Le patron des patrons algériens annonce de profonds changements dans la gouvernance économique de son pays qui va devoir, sans tarder, affronter à l’ére post-pétrole. Pour lui, les nouveaux mots clés de l’économie algérienne seront bientôt « marchés financiers », « diaspora », « diversification », « énergies renouvelables », « innovation » et bien-sûr « Afrique ». Ali Haddad explique à l’Agence Ecofin comment, selon lui, l’Algérie peut et doit se transformer .

Agence Ecofin : Le FCE annonce un Sommet international sur l’économie de l’après-pétrole, « Next Economy Summit », les 3 et 4 décembre 2018 à Alger. Qu’attendez-vous concrètement d’une telle rencontre ?

Ali Haddad : L’Algérie vit actuellement un moment déterminant. Son modèle économique est en pleine mutation engagée par les plus hautes autorités du pays. Une mutation dans laquelle l’entreprise algérienne joue un rôle moteur. En effet, nous devons, pour les générations futures passer de l’économie de la rente à l’économie productive, de la transformation et de la diversification. C’est en ce sens que le Forum des Chefs d’entreprise (FCE), principale organisation patronale du pays, a souhaité organiser ce sommet international autour des enjeux de l’après-pétrole.
Nous avons principalement deux niveaux d’attentes. Le premier, international, vise à initier des échanges avec tous les acteurs qui sont en train d’inventer nos futurs modes de consommation et de production, mais qui n’ont souvent pas l’occasion de prendre du recul et d’échanger sur ce qu’ils font. Le deuxième, national, vise à faire de l’Algérie l’un des centres de réflexion sur ces thèmes liés à l’après pétrole et par conséquent un des premiers bénéficiaires.

AE : Pour un pays producteur de pétrole, construire une nouvelle économie nécessite des financements gigantesques. La Norvège compte pour cela sur son fonds souverain, l’Arabie Saoudite veut ouvrir le capital d’Aramco… Quelles sont, dans cette perspective, les options que pourrait retenir l’Algérie ?

AH : A chaque pays ses atouts et particularités qui lui permettent de prospecter les meilleurs voies et moyens à même d’assurer son développement. Pour l’Algérie les options sont multiples. Elle dispose de vrais potentiels pouvant lui garantir la mobilisation de ressources nécessaires à son essor économique. Il y a d’abord la valorisation de son immense territoire. Durant ces quinze dernières années, notre pays a consenti des efforts importants en matière d’équipements publics qui se sont traduits par un maillage significatif du territoire en voies de transport et de communication. Ces nouvelles infrastructures constituent des opportunités d’accessibilité aux régions, en optimisant le redéploiement spatial des activités productives pour densifier les tissus locaux de PME. Ce qui est de nature à promouvoir le potentiel d’attractivité de ces territoires, les rendant réceptifs à de nouveaux investissements.
Ensuite, les ressources naturelles dont l’énergie, nous permettent de développer une industrialisation rapide basée sur la transformation productive des ressources primaires, que ce soit à partir du gaz, des gisements miniers et du gisement solaire. Nous avons la possibilité de faire émerger, très rapidement, des entreprises de dimension internationale, leaders dans leur domaine.

Aussi, la diaspora algérienne recèle également un potentiel non-négligeable de ressources, d’abord humaines, de haute qualité, et ensuite financières, en direction de laquelle il faudra développer une démarche audacieuse pour la promotion de nouveaux projets à fort potentiel de valeur ajoutée technologique.

Le Partenariat Public Privé (PPP) est une autre voie que nous explorons pour trouver les options les plus intelligentes de mobilisation de ressources pour la réalisation de projets structurants qui ne font pas supporter l’effort de développement national au seul trésor public. Sur un autre plan, les potentiels d’avantages compétitifs dont disposent certaines filières sont aussi des « niches » de mobilisations de gros moyens financiers qui proviendraient de l’exportation des biens et services produits.
Voyez donc, les ressources naturelles, l’attractivité des territoires, la diaspora, le PPP, les activités à fort potentiel d’exportation… et je pourrais en citer d’autres encore tels que l’agriculture ou les TIC, sont autant d’options qui s’offrent à l’Algérie pour la mobilisation des ressources financières pour la construction de ce que vous appelez la « nouvelle économie ».

AE : Le marché financier algérien vous semble-t-il apte à accompagner une telle transformation ?

