Le niveau monte chez Thierry Ardisson. Invité de l’émission Salut les Terriens, Eric Zemmour développe son réquisitoire habituel contre les familles qui donnent à leurs enfants des prénoms de consonance étrangère. Citant de manière fautive la législation française, Zemmour affirme que les prénoms des nouveau-nés devaient, jusqu’en 1993, être choisis « dans le calendrier », c’est-à-dire, selon lui, parmi les saints de la tradition chrétienne.

Présents sur le plateau, Natacha Polony et Gilles-William Goldnadel, dotés d’un prénom russe pour l’une et anglo-saxon pour l’autre, se récrient en souriant, tout comme Hapsatou Sy, également chroniqueuse chez Ardisson. Le dialogue qui s’ensuit entre Zemmour et la jeune femme mérite d’être cité :

— Eric Zemmour : « Votre mère a eu tort de vous appeler ainsi. Elle aurait dû prendre un prénom du calendrier et vous appeler Corinne par exemple, ça vous irait très bien. »

— Hapsatou Sy : « Jamais je n’ai entendu quelque chose d’aussi blessant. Parce que pour moi qui aime ma France, que j’aime ce pays, que ça vous plaise ou ça vous déplaise, je trouve que ce que vous venez de dire n’est pas une insulte à mon égard, c’est une insulte à la France. »

— Eric Zemmour : « C’est votre prénom qui est une insulte à la France. La France n’est pas une terre vierge. C’est une terre avec une histoire, avec un passé. Et les prénoms incarnent l’histoire de la France. »

Soucieux de ne pas encourir de poursuites, les producteurs décident de couper le dernier échange au montage. Mais dans la polémique qui s’ensuit, alors qu’elle est violemment attaquée sur « les réseaux », ce pilori moderne, Hapsatou Sy décide de le mettre en ligne pour prouver sa bonne foi. Rappelons que le prénom, qui est le premier attribut reçu par chacun à sa naissance, fait partie du plus intime de l’individu, sans qu’il le choisisse lui-même (sauf à en changer). Lâcher d’un ton glacial que ce prénom « est une insulte à la France », c’est bien attaquer directement la personne, et non faire état d’une opinion générale, aussi contestable soit-elle. On remarquera aussi que Zemmour établit une soigneuse hiérarchie entre ses contradicteurs : Natacha ou Gilles-William, dit-il, passe encore. Mais Hapsatou, « insulte la France ». Les Russes ou les Américains, on peut admettre. Mais les Africains….

Hapsatou Sy, contrainte de se défendre d’un prénom qui lui a été donné, fait remarquer au passage qu’elle voue une grande affection pour la France et qu’elle l’a représentée plusieurs fois publiquement comme cheffe d’entreprise dans des manifestations internationales. Peu importe pour Zemmour, qui refuse de s’excuser et continue de traiter avec un mépris affiché celle qu’il a attaquée en usant d’une violence verbale inédite.

Au lieu de prendre la défense de sa chroniqueuse, Ardisson, importuné dans sa grandeur par la mise en ligne de l’extrait coupé au montage, attaque à son tour Hapsatou Sy. Avec une élégance rare, il déclare publiquement que la production a avancé de l’argent à la chroniqueuse sur ses prestations à venir, affirmant qu’elle a du mal à payer ses impôts et que dans ces conditions, sous-entend-il, elle ferait mieux de ravaler l’insulte et de s’écraser. Ainsi parlent ceux qui ont un portefeuille à la place du cerveau. Au bout du compte, l’insulteur s’en tire avec les honneurs et le fiel médiatique se répand sur l’insultée. Jolie fable moderne, qui mérite une petite morale : il faut désormais appeler un chat un chat et Zemmour un raciste. Quant à ceux qui l’invitent en rangs serrés pour promouvoir son livre à coups d’insanités, ils sont renvoyés à leurs responsabilités.

Enumérons pour finir quelques citoyens ou citoyennes françaises dont le prénom, dixit Zemmour, « est une insulte à la France » : Zinédine Zidane ou Nabil Fekir, footballeurs de l’équipe de France ; Omar Sy et Jamel Debbouze, comédiens ; Rachida Dati ou Karima Delli, femmes politiques ; Leïla Slimani, prix Goncourt ; Samir Bajja, soldat de l’armée française tué au Burkina Faso ; Ahmed Merabet, policier assassiné par les jihadistes de Charlie ; etc.

Laurent Joffrin
Libetation