Bastonnades, assassinats, incendies et/ou pillages de biens, interdiction d’habiter désormais la localité, etc., voilà ce que vivent nos compatriotes de l’ethnie peule depuis des années dans plusieurs localités de notre pays. Sans que les auteurs de ces crimes ne soient traduits en justice. (*)

La question, ainsi volontairement posée, vise à choquer et à interpeller.
Choquer dans l’espoir de réveiller les consciences qui, manifestement semblent endormies, ou délibérément, refusent de voir qu’une composante de la communauté burkinabè, en l’occurrence la communauté peule, est victime depuis des années, de graves violations des droits de l’homme.
Interpeller l’Etat, l’opinion nationale et internationale sur l’impunité dont bénéficient les auteurs de ces graves violations et les risques que, face à l’inaction de la justice, les victimes soient contraintes, par instinct de survie, d’administrer eux-mêmes leur propre justice selon leurs propres règles.
Régulièrement, les médias rapportent des conflits opposant, pour des motifs divers, des membres de l’ethnie peule à des membres d’autres ethnies. Les conséquences de ces différends, somme toutes normales dans toute société humaine, sont toujours hélas, plus lourdes du côté des Peuls. Le mode opératoire est toujours le même : une bagarre éclate entre un Peul et un non Peul. S’ensuit une vendetta contre l’ensemble de la communauté peule du coin : assassinats, campements détruits et incendiés, bétail volé ou abattu, biens emportés, etc.
Les événements qui se passent depuis hier mardi 1er janvier 2019 à Yirgou-Foubé, un village de la commune de Barsalogho, dans la région du Centre-Nord, où au moins 13 personnes ont été tuées, ne sont que le dernier épisode d’un long feuilleton macabre dont les Peuls paient souvent le plus lourd tribut.
On ne dispose pour l’instant pas assez d’informations fiables sur les causes exactes et le bilan définitif de ce drame, mais de ce qu’on sait, des individus armés sont arrivés dans le village et auraient demandé à voir le chef traditionnel, par ailleurs guérisseur bien connu dans la région et qui pratiquerait ses soins sur une colline, à quelques encablures du village. Les individus armés y auraient été conduits par un habitant peul, et une fois sur les lieux, ils auraient ligoté le chef traditionnel avant de l’abattre. Voulant venger leur père, trois de ses enfants auraient été à leur tour abattus. « On ne sait pas d’où sont venus ces gens puisqu’ils étaient enturbannés, mais les habitants s’en sont pris aux Peuls du village, comme s’ils étaient des complices de ce qui vient de se passer », a confié à Kaceto.net, un ressortissant de Barsalogho.

