte que les hommes n’ont jamais été aussi proches les uns des autres.
Sommes-nous pour autant tolérants les uns envers les autres avec nos différences ?
Notre chroniqueur lance le débat.

Le progrès des moyens de locomotion a réduit les distances, en accélérant notre vitesse, et a ainsi rapproché des sociétés qui jadis s’ignoraient totalement. Les technologies révolutionnaires de communication du dernier siècle ont donné le coup de grâce final à l’isolement des peuples. Désormais, malgré les distances et la diversité des nations, nous vivons ensemble au même rythme, et plus que jamais, le globe terrestre connaît une intense mobilité des personnes et des biens. Entre ciel et terre, sur mer ou sous mer, sur terre ou sous terre, se croisent des vagues de voyageurs, en direction de toutes les contrées du monde. De nuit comme de jour, les continents et les pays échangent des touristes, des migrants, des gens d’affaires, des réfugiés de toutes sortes, des hommes de diplomatie. Cette forte mobilité a pour conséquence progressive l’éclatement des entités monolithiques et homogènes. Toutes les nations deviennent, de plus en plus, des sociétés hétéroclites où se côtoient des valeurs différentes, voire antagoniques.
Bien naturellement, cette grande fourmilière humaine a ses atouts ; elle repose sur un socle de valeurs partagées qu’on peut identifier en l’adhésion à la même rationalité scientifique et à la reconnaissance commune des savoir-faire technologiques du temps. Dans une moindre mesure, on peut penser aussi à des référentiels comme le mode de gouvernance économique et politique, les droits humains et sociaux.
Mais, derrière cette tendance à l’universalité, se cache une cruelle réalité qui résiste à l’intégration des entités du monde humain. Il s’agit notamment de la diversité des croyances, des pratiques religieuses et des modes de vie au quotidien. Le rationnel a rapproché les hommes les uns des autres, mais l’irrationnel les divise toujours en clans, en sectes et en confessions de toutes sortes. Pourtant, plus que jamais, les humains ont une communauté de destin, une obligation de partager les mêmes espaces au sein des mêmes nations. C’est justement dans ce contexte que se pose le défi de la coexistence des valeurs religieuses au sein de notre humanité contemporaine et au sein des nations modernes. Avons-nous encore les ressources morales nécessaires pour vivre ensemble en frères, avec nos différences religieuses, comme le souhaitait l’emblématique Martin Luther King ?
Il ne s’agit surtout pas, pour nous, de nous asseoir, aux portes du nord Mali en proie à un conflit religieux, et de donner à notre question une réponse de nature éthique en disant : « il faut qu’on vive ensemble avec nos différences. »
De notre avis, il est nécessaire d’examiner d’abord les raisons pour lesquelles nous avons des difficultés à vivre ensemble dans la diversité religieuse. Il nous faut regarder la réalité en face. Le progrès a bien rapproché, de corps, les hommes ; mais, dans le même temps, rien n’a été fait pour rapprocher véritablement les cœurs. Au contraire, le progrès a accru, un peu partout dans le monde, la peur de l’étranger et du différent. Recroquevillés sur les vieilles identités religieuses, les peuples imaginent être exposés, par le fait des facilités de transport et des télécommunications, à l’envahisseur de religion et de mœurs différentes, ou au mécréant qui véhicule un mode de vie libertin. Au fond, on devine que chaque peuple aurait préféré que les autres restent chez eux, là-bas, dans une contrée de la terre, avec leur différence ! C’est le grand paradoxe de notre époque : le progrès nous a rapprochés les uns des autres ; par lui, l’humanité a été unifiée et interconnectée. Mais, parallèlement, ce progrès a amplifié notre peur de la différence confessionnelle, de l’étranger qui a d’autres croyances et qui, à tout moment, peut nous envahir, nous submerger. L’Orient musulman se méfie ainsi de l’Occident, au point de censurer très souvent les médias européens et américains ; inversement, l’Occident vit dans l’angoisse permanente de l’envahisseur arabo-musulman ou afro-musulman ! On se souvient encore de ce choix de certains pays du nord européen de n’accueillir des réfugiés syriens que s’ils sont chrétiens ! En la matière, le tableau qu’offre le monde est bien triste : L’Asie des moussons connaît de graves convulsions religieuses permanentes. L’Afrique, du nord au sud, de l’ouest à l’est, est devenue, elle aussi, un terrain de confrontation entre valeurs religieuses venues d’Orient et d’Occident. L’Amérique, qui pourtant est historiquement le lieu du melting-pot culturel et religieux, est aussi tombée, après le terrible attentat du 11 septembre 2001, dans la paranoïa et la crainte de l’envahisseur enturbanné et potentiellement terroriste. Partout, l’heure est à la fermeture des frontières, au renforcement des barrières entre les nations et entre les consciences à l’intérieur du même pays.
En bilan transitoire, on peut retenir que notre grand village planétaire, qui est sensé nous avoir rapprochés les uns des autres, connait de terribles cloisons psychologiques et sociaux, conséquences d’une montée en puissance de la peur de l’autre venu de loin, ou de l’autre tout proche, mais différent dans ses croyances et son mode de vie. En dépit du gigantesque effort accompli par toutes sortes de bonnes volontés pour promouvoir les valeurs de tolérance, de liberté de croyance et de diversité culturelle, notre monde est quotidiennement en proie à tous les types de rejet de l’autre, de repli identitaire religieux, d’agression terroriste d’origine confessionnelle. C’est là le grand paradoxe de cette époque qui pensait avoir échappé au pire, avec la chute des barricades entre le bloc communiste et celui dit libéral.
Comment alors comprendre cette sorte de régression mentale et morale de notre humanité ! Quelles sont aussi les possibilités de sortir de ce marasme à la fois intra-national et international ? C’est vers les réponses à ces questions que les étapes prochaines de notre réflexion s’efforceront d’avancer.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net