Paternalisme, plafond de verre, invisibilisation, agressions… des femmes de l’industrie musicale évoquent le sexisme qu’elles se prennent de plein fouet, et appellent à davantage de parité. Enquête.

Les femmes sont toujours “trop” ou “pas assez”. Cette phrase revient sans cesse en guise de conclusion dans les bouches à court de mots pour dire les choses. Comprendre : trop sexy, trop extraverties, trop timides, trop moches, trop grandes gueules, trop chiantes, trop mignonnes, trop agressives, trop lèche-bottes, trop aguicheuses, trop fêtardes, trop féministes. Pas assez savantes, expertes, talentueuses, besogneuses, fortes, marrantes.

Mais depuis la signature du manifeste F.E.M.M. (Femmes engagées des métiers de la musique), en avril dernier, par des femmes occupant différents postes dans l’industrie musicale – sur le modèle du collectif 50/50 réunissant des professionnelles du cinéma – la parole semble peu à peu se libérer, même s’il reste toujours difficile de dénoncer des pratiques intégrées depuis toujours, de relier des problématiques différentes (plafond de verre, invisibilisation, harcèlement, agressions verbales et sexuelles). Et puis la peur de donner une mauvaise image de professions et d’un secteur estampillés “cool” et auxquels toutes sont profondément attachées, mues par des passions artistiques mais aussi techniques.

Il y a quelques jours, Louise, ingénieure du son depuis dix ans, remarque une forte présence féminine dans le cadre d’une formation. Un signal positif jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive qu’aucune autre femme qu’elle n’est à la console de mixage, poste le plus élevé. “On arrive quasi à une parité dans les centres de formation, mais dans le milieu du travail, il y a très peu de femmes à des postes à responsabilité. Ça, ça ne bouge pas.” Et lorsqu’elles y sont, leurs paroles ne cessent d’être mises en doute.

En amont du festival Hellfest (Clisson), elle détaille par mail le fonctionnement du mixage des captations live dont elle a la charge pour Arte à l’ingénieur son d’un artiste. Réponse : “Oui, super Louise, on va faire comme ça, mais je dois absolument parler à ton ingé son !” “Ce n’est pas destiné à être méchant ou dévalorisant. Il ne s’imagine juste pas une femme au mixage. Pour lui, je suis l’assistante qui fait les mails.” Suivent d’autres souvenirs, comme cet artiste qui demande à voir son collègue masculin alors même qu’elle a assuré leurs balances.

Mais le pire, c’est “le cul des camions”, le moment de chargement et de déchargement pré- et postconcerts, “un endroit très viriliste.” “On a tous les jours des réflexions sur notre capacité physique. Ce qui m’agace, c’est le côté systématique de la réflexion : ‘Ah, mais en fait t’y arrives !’ Si on n’y arrivait pas, on ne serait pas à ces postes. C’est un moyen de remettre en cause notre légitimité. ‘Ah, mais tu sais faire ça !’ Bah oui, c’est mon métier !”

Avec une collègue, elle reporte désormais chaque remarque désobligeante dans un carnet, “pour ne pas oublier”. “Un jour, un mec lui demande si elle veut un coup de main pour porter quelque chose. Elle répond que non. Il lui lance ‘Bon, tu ne veux pas de coup de main, mais tu veux peut-être ma main au cul, non ?’ Sarah, régisseuse de 29 ans, analyse : “Parce qu’on se dit qu’on bosse dans les musiques actuelles, on est plus moderne, plus ‘cool’ et aussi plus mixte que dans certains métiers, du bâtiment par exemple, alors qu’il y a parfois un comportement paternaliste envers les femmes.”

Pour elle, la parité garantit l’égalité mais aussi une bonne ambiance de travail : “Sur le festival Cabourg mon amour, nous étions autant de femmes que d’hommes en technique et pour le coup c’était génial, le genre disparaissait complètement. Plus de comportements sexiste ou misogyne. Juste des personnes qui travaillent ensemble. Les hommes sont du coup moins dans un ‘concours de bites”. “C’est encore vu comme un métier d’homme, alors que les oreilles n’ont pas grand-chose à voir avec le genre”, martèle Aloïse, elle aussi ingénieure son.

Toutes s’accordent à dire que la masculinité du milieu a pour conséquence la décrédibilisation de la parole des femmes, et pas seulement du côté technique. Viviane Brès, 30 ans, cheffe de projet chez le label Domino s’agace du fait qu’on lui dise systématiquement qu’elle fait “très, très jeune”. “Je n’ai jamais entendu ce genre de réflexions vis-à-vis d’un mec. C’est un milieu où les filles paraissent moins pertinentes et moins ‘cool’ qu’eux. Elles s’y connaîtraient moins en musique, aussi.”

Fany Némé, attachée de presse chez Sony dénonce même “un jeunisme” à l’encontre des femmes propre à une industrie “pourtant majoritairement dirigée par des hommes âgés”. Quand elles ne sont pas ramenées à leurs physiques. Il y a quelques semaines, Ondine, 35 ans, ex-journaliste musique aux Inrocks devenue productrice à la Blogothèque, était en tournage à Turin. “Les mecs de l’équipe italienne me reluquaient comme un bout de viande et se sont permis plein de commentaires désobligeants sur ma tenue. Je leur ai dit que je coproduisais ce tournage et qu’indirectement, c’était moi qui les embauchais. Autant te dire que je ne les ai plus entendus après.”

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