Cette affaire, comme bien d’autres par le passé, donne l’étrange sentiment que dans notre pays, commettre un délit ou un crime quand on est un Peul, c’est condamner d’office ses parents à des représailles plus ou moins violentes, innocents soient-ils.
En violation de l’article 5 notre constitution qui stipule que « la peine est personnelle et individuelle". A Yirgou-Foulbé comme ailleurs, s’en prendre à une communauté entière parce qu’un de ses membres aurait commis un crime est inacceptable.
Pour ceux qui seraient frappés d’amnésie, un petit rappel d’événements tragiques qui montrent bien que pour un Peul, l’acte de naissance suffit parfois pour établir sa culpabilité dans la commission d’actes répréhensibles.
En avril 2015 à Tangaye dans la commune de Ziniaré, un mineur peul est accusé de vol d’animaux. Avant que sa culpabilité ne soit établie, des jeunes s’en prennent aux habitations des Peuls, détruisent les greniers et exigent leur départ pur et simple du village, alors que certains y vivaient depuis plus d’un demi-siècle. Devant le siège de la gendarmerie, le porte-parole du chef du village a exigé le départ du gouverneur et du chef de Brigade de la gendarmerie de Ziniaré, au prétexte que ces autorités soutiennent les Peuls. Le patron des gendarmes avait simplement déclaré que des voleurs, on en trouve dans toutes les ethnies !
En juillet 2014 à Tiébélé, un agriculteur, Ouéna Kané trouve la mort dans son champ suite à une bagarre avec Seydou Diallo. Les villageois ne tardent pas à venger leur frère. Bilan : 4 enfants peuls tués à l’arme blanche. Trois sont « dépecés » et un autre est lapidé à mort.
En avril 2014 à Mané (Kaya), une histoire de vol d’un âne a servi de prétexte aux habitants pour incendier les maisons des Peuls et tuer leur bétail. On apprendra plus tard que l’âne a été retrouvé à Ziniaré et que le voleur n’est pas peul !
En novembre 2013 à Diébougou, le ton monte entre un agriculteur et un Peul éleveur. Bilan : L’éleveur est égorgé, trois personnes disparues dont une vieille de 89 ans et ses deux filles de 58 ans et 52 ans, 84 déplacés, des greniers brûlés, des animaux tués ou disparus.
En décembre 2012 à Zabré, le bilan une bagarre se solde par sept morts dont six peuls, enterrés dans une fosse commune, plus de 1400 déplacés, des centaines de sacs de céréales brûlés, des maisons détruites, des animaux disparus.

En août 2012 à Gaoua, suite à la disparition d’un jeune enfant (retrouvé mort quelques jours plus tard), la violence éclate. Bilan, six morts dont trois Peuls, des habitations incendiées, des centaines de personnes déplacées à Bobo Dioulasso, des centaines d’animaux disparus.

En juillet 2012 à Saré Peul (Gombousgou), les Peuls sont à nouveau les principales victimes d’une justice expéditive suite à une bagarre : Quatre blessés, des cases incendiées, une forte somme d’argent emportée, le bétail abattu.

En mai 2012 à Sari, dans la zone frontalière avec le Mali, un conflit communautaire entre Peuls et Dogon fait plus d’une centaine de morts du côté burkinabè, des habitations détruites et saccagées, des animaux disparus.
A Tiankoura, deux agriculteurs décèdent alors qu’ils sont en détention suite à une bagarre avec des Peuls. En représailles, dix Peuls sont tués.
Mêmes causes, mêmes effets à Perkoura et à Gogo (Zoundwéogo) avec au total 17 morts et des centaines de sinistrés.

Bien sûr, comme on le voit, les victimes ne sont pas exclusivement d’un seul côté, et s’il n’est pas question ici de se livrer à une comptabilité comparative macabre, il faut reconnaître que depuis 2012, c’es la communauté peule qui a payé le plus lourd tribut de ces violences dites inter communautaires. En toute impunité. On n’a pas connaissance d’un seul cas de crime qui ait donné lieu à un procès. Pis, en février 2015 à Pama, une personne a été enfermée dans sa case et brûlée vive, mais le procureur de la république a déclaré qu’il pourrait classer le dossier sans suite pour
« inopportunité de poursuites » si de trop nombreuses arrestations pouvaient entraîner de nouveaux troubles. N’est-ce pas un encouragement aux potentiels criminels à se rassembler avant de commettre leurs forfaits ? Y a t-il dans notre pays, un autre groupe ethnique qui subit le même sort que les Peuls ? Ca suffit ! Les auteurs de tous ces crimes doivent être poursuivis et sanctionnés conformément à la loi. La sanction, faut-il le rappeler, vise d’une part, à rappeler le fautif à l’ordre, à le punir pour avoir porté atteinte au fondement de la société humaine, et d’autre part, à dissuader les potentiels fautifs de passer à l’acte.
Il est temps de mettre fin à ce processus de banalisation du mal, à cette politique de l’autruche qui pourrait donner le sentiment aux victimes qu’ils sont des citoyens de seconde zone.

Joachim Vokouma
Kaceto.net

* Images d’archives