Dans le discours qu’il a prononcé lors de sa prestation de serment le 29 décembre 2015, le président Roch Marc Christian Kaboré s’était engagé à instaurer un dialogue social franc et à combattre l’incivisme qui avait déjà atteint des proportions inquiétantes.
Trois ans près, notre chroniqueur revient sur cet engagement et accuse.

En suivant l’actualité du Burkina Faso, entre incivisme généralisé, attaques hâtivement qualifiées de terroristes, règlements de comptes et autres lynchages, difficile d’échapper à une sensation de climat de fin de règne. Toutes proportions gardées, cela rappelle étrangement les trois dernières années du règne de Blaise Compaoré.
En 2015, une heureuse coïncidence a voulu que j’assiste à la prestation de serment du président Rock Marc Christian Kaboré, teintée d’enthousiasme, voire d’euphorie justifiée au regard des péripéties de fin de Transition. Un passage de son discours, particulièrement ovationné, que j’ai plusieurs fois visionné, avait retenu mon attention. « Pour ma part, je prends ici l’engagement d’instaurer un dialogue social fécond avec tous les Burkinabè pour qu’ensemble, nous brisions les chaînes de la misère pour construire, dans la tolérance et la discipline républicaine, une nation forte, digne et respectée.
Cela signifie et impose, chères concitoyennes, chers concitoyens, que nous reconnaissions à l’Etat sa place et son rôle prépondérants dans la conduite des affaires publiques, son autorité, toute son autorité dans le fonctionnement harmonieux et régulier des institutions républicaines afin de garantir une bonne gouvernance au profit de l’ensemble des citoyens.
Cela exige, de la part de tous et de chacun, que nous sachions, dès à présent, contenir nos égoïsmes personnels, bannir nos divisions stériles, combattre l’intolérance et l’incivisme rampant, pour construire ensemble une alliance de progrès, à même de porter les ambitions de développement du pays ».

Une illustration de la satisfaction qu’il a emportée est celle d’un ami, commissaire de police qui, tout joyeux disait ceci : « Avec le discours de ce président-là, nous allons enfin pouvoir faire notre travail à nouveau. »

Mon regard interrogateur, l’avait poussé à me confier que la police ne pouvait plus travailler au Burkina depuis 2011-2012, que les gens faisaient ce qu’ils voulaient, et que lorsqu’on les arrêtait, le pouvoir appelait pour demander de les libérer parce qu’il s’agissait de leurs militants…Triste réalité !
Cette situation était caractéristique de ma propre expérience de l’incivisme et de la haine décomplexés qui s’exprimaient ouvertement dans tout le pays. Incivisme routier, haine vis-à-vis de compatriotes qui arboraient un certain niveau de vie, parce que assimilés sans retenue à tous les corrompus et voleurs de la République, tout y passait. Sur cette base, j’ai échappé à un lynchage pour mon apparente aisance, alors que je n’avais nullement enfreint le code de la route. Heureusement que les jeunes qui étaient aux alentours me connaissaient s’étaient interposés pour éviter le drame. Voici le laid visage du Burkina Faso depuis quelques temps, le visage que mon cher commissaire croyait pouvoir changer avec le discours galvaniseur du nouveau président : un fort besoin de retour à l’ordre, une demande pressante d’observation par tous du principe sacro-saint du respect des règles par les citoyens et l’Etat lui-même.
Trois ans plus tard, rien n’a changé ! Cette attente n’a pas été satisfaite. Bien au contraire, cela va de mal en pis. Le président Kaboré semble jouer tout son mandat sur les réalisations d’infrastructures, la relance de l’économie, et l’assurance maladie universelle. Mais peut-on bâtir sur des sables mouvants ? Peut-on bâtir dans l’insécurité et le désordre ? Peut-on bâtir lorsque ce qui est construit dans la douleur et malgré les sabotages est détruit le lendemain, dans l’impunité totale ?
L’un des acquis de l’insurrection sur lequel il sera difficile de revenir en arrière, ce sont les libertés publiques. Véritables cette fois-ci. Les réseaux sociaux ont par ailleurs étendu les espaces et cadres d’expression de cette liberté. Mais qu’en faisons-nous ? Ne sommes-nous pas passés d’un extrême à l’autre ? Les libertés signifient-elles que nous sommes désormais dans une zone de non droit ?
A propos de droit justement, que fait la magistrature de l’indépendance qui lui a été accordée, revalorisations salariales plantureuses en prime ? La presse libre et abondante est-elle de qualité ?
Il y a 121 ans, Zola publiait son « J’accuse... ! » dans le journal L’Aurore. Il termine sa longue lettre adressée au président de la république Félix Faure par une longue anaphore commençant par « J’accuse ... » et conclut par ses mots :« Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends.
Veuillez agréer monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect. »
Contrairement à Zola, qui parlait d’une affaire précise, l’affaire Dreyfus, je mène une réflexion d’ordre général. Je n’ai donc pas de liste nominative de personnes à accuser. Mais j’accuse.
J’accuse le président Kaboré de ne pas apparaître comme le phare qui guide le peuple burkinabè en ces temps troublés.
J’accuse ce gouvernement de donner le sentiment de gérer le pays comme si nous étions en temps ordinaires.
J’accuse les partis politiques de ne pas jouer leur rôle dans la construction de la citoyenneté malgré les milliards de subventions publiques qu’ils reçoivent pour cela.
J’accuse la presse de ne pas utiliser à bon escient les milliards de subventions publiques qu’elle reçoit pour nous offrir des informations et des analyses de qualité.
J’accuse les organisations de la société civile de ne se mobiliser que sur les sujets bénéficiant de financements de la part des ONG et générateurs de perdiems.
J’accuse la justice burkinabè de continuer sa sieste à un moment où nous avons cruellement besoin d’elle.
J’accuse l’administration, mais également les entreprises publiques et privées de se comporter avec leurs usagers et leurs clients comme l’administration coloniale se comportait avec les peuples dits indigènes.
J’accuse les intellectuels burkinabè de désertion et de sécession sociale.
J’accuse les Burkinabè, tous autant que nous sommes, de refuser le savoir, l’effort et le progrès.

Maixent Somé
Analyste politique
Kaceto.net