Comment améliorer la démocratie représentative dans nos pays alors que le niveau de citoyenneté de la grande majorité est très bas ? Comment un gouvernement dont la base électorale est si faible peut-il entreprendre de profondes réformes dans l’intérêt général et non au profit de clans et de groupes spécifiques ?
Eléments de réponse avec le chroniqueur de Kaceto.net

“Root Cause”. Dans mon métier, c’est ainsi que l’on nomme le grain de sable à partir duquel un système déraille avec une cascade fatale de dysfonctionnements.
En bon français, ça s’appelle "cause première". Par exemple, c’est ce que les bureaux d’enquête accidents essaient de déterminer lors du crash d’un avion : quelle est la cause première qui a déclenché le processus aboutissant au crash ? Et quel a été l’enchaînement des dysfonctionnements ?
Appliquée à la gouvernance politique, cette cause première, c’est le financement de la vie politique. Dans une démocratie élective, la conquête du pouvoir coûte extrêmement chère. Que ce soit en meetings ou en spots publicitaires comme dans les pays développés, ou en distribution de vivres et d’argent dans les pays où presque tout le monde tire le diable par la queue à des degrés divers.

De deux choses, l’une. Soit nous avons le courage d’admettre cette évidence et légiférons pour financer de manière conséquente, mais encadrée et contrôlée le financement de nos partis politiques et de nos campagnes électorales, soit nous assumons de constater le clientélisme et la corruption.

La mère de la corruption dans l’administration comme dans le privé dans un pays, c’est le financement occulte (et illégal) des partis politiques. "Poulet ne peut pas attraper pintade pour aller faire sacrifice", dit-on au village...

La situation en France était la même qu’au Burkina jusqu’aux scandales politico-financiers, tels que l’affaire URBA-GRACO, l’affaire ELF, les affaires de la Mairie de Paris, etc., qui ont ébranlé la démocratie française et failli emporter le RPR, le PS et l’UDF. Comme ce fut le cas avec l’opération Mani Pulite (Mains Propres) des juges italiens à la même époque, qui a provoqué la disparition de partis historiques comme la Démocratie chrétienne (DC), le Parti socialiste italien (PSI), le Parti socialiste démocratique italien (PSDI) ou encore le Parti libéral italien (PLI) et amené Silvio Berlusconi au pouvoir.

Depuis, l’Italie n’est jamais sortie de la crise ! En France par contre, à partir des lois Rocard de 1993, la Roue de Deming (Amélioration continue) a été lancée.

À titre d’illustration, lorsque j’ai commencé ma carrière d’entrepreneur en France, il n’était pas rare que lors d’une rencontre avec un client, dans un restaurant chic parisien en général (et à mes frais, vous l’imaginez bien), qu’il me fasse comprendre que son épouse aimerait visiter telle île paradisiaque, ou que la voiture de son fils ou de sa fille aurait bien besoin d’être changée...
Aujourd’hui, lorsque je leur offre un stylo de marque (Mont Blanc par exemple), ils vont vérifier avec le déontologue de leur entreprise si cela est assimilable à de la corruption ou pas !...

A chacun d’en tirer ses conclusions…

Mais nous sommes à 18 mois des élections de 2020. Pour ça, comme pour les innovations proposées par le président de la CENI qui auraient pu permettre l’enrôlement au fil de l’eau et ainsi augmenter le taux d’inscription en facilitant les démarches, c’est trop tard. Dans une rare unanimité, les 14 commissaires de la CENI ont repoussé ces innovations. Je rappelle pour ceux qui ne le sauraient pas, que les 15 commissaires de la CENI sont à parité : 1/3 de représentants de la majorité, 1/3 de représentants de l’opposition, 1/3 de représentants de la société civile. Le président devant toujours être issu du collège de la société civile.
Nous sommes donc à 18 mois de ce que nous autres espérons être les élections post quinquennat de transition et que d’autres aimeraient réduire à leur match retour de 2014-2015.

Prendrons-nous notre destin en mains ou assisterons-nous impuissants à sa prise en otage ? That is the question. Il est trop tard pour changer les règles du jeu, mais nous pouvons encore les tourner à notre avantage en déjouant le piège qui nous est une fois de plus tendu : nous dégoûter suffisamment de la politique pour que nous nous détournions des urnes, afin qu’ils aillent une fois de plus s’y faire adouber par leur électorat captif sur lequel ils ont chacun déjà sa part de marché.

Le nombre d’enrôlements sur le fichier électoral sera un premier indicateur.
Il y a un potentiel de 9,5 millions d’électeurs à l’intérieur du pays, et de 2,5 dans la diaspora, mais seulement 5,5 millions d’électeurs inscrits sur le fichier électoral dont entre 300 et 500 000 morts qui n’ont jamais été supprimés depuis la création de ce fichier. Pour rappel en 2015, le président du Faso a été élu avec 1,6 million de voix, suivi par Zéphirin Diabré avec 900 000 voix, et Tahirou Barry troisième avec moins de 100 000 voix.

Faites vos calculs …

Pour les législatives, les chiffres sont encore plus cruels

Avec une telle base électorale, quelle légitimité démocratique pour réformer le pays en profondeur ?
Il n’y a donc rien de surprenant à la faiblesse de l’État, au clientélisme et à l’électoralisme. Il s’agit de choyer ceux qui financent les élections d’une part, et ceux qui donnent l’apparence démocratique d’autre part.
Et nous en sommes tous responsables.

Faut-il pour autant remettre en cause la démocratie libérale et élective ? Je ne le crois pas car comme le disait Winston Churchill, “la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes”

Maixent Somé
Analyste politique
Kaceto.net