Le Niger possède d’importantes réserves d’uranium, une matière utilisée dans les réacteurs nucléaires. Comme la plupart des pays africains disposant d’un sous-sol riche, la nation ouest-africaine n’échappe pas à la malédiction des matières premières. Entre les « éternels » problèmes sanitaires et environnementaux et la chute des prix, l’uranium n’aura pas apporté au Niger que des bienfaits.

L’uranium est l’un des piliers de l’économie nigérienne. Le pays est depuis plusieurs années le quatrième producteur mondial du métal, et le premier en Afrique. Selon le dernier rapport publié en 2016 par l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), le pays a exporté 4099 tonnes d’uranium en 2014. En terme de valeur, ce volume représente 245 milliards de francs CFA. En 2013, le Niger avait exporté 4382,44 tonnes d’uranium pour des recettes totales de 302,8 milliards de francs CFA.

D’après ITIE Niger, le secteur minier a contribué pour 54,60% aux exportations du Niger en 2014. L’uranium a compté pour 51,70% et l’or, l’autre produit minier, pour 2,90%. Les deux produits d’exportation minière ont représenté 30% des recettes de l’Etat cette année-là.

Au-delà des contributions directes à l’économie, le secteur de l’uranium assure des milliers d’emplois. Si des données plus récentes de l’organisme ne sont pas publiées, c’est en partie dû au fait que le Niger s’est retiré de l’ITIE en 2017. En janvier dernier, le Premier ministre Brigi Rafini a annoncé le retour du pays dans l’Organisation.

La découverte de l’uranium au Niger remonte à 1957. Le Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM), en quête de cuivre, découvrit un gisement d’uranium à Azelik. Après des recherches plus avancées, de nouvelles découvertes ont été réalisées à Abokurum en 1959, à Madaouela en 1963, à Arlit en 1965, à Imouraren en 1966 et à Akouta en 1967. Le potentiel uranifère du sous-sol nigérien a été très vite confirmé.
Comme c’est souvent le cas dans le secteur minier, les grandes richesses uranifères du Niger ont attiré les compagnies étrangères. Le pays a noué très vite un partenariat avec le groupe français AREVA (devenu depuis janvier 2018 ORANO).
Présente au Niger depuis près de 50 ans, la compagnie française exploite l’uranium par le biais de deux filiales. La première filiale est la Somaïr, dans laquelle l’Etat nigérien détient une participation de 36,4% par le biais de la société nationale Sopamin. La Somaïr opère au Niger depuis 1971 sur la mine d’Arlit, la plus grande du pays. En 2016, la mine a produit 2164 tonnes d’uranium alors que deux années auparavant elle exportait 2100 tonnes selon l’ITIE.

La deuxième plus grande mine d’uranium en production au Niger est celle d’Akouta, opérée depuis 1974 par la Cominak. Cette dernière est une coentreprise entre AREVA (34%), le gouvernement (31%). Les autres partenaires comprennent le japonais Overseas Uranium Resource Development (25%) et l’espagnol Empresa Nacional de Uranio (10%).

Aujourd’hui, les chiffres s’accordent à dire que le Niger représente 30% de la production d’uranium du groupe AREVA. La compagnie française travaille depuis plusieurs années pour développer un nouveau gisement, celui d’Imouraren. En attendant d’entrer en production, ce troisième gisement est déjà présenté comme la plus grande mine d’uranium à ciel ouvert en Afrique occidentale et la deuxième mine d’uranium dans le monde.

Les relations avec la Chine

La Chine est le premier investisseur étranger au Niger. L’uranium n’échappe pas aux domaines que couvre ce partenariat entre les deux nations. Les origines de l’intérêt chinois pour l’uranium nigérien remontent à 2007, année de l’arrivée dans le pays de la Compagnie nucléaire nationale chinoise (CNNC). Cette dernière opère dans le pays via la Somina, qui exploite depuis 2010 la mine d’Azelik dans la région d’Agadez. Azélik a exporté 189,87 tonnes d’uranium en 2012, 152,44 tonnes en 2013 et 320 tonnes en 2014. La Somina est détenue à 37.2 % par la CNNC, à 33% par la Sopamin et l’Etat nigérien. Les autres partenaires comprennent SINO-U ZXJOY Invest et Trendfield Holding.