AH : L’évolution du marché financier va être un des grands défis pour accompagner cette transformation. Si jusque-là les banques ont pu accompagner les projets d’investissement en rendant accessibles, aux opérateurs, les ressources financières dont dispose le pays, en revanche, le marché financier algérien doit faire et réussir sa mutation pour se mettre au diapason de l’émergence de la nouvelle entreprise. Cette mutation devra déboucher très rapidement sur la mise en place d’un marché des capitaux performant. La dynamisation de la bourse d’Alger est un des instruments qui participera grandement à répondre aux besoins de levée de fonds nécessaires aux entreprises.
Les financements via les marchés de capitaux, devant se développer ces prochaines années, l’entreprise doit s’y préparer également. Plusieurs entreprises algériennes sont en train de gagner en maturité, nécessaire pour entrer en bourse.
Il est clair que le financement de l’investissement et de l’entreprise ne pourra être indéfiniment et exclusivement supporté par les banques et le trésor public.

AE : Quel rôle le secteur privé devrait-il jouer dans cette mutation ?

AH : Partout dans le monde, c’est la vie des entreprises (relance de la production, fusions-absorptions, ouvertures ou fermetures de sites de production, créations ou suppressions d’emplois…) qui est, en dernière analyse, l’indicateur d’une reprise économique ou de la poursuite de la récession. L’Algérie n’est pas en reste.
Depuis quelques années, l’entreprise algérienne est en train d’émerger en tant qu’acteur incontournable dans le développement économique et social, contribuant à l’évolution de son environnement. Même si cela a été discret sur la scène internationale, la transformation est profonde et visible. S’il est indéniable que le secteur privé a connu un développement formidable ces dernières années, en revanche, en termes de contribution dans la mutation économique en cours, nous préférons focaliser sur l’entreprise algérienne, qu’elle soit publique ou privée. A ce titre, elle joue le rôle de vecteur principal de la diversification économique et de premier créateur de richesse et d’emplois. C’est en son sein que s’affirment les mutations qualitatives des ressources humaines. C’est cette dynamique d’émergence de l’entreprise, conjuguée aux transformations et évolutions profondes que sont entrain de connaitre nos grandes sociétés publiques, à l’image de Sonatrach ou Sonelgaz, qui va façonner l’Algérie de demain, l’Algérie de l’après-pétrole.

AE : Comment, selon vous, ce secteur pétrolier algérien doit-il se préparer à cet après-pétrole ?

AH : Comme je l’ai précisé tout à l’heure, les grandes entreprises du secteur de l’énergie ont entrepris des programmes de transformation et de modernisation de leur mode d’organisation et de management qui préfigurent une prise de conscience par rapport aux enjeux de la nouvelle conjoncture économique et aux défis qu’elles se doivent de relever. Du reste, ces entreprises, et à leur tête Sonatrach et Sonelgaz, sont d’ores et déjà totalement impliquées et jouent un rôle déterminant dans le cadre de la réalisation du programme national lié à la transition énergétique. La rencontre organisée par le FCE en janvier 2018, sur la stratégie nationale des énergies renouvelables à l’horizon 2030, a été, justement, l’occasion pour les représentants de ces entreprises d’exposer leur vision et projets devant les partenaires nationaux et internationaux. Il reste, cependant, pour ces entreprises, que le meilleur garant pour réussir leur mutation et assurer leur pérennité, c’est d’aller vers la diversification la plus large de leurs investissements en s’orientant vers les industries à forte valeur ajoutée. Bien entendu, cette approche doit se concrétiser en appui sur des alliances stratégiques et des partenariats mutuellement bénéfiques avec des leaders établis dans chacun des domaines ciblés.

AE : Certains opérateurs privés algériens se plaignent du blocage de leurs projets par « des ordres qui viennent d’en haut ». Que peut faire le FCE pour libérer les entrepreneurs de ces lourdeurs, sinon vécues, tout au moins ressenties ?

AH : L’amélioration du climat des affaires et la simplification des procédures est un travail quotidien et permanent qui est la raison d’être des institutions et organismes en charge de la promotion de l’investissement. Le FCE, pour sa part, a pour vocation de défendre au mieux les intérêts des entrepreneurs et, en ce sens, de travailler à améliorer les conditions dans lesquelles ils évoluent. Aux faiblesses constatées, il faudrait apporter les réponses qui soient au plus près des attentes des premiers concernés, c’est-à-dire les investisseurs.
Nous recevons régulièrement des requêtes de nos membres se plaignant de différentes contraintes (des délais de délivrance d’un permis de construire, du retard dans l’obtention d’une quelconque autorisation ou de mise à disposition de l’énergie électrique ou autres utilités,…). Nous nous attelons à remonter aux autorités toutes les requêtes fondées et à faciliter les processus administratifs à travers une cellule d’écoute et de prise en charge installée au sein de notre Forum. J’ai effectué, moi-même, l’année passée, une tournée qui m’a conduit dans les 48 wilayas (départements, ndlr) du pays pour recenser les préoccupations des chefs d’entreprises. Nous avons communiqué aux autorités la totalité des doléances qui ont été porté à notre connaissance.
Nous œuvrons constamment pour accompagner ces entrepreneurs afin de leur faciliter l’acte d’investir. Pour autant, aussi bien le FCE que tout opérateur privé national ou international, quel que soit son projet, se doit de respecter l’environnement légal et juridique du pays. Comme il est d’usage de le faire pour tous les entrepreneurs ailleurs dans le monde.

