Fin janvier 2019, la publication du montant de la subvention allouée à cinq partis politiques, environ 500 millions de F CFA, avait suscitée une vive polémique dans l’opinion, certains estimant qu’une telle somme aurait due être affectée à d’autres projets de développement.
Le chroniqueur de Kaceto.net revient sur le sujet et interroge la légitimité d’un tel financement.

Une telle question fait suite à notre réflexion sur les factions dans la république, où il est apparu que le contrat social républicain a été obligé d’autoriser les regroupements de citoyens pour divers objets, au nom des libertés d’association, de conscience, de conviction, d’opinion et d’expression. En fait, cette donne historique, qui s’est imposée sur les cendres des républiques totalitaristes de gauche et de droite, n’a fait que manifester l’essence véritable de la république démocratique, qui est de concilier l’ordre et la liberté, l’intérêt général et les aspirations privées, la volonté générale et les motivations partisanes. Mais, une chose est de trouver le compromis entre l’ordre républicain et les groupes partisans, une autre est de distribuer, à ces groupes, une part des deniers publics ! Quelle légitimité peut-elle bien être aux fondements de ce choix des démocraties libérales du temps ?
Il faut, avant toute chose, dire que les groupes politiques partisans ne sont pas les seuls à bénéficier de subventions publiques. Sur la même base d’analyse, certaines organisations de la société civile laïque et des organes de presse bénéficient également de subventions. Quelle est donc cette base d’intervention posée par les lois de la république ? La république, celle libérale et démocratique, part du principe que toute action qui concoure à la promotion ou au renforcement des valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de droit de l’homme, de citoyenneté, d’expression libre de la volonté populaire, est à considérer comme une œuvre d’utilité publique. Tout part donc des dispositions légales qui autorisent les regroupement de citoyens. Dans ce sens, toutes les républiques libérales du temps, à quelques nuances près, ont le même souci : il s’agit de faire en sorte que les regroupements de citoyens ne se fassent pas au mépris des grands principes républicains de laïcité de l’État, d’égalité des citoyens, d’unité et de souveraineté nationale, d’expression libre et pacifique des opinions, de pluralité des voies dans la république. On comprend pourquoi, les lois d’un pays comme le Burkina Faso prohibent justement toute association à caractère régionaliste, ethnique, politico-religieux, ségrégationniste, intolérant et violent. À partir de ces considérations légales, au Burkina Faso, comme ailleurs en Afrique et dans le monde des démocraties laïques, les citoyens peuvent s’organiser, en communiquant , aux pouvoirs publics, toutes les informations relatives à leur objet, à leurs membres, à leur organisation et fonctionnement, à leurs sources de financement.

L’autorité publique se réserve généralement tout droit d’accepter ou de refuser la reconnaissance légale à tout regroupement politique ou apolitique, et de n’accéder que rarement aux demandes de subvention publique. Mais, dans ce magma des associations de citoyens d’un pays, les partis politiques donnent l’impression d’être des partenaires favoris de l’État républicain ! Quels sont les raisons de ce privilège ?
Il faut remarquer que les partis politiques sont, à la fois, en marge et dans l’appareil d’État . Sous réserve du respect des dispositions légales, les partis politiques sont libres de leur orientation idéologique, de leur organisation et de leur
fonctionnement ; à ce titre, ils sont fondamentalement à distinguer des structures d’État. Mais de l’autre côté, ils ont pour objet la conquête et la gestion du pouvoir d’État. Ce sont des associations d’un type particulier que la république se doit donc d’intégrer dans la dynamique de sa vie. L’un des moyens les plus sûrs alors pour cette subordination des groupes politiques au souverain républicain, c’est le financement public. En effet, si la république n’assure pas le financement de ses factions politiques, ce sont des particuliers nantis ou des puissances étrangères qui le feront ; toutes choses qui minent le principe de la souveraineté du corps social constitué et expose le pouvoir d’État à toutes sortes d’aliénation. C’est peut-être dans ce sens que les partis d’extrême gauche, d’obédience anti-institutionnelle, dénoncent le pouvoir républicain de n’être qu’un instrument des classes nantis qui assurent le financement occulte des partis de l’institution. Un subventionnement public et équitable des factions politiques se présente alors comme une voie salutaire pour mettre le souverain à l’abris des lobbys économiques, des groupes politico-affairistes nationaux ou extérieurs. Il contribue à apaiser la vie politique, en mettant toutes les sensibilités sur le même pieds d’égalité, en donnant, à toutes, les mêmes capacités stratégiques de mobilisation de l’électorat. Toute république devrait, dans ce sens, travailler à ce que ses partis soient effectivement des « intellectuels collectifs », proposant des projets de société au souverain populaire, et non des consortiums de moyens privés qui aspirent à contrôler et à corrompre le pouvoir d’État.

En bilan, il faut bien dire que la force des grandes républiques contemporaines repose, essentiellement, sur la stabilité, la crédibilité et la probité des partis politiques qui animent leur vie, qui recrutent le citoyen pour en faire un militant ou un cadre politique de haut niveau, qui mobilisent et encadrent l’électorat, qui assurent la continuité républicaine par la formation des jeunes. Il n’y a pas de république, stable et durable, sans républicains ; et il n’y a pas de républicains là où il n’y a pas de partis démocratiques et républicains, socialement ancrés, reconnus et soutenus par la république elle-même. De ce point de vue, le financement des partis politiques, comme d’ailleurs le financement du processus électoral, nous parait quasiment relever des attributions régaliennes de l’État républicain. Pour cela, nous pensons qu’il est encore mieux de réduire le train de vie des institutions républicaines et des élus du peuple, pour donner plus de ressources aux partis politiques et aux structures chargées de la mise en œuvre des processus électoraux. Cette option est particulièrement pertinente pour nos pays africains qui comptent trop souvent sur la communauté internationale pour le financement des mécanismes de la vie démocratique. Quand les ressources financières sont limitées, il est encore préférable de faire « des élections à mains levées » dans les agoras et les marchés du peuple, que de livrer les acteurs républicains à un système où l’argent est le nerf de la guerre et le secret des vainqueurs. Quand, par contre, les ressources de la sueur d’un peuple lui permettent de supporter les coûts d’une vie démocratique selon les normes du temps, il est bon, pour lui, d’instituer une subvention à répartir équitablement entre les factions politiques qui vivifient les clauses de son contrat social. Mais, la subvention publique, pas plus qu’elle ne peut aller dans les comptes bancaires des leaders politiques, ne doit point être vue comme une manne qui dispense les militants des cotisations instituées pour financer leurs idéaux et leur cause. La subvention publique doit aller là où elle doit aller, sans que ce ne soit pour une séance de riz, sous l’arbre à palabre de ce hameau de cultures de la république, ou, sans que ce ne soit dans la poche mendiante de ce notable de quelque part qui change de parti au gré du vent.

Zassi Goro
Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net