Médaillé d’argent sur le marathon hier aux JO de Rio, l’Ethiopien Feyisa Lilesa a transporté sur la scène internationale les tentions politiques qui déchirent son pays

C’est l’image qui aura marqué l’une des épreuves reines de l’athlétisme hier aux JO de Rio. Après plus de deux heures de course sur le trajet du marathon, l’Ethiopien Feyisa Lilesa se retourne plusieurs fois pour s’assurer que la deuxième place ne plus lui échapper. Le Kenyan Eliud Kipchoge, s’est adjugé la première place en 2h08’44, et l’Américain Galen Rupp ((2h10’05"), est assez distant de lui pour le rattraper. Peu avant de franchir la ligne d’arrivée, Feyisa Lilesa lève d’abord le point en signe de victoire, un geste courant chez les sportifs ; puis dans un deuxième temps, il croise ses poings sur le front à plusieurs reprises. Un geste qu’il répète dès la ligne d’arrivée franchie (2h09’54").
On se demande ce que peut bien signifier ce geste qui est tout sauf anodin, les enceintes sportives étant propices aux revendications civiques ou politiques. Interrogé en conférence de presse, le médaillé d’argent s’est expliqué : « C’est un signe de soutien aux manifestants qui sont tués par le gouvernement de mon pays. Ils font le même signe là-bas. Je voulais montrer que je n’étais pas d’accord avec ce qui se passe, j’ai des proches et des amis en prison. Le gouvernement tue mon peuple, les Oromos, des gens sans ressource. »
S’expose t-il à des représailles une fois retourné au pays ? « Des risques ? Peut-être que je vais être tué, peut-être que je vais être mis en prison, retenu à l’aéroport, ou obligé de partir dans un autre pays », répond t-il, avant d’expliquer la situation socio-politique qui prévaut dans son pays :

« L’Ethiopie a beaucoup d’ethnies. Certains ont été privés de leurs terres, tués par le gouvernement, poursuit Lilesa. On défend nos droits, on veut la paix, la démocratie. Pour mon peuple, c’est important de parler de ces sujets. Il y a des manifestations depuis neuf mois, plus de 1000 décès je pense. C’est dangereux de parler de ça, mais les pays occidentaux supportent ce gouvernement. Pourquoi ? »
Depuis plusieurs semaines, des manifestations antigouvernementales se déroulent en Ethiopie, à l’appel d’opposants appartenant aux deux principales ethnies du pays (Oromo et Amhara). Au cours du week-end du 6 et 7 août, la répression policière contre les manifestants a été très sanglante. Une centaine de personnes ont été tuées, et plus d’une centaine ont été blessées dans les régions Oromo et Amhara, selon Amnesty International.
Le geste de Lilesa rappelle celui de Tommie Smith et John Carlos lors des Jeux Olympiques de Mexico en octobre 1968. Médaillés d’or et bronze dans l’épreuve du 200 mètres, les athlètes Américains avaient levé leur poing ganté en noir et baissé la tête pendant la remise des médailles au moment où retentit l’hymne américain, en guise de protestation contre la ségrégation raciale dont sont victimes les Afro-Américains.
Entre le sport et la politique, la frontière n’est pas si étanche. Le monde sait désormais le drame qui se déroule en Ethiopie depuis des semaines, jusque là dans un silence relatif.

Joachim Vokouma
Kecato.net