AE : Quels sont, selon vous, les aspects positifs de la règle 51/49 ?

AH : Nos partenaires internationaux comprennent qu’une Algérie forte économiquement profitera à toute la région. Dans ce chemin vers la prospérité économique, il y a des étapes ; et l’étape dans laquelle nous nous trouvons, la priorité pour l’Algérie est de permettre le transfert de savoir-faire à travers des partenariats favorisant la diversification de son économie. C’est l’un des objectifs de la règle 51/49. Par ailleurs, nous avons l’habitude de dire aux investisseurs internationaux que, même si la règle n’existait pas, en Algérie, c’est un facteur clé de succès indéniable que de co-construire avec un opérateur local. De même que, de notre point de vue, cette règle ne devrait pas être examinée isolément des autres mesures favorables à l’investissement qui ont été mise en place concomitamment à celle-ci. Je citerai à titre d’exemple, la garantie de mobilisation, sur le marché financier local et à des conditions avantageuses, des financements concourant à la réalisation de tout projet d’investissement. C’est sous le sceau de cette règle que de grands projets d’investissements industriels ont été concrétisés ces dernières années. De même que dans le cadre de cette règle, le partenaire étranger garde le plein droit de gérer la société commune et de nommer ses managers à travers un contrat de management ou autre. Plusieurs sociétés créées en partenariat à la faveur de cette règle, fonctionnent selon ce modèle.

AE : Contrairement au voisin marocain qui a lancé une offensive économique en Afrique depuis une quinzaine d’années, l’Algérie reste très timorée en ce qui concerne la conquête des marchés africains. Qu’est ce qui a empêché, jusqu’à ce jour, les entreprises algériennes de se déployer sur le continent ?

AH : Dès mon élection à la présidence du FCE, c’est en Afrique que j’ai effectué mon premier voyage. C’est dire, si besoin est, notre attachement au partenariat avec les entreprises africaines. Notre conviction est que le développement de l’Algérie passe également par l’Afrique. Il ne faut pas confondre discrétion et immobilisme. Le montant de nos investissements en Afrique devrait être plus important au regard de nos relations historiques avec tous les pays du continent, mais les opérateurs algériens commencent à développer des plans de développement sérieux en Afrique.
L’Algérie dispose de champions nationaux de plus en plus solides et c’est grâce à eux que notre présence sur le continent prendra de plus en plus d’ampleur. J’étais, il y a quelques mois, à Abidjan avec une délégation du FCE et nous avons pu échanger avec les responsables ivoiriens d’axes de développement structurants et sur lesquels nous sommes entrain de travailler.
Les entreprises algériennes saisiront toutes les occasions et ne négligeront aucune piste pour exporter et s’implanter en Afrique, en particulier sur les marchés où la demande est forte, en commençant par les secteurs où elles sont déjà leaders en Algérie et dans lesquels elles disposent d’un savoir-faire.

AE : Quels sont ces grands secteurs, hors pétrole, qui permettront à l’Algérie, selon vous, de se déployer en Afrique ?

AH : Nous avons identifié au FCE plusieurs secteurs dans lesquels l’Algérie dispose de tous les atouts pour construire des avantages comparatifs indéniables : l’agro-industrie, l’énergie, l’industrie pharmaceutique, le BTP, les services et les infrastructures...
Plus précisément, signalons les énergies renouvelables dans toute la chaine de valeurs, qu’elle soit industrielle pour la fabrication des équipements ou celle de la production de l’énergie elle-même. Avec un des taux d’ensoleillement parmi les plus élevés de la planète, l’Algérie a un rôle de premier plan à jouer dans la transition énergétique planétaire.
Mais nous avons aussi l’agroalimentaire et toute la filière agricole qui a connu une croissance fulgurante ces dernières années ; la filière des produits et matériaux destinés à la construction dispose de marges de progression et de développement certaines. Il y a également le domaine de l’exploitation et de la valorisation de notre formidable potentiel minier, ou encore l’innovation et le numérique. Notre pays est très jeune et recèle beaucoup de talents du monde de l’innovation, qui partent à l’étranger pour développer des technologies de rupture. Nous faisons tout pour qu’ils restent, de plus en plus nombreux, en Algérie afin d’innover localement et participer à cette transition économique de l’après pétrole.

Propos recueillis par Dominique Flaux
Agence ECOFIN