Auteur du livre Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso, passionné par l’intelligence économique, l’auteur du texte ci-contre plaide pour la mobilisation de ressources internes afin d’assurer notre indépendance en matière de défense.

D’entrée de jeu, il est important de souligner que l’esclavage et la colonisation ont été possibles à cause du déficit technologique des peuples noirs.
Quand on regarde bien les résistances africaines, on se rend compte que le rapport de forces a toujours été défavorable au moins avancé technologiquement. Samory Touré, El Hadj Omar Tall, Béhanzin, Boukary Koutou et d’autres résistants avaient des armes rudimentaires pour affronter des adversaires aux armes plus perfectionnées. Tout se passe comme si nous peuples noirs avons décidé volontairement de ne jamais apprendre de nos erreurs.
La qualité du commandement, la connaissance du terrain, le courage, la cohésion… concourent à la victoire certes, mais ne suffisent pas en elles-mêmes pour réaliser l’état final recherché. Un des déterminants dans la guerre demeure la capacité technologique qui a le statut privilégié de multiplicateur de forces.
Ainsi va le monde. Les nations qui ont une supériorité militaire ont toujours su garder sur les autres une hégémonie manifeste et implicite.
Il est donc important que les Négro-africains puissent se réapproprier leur passé pour mieux construire l’avenir. Les pays du Maghreb, ayant longtemps pris conscience des enjeux géostratégiques, ont réussi à développer pour certains, une industrie militaire reposant sur une démarche scientifique et technologique endogène.
Si « le développement est essentiellement une question de rattrapage technologique » comme le pense Jeffrey Sachs, il faut que nous puissions dès maintenant mener la prospective qui nous permettra de nous approprier les enjeux de demain parce que le transfert de technologie que nous appelons de tous nos vœux n’est rien d’autre qu’une expression de notre incapacité stratégique. Nous devons et pouvons également explorer la science et la technologie comme l’ont fait d’autres peuples ou nations. La science et la technologie étant des réponses trouvées à certains besoins ou problématiques, nous pouvons nous aussi nous y mette et sans tarder.
Dans la lutte que nous imposent les « fous de Dieu », nous comprenons que la technologie permet d’emporter la décision face à un ennemi qui connait mieux le terrain, les dynamiques sociales et sociétales, utilise les mêmes armes conventionnelles que nous et arrive à nous infliger une grande attrition grâce à l’effet de surprise et à l’asymétrie de manière générale. Ne pouvant pas tomber dans la perfidie car étant des forces régulières, nous devons réfléchir à comment mener des actions intelligentes, légales et légitimes.
Il est donc important aujourd’hui que nous puissions nous intéresser à la recherche scientifique et technologique et surtout à une industrie de la défense. Il me parait évident qu’un pays avec les moyens aussi limités que le nôtre ne peut pas toujours se permettre « d’acheter sur étagère » les moyens les plus performants. Mais il peut néanmoins décider d’encourager certaines initiatives car des Burkinabè ont aujourd’hui certaines expertises dans des domaines aussi révolutionnaires que les drones ou la résistance des matériaux. Il ne reste qu’à mettre à place le cadre incitatif qui leur permette de mettre leurs talents et leurs compétences au service de leur pays. Et peut-être que cette initiative jettera les bases d’une future industrie au service d’une ambition industrielle nationale véritable.
La recherche militaire coûte excessivement chère. Mais c’est à ce prix que nous pourrons assurer véritablement la défense et la sécurité de notre pays, mais aussi son autonomie, son indépendance et même sa pérennité. Il est inconcevable que pour nous défendre et nous protéger, nous ayons toujours besoin des autres. Surtout que derrière la charité et la solidarité, se trouvent bien souvent des desseins aussi indicibles que sombres. Notre dignité et notre fierté ne peuvent pas persévérer dans la voie la plus facile qui s’offre à nous : compter sur d’autres plus que nos propres forces.
Je ne dis pas que nous devons balayer du revers de la main toute forme de solidarité, de nous renfermer sur nous-mêmes surtout dans un environnement international aux interdépendances complexes. Mon propos est l’addition des capacités.
Les défis du moment nous recommandent une rupture, une autre façon de nous assumer dans tout ce qui peut représenter une menace quelconque pour nos vies, nos rêves et nos valeurs.
Les pays qui sont militairement puissants ont compris cela. La puissance militaire est celle qui permet à un pays, avant toute autre considération, de faire face à l’ennemi, l’adversaire et la menace.
Nous dépendons de l’armement des autres pour nous battre. Nous dépendons de leurs munitions, des pièces de rechange, de leurs expertises pour la formation ainsi que le maintien en condition, de leurs doctrines, de leurs procédures… Et toute cette dépendance contribue à faire tourner à plein régime l’industrie militaire des nations développées maintenue à flot aussi par nos maigres ressources.
Tout compte fait, nous sommes des faibles qui se croient forts jusqu’au jour où notre incapacité s’étale à la vue du monde (insurrection, terrorisme…).
Il n’y a aucune quelconque dignité à être des États faibles, faillis, fragiles ou vulnérables.
Les mutations actuelles et à venir nous prouvent à souhait que nous devons avoir pour perspective de sortir de certaines dépendances structurelles. Cela est carrément une utopie, une vue de l’esprit me diront les pessimistes. Avons-nous un seul jour pensé à perfectionner les armes traditionnelles fabriquées par nos braves artisans ? La daba de nos vaillants paysans n’a pas connu une évolution majeure. Les mêmes outils rudimentaires sont demeurés tels. Je me rappelle d’une armurerie qui existait jadis dans la ville qui m’a vu grandir. Elle fabrique encore des fusils de chasse traditionnels sans la moindre innovation.
A l’heure des satellites, des drones, des armes intelligentes, nous devons nous poser les bonnes questions.
Accepterons ad vitam æternam le statu quo ? Sommes-nous d’accord que les mêmes pays nous vendent ou nous donnent que ce dont ils n’ont plus besoin ? Dans tous les cas, nos maigres ressources ne nous permettent que de faire le marché dans leurs poubelles. Ces pays ne s’enrichissent pas seulement au passage. Leur certitude que nous ne sommes pas encore rentrés dans l’Histoire se renforce également. Exclus de l’Histoire devons-nous l’être du progrès ?
L’avenir de la défense et de la sécurité à l’heure où nous ne disposons d’aucune capacité stratégique, c’est surtout l’Intelligence Artificielle. Constat qui accentue d’avantage notre retard.
« Rien n’est permanent, sauf le changement », selon Héraclite d’Ephèse. À nous de savoir nous montrer à la hauteur.
Mon prochain article sera consacré à « La défense de l’avant ».

SARA Alain
Auteur du livre Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso
saraalain.bf@gmail.com