En octobre 2018, le Niger a accordé deux permis de prospection à la société chinoise Zijing Hechuang Science and Technology Development Company. Les licences lui permettront de rechercher de l’uranium dans la région septentrionale d’Agadez. Selon la présidence du Niger, la compagnie s’est engagée à investir dans les trois prochaines années environ cinq millions de dollars. Le pays attend d’elle un certain nombre de recettes, des emplois, des infrastructures communautaires pour les zones concernées.
Par ailleurs, en dehors des mines susmentionnées, notons le projet Madaouela géré par la compagnie canadienne GoviEx Uranium. Une étude de préfaisabilité a montré que la mine pourrait livrer annuellement 2,69 millions de livres d’uranium sur une durée de vie de 21 ans.

La malédiction de l’uranium : de la pauvreté et des maladies…

Malgré tout son uranium, le Niger est, comme plusieurs pays richement dotés en matières premières, l’une des nations les plus pauvres au monde. S’ils clament régulièrement que l’uranium ne leur profite pas, les Nigériens dénoncent aussi les problèmes de pollutions qu’entraine son exploitation.

Plusieurs ONG, dont Aghur In’man dénoncent depuis plusieurs années l’impact des activités d’extraction de l’uranium au Niger. A Arlit, une ville de plus de 100 000 habitants, les populations sont « exposées de manière chronique depuis l’enfance » à la radioactivité.

La radioactivité, même dans les instruments de cuisine.

La Commission pour la recherche et l’information indépendante sur la radioactivité a mené en 2003 une mission sur place. « On a constaté une exposition permanente de la population à la radioactivité par les poussières radioactives, par le gaz radon, par des textiles contaminés qui sont en vente sur les marchés. Il y a des matériaux radioactifs dans les rues. Certaines maisons ont même été construites avec des matériaux radioactifs », déclarait alors Bruno Chareyron, directeur de la commission.
Plus récemment, dans son film documentaire « La Colère dans le vent » présenté en 2018 à Dakar pour le festival Films Femmes Afrique, la réalisatrice nigérienne Amina Weira a dénoncé les mêmes problèmes. Entre difficultés respiratoires, cancers, naissances d’enfants avec des malformations, morts de paralysie, maladies étranges, eaux « potables » contaminées, la coupe est pleine pour les populations. Comme symbole du malheur des habitants d’Arlit, on peut entendre vers la fin du film un groupe de jeunes Nigériens déclarer : « Nous avons la richesse dans notre sous-sol, mais tout ce qu’on nous laisse, c’est la radioactivité ».

Quel futur pour l’uranium nigérien ?

Plusieurs questions reviennent quand il s’agit d’évoquer l’uranium nigérien. En dehors de celles touchant aux problèmes sanitaires, certaines personnes se demandent à qui profite vraiment l’exploitation. Que ce soit ORANO (l’ex AREVA), la Chine, ou même le Niger, il y a de quoi s’inquiéter, tant l’avenir du secteur est incertain.
Depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, les prix de l’uranium dégringolent. Après avoir culminé à 300 $/kg en 2007, ils ont plongé à 41 $/kg en 2016. « Ces dernières années, les prix ont diminué du fait du gonflement des stocks excédentaires de concentré d’uranium, qui s’explique par une hausse de la production conjuguée à une baisse de la demande », a affirmé Brett Moldovan, spécialiste de la production d’uranium à l’AIEA.

Selon lui, les prix actuels rendent problématique l’exploitation de plusieurs mines, sur le plan économique. Certaines compagnies sont ainsi obligées de placer leurs opérations en régime de maintenance et entretien, le temps que les prévisions indiquent une stabilité ou une augmentation des prix. Par exemple, AREVA a longtemps retardé l’exploitation de sa troisième mine en attendant une conjoncture favorable. La compagnie prévoit des centaines de licenciements sur ses opérations.

L’avenir de l’uranium est étroitement lié à celui du nucléaire. D’après les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la consommation énergétique mondiale augmentera de 18 % d’ici 2030 et de 39 % d’ici 2050, mais on ignore dans quelle mesure l’électronucléaire pourra répondre à cette demande croissante.

Louis-Nino Kansoun

Agence ECOFIN