A l’approche des examens de fin d’année, le chroniqueur de Kaceto.net ouvre une série de questions plus proche des candidats au baccalauréat et aux concours.

Cette question, ainsi posée, marque, après une série de publications sur les normes et les pathologies de l’être ensemble en société, un nouveau tournant dans le processus de notre réflexion. Il ne s’agit pas pour nous de prendre encore plus de distance avec l’actualité sociopolitique du monde ! Au contraire, et plus que jamais, la réflexion sur la vie des sociétés contemporaines, particulièrement celles d’Afrique, relève de la nécessité et de l’urgence. Nous y reviendrons donc le plus tôt que possible.
La série, que nous ouvrons ici, est d’ailleurs, elle-aussi, imposée par une autre urgence qui invite à trouver, pour notre humanité, de nouveaux horizons, en faisant le bilan de tout ce que nous fûmes et de tout ce que nous fîmes. Naturellement, au cœur de ce débat sur les tribulations et les perspectives de notre civilisation d’homme, figurent, en bonne place, les problèmes épistémologiques et éthiques posés par la rationalité scientifique et ses applications techniques, qui ont constitué les ressorts principaux des progrès vertigineux accomplis depuis les révolutions copernicienne et galiléenne.
Ce débat est d’urgence mais il ne faut pas le simplifier. Malgré les bonds accomplis par notre raison, dans son abord de l’univers qui nous englobe, nous sommes toujours incapables de répondre aux questions essentielles identifiées et formulées par les philosophes. Ainsi, nous ignorons encore tout de la provenance, de la nature réelle et de la vocation initiale de l’univers, ou, peut-être, des univers. Sous l’angle de la raison, nous ne savons ni d’où viennent radicalement les choses, ni où elles font ultimement. C’est alors dans ce contexte de certitudes scientifiques fièrement cumulées par les siècles, au milieu de l’amoncellement de questions métaphysiques, essentielles et existentielles sans réponses, qu’il est bien utile de rappeler, à la barre, les esprits qui estiment qu’il n’y a de bonheur, pour l’homme, que par la science et son exploitation technicienne. L’alliance Hellène-Prométhée est-elle pour l’humain l’unique voie du
salut ? Telle est la question à poser à tous les scientistes de l’histoire et que, en leur absence, nous prenons à notre compte ici, sans aucune intention de dénigrer les brillantes conquêtes de la raison.

Nous faisons, ici, l’économie de la douloureuse émergence de cette raison scientifique qui, au fil des millénaires, a pu imposer sa cause. Nous retenons, simplement, que les succès de la science sont à la base du rayonnement actuelle de notre civilisation dans l’univers. En renouvelant le regard de l’homme sur le cosmos et sur lui-même, en prenant sous sa tutelle la technique qui, elle, est sans doute née dans les mangroves et par les tâtonnements de nos ancêtres primitifs, la science a donné une coloration bien haute à notre sort dans le système des choses. Supposons, comme Galilée, que le divin nous a justement dotés de la raison pour ces effets dont nous sommes aujourd’hui les bénéficiaires. Cette supposition anoblit le scientifique, puisqu’elle le ramène dans le plan du divin, en prononçant le non-lieu pour Prométhée, le dieu grec philanthrope, voleur de la raison et du feu pour l’homme. Cette sanctification des fruits de « l’arbre de la connaissance » servira alors de creuset, après la mésaventure de Galilée bien sûr, à une révolution triptyque, à la fois théologique, ontologique et épistémologique, qui autorisera René Descartes et sa postérité à envahir la nature créée pour la connaître, la maîtriser, la prolonger ou la transformer.
Au bilan transitoire, il faut bien admettre que la raison, la raison incarnée en l’humain, gouverne le monde contemporain. Moins d’un millénaire après Descartes, à mi-parcours de la ruée vers la connaissance des lois de la nature créée, et vers le pouvoir de continuer la création par le génie humain, tout donne déjà l’impression que nous sommes au seuil d’une ère où l’homme ne jurera que par la science, ne pariera que pour elle et n’agira qu’en technologue. Tous les indices visibles sont aujourd’hui réunis pour préfigurer cette étape de notre évolution. Mais, au-delà de la séduction que le rationnel exerce sur les esprits contemporains, au-delà de l’Atlantide de verre et de bonheur promise par Science et sa compagne Technologie, il y a, en l’homme, une sorte de besoin irréductible d’émotionnel, d’irrationnel et de sensationnel. Les archanges et autres prophètes de Prométhée seront-ils vraiment en mesure de dispenser le cœur humain d’un tel besoin ? S’ils y parvenaient, au fil du progrès, que resterait-il encore d’humain dans un monde où science et technique nous auront alors imposé un statut de divinité ! Ces questions annoncent ainsi la suite de la réflexion.

Zassi Goro
Professeur de Lettres et de philosophie
Kaceto.net