Alors qu’en Afrique le terrorisme gagne progressivement du terrain, la gangrène s’est trouvée une alliée de choix : la contrebande du tabac. Si cette activité est bien antérieure à la flambée terroriste que connaît actuellement le continent, elle a servi à l’alimenter fortement. Ainsi, indique un rapport du Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT), le financement des organisations terroristes est assurée à plus de 20% par le trafic de cigarettes. A telle enseigne qu’un terroriste du calibre de Mokhtar Bel Mokhtar, chef du réseau Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) s’est vu affublé du surnom de “Mister Malboro”, en raison du contrôle qu’exerce son réseau sur la contrebande du tabac dans la région.

Que ce business ait pu progresser de la sorte, trouve en partie son explication en Europe. En effet, l’augmentation constante du prix des cigarettes sur le vieux continent constitue une opportunité pour le marché noir et a fait le lit de la contrebande. Mais l’autre partie de l’explication de cette progression se trouve étrangement en Afrique. Car la contrebande a trouvé un terrain favorable sur ce continent, aidée il est vrai, par des régulations reposant sur des postulats erronés.

Pendant longtemps, les Etats se sont alignés sur les arguments de l’industrie du tabac qui estime qu’une hausse des droits appliqués aux cigarettes, a pour contrecoup presque mécanique d’augmenter la contrebande, et ce faisant, d’alimenter les caisses du terrorisme.
L’argument repose sur le postulat que les consommateurs de tabac rechignent à s’aligner sur des prix plus élevés et donc, tendent naturellement à se tourner vers un marché noir où la cigarette se commercialise moins chère que sur le marché officiel.

Si à première vue l’argument semble tenir la route, il se révèle moins pertinent quand on le passe à la loupe. En effet, pour Chris McAllister, directeur régional de British American Tobacco, la Guinée, qui applique une fiscalité plus accommodante envers le tabac que ses voisins, constitue l’une des portes d’entrée de la cigarette de contrebande en Afrique de l’ouest, et partant, vers le reste du continent.
Pour le responsable, “l’absence d’une taxation appropriée à l’importation des produits de tabac (droits de douane et droits d’accises) constitue une opportunité considérable pour les contrebandiers.” Et de souligner des manques à gagner de l’ordre de 180 millions de dollars pour les pays africains entre 2013 et 2015, alors que les ventes de cigarettes de contrebande faisaient des recettes de 526 millions de dollars sur la même période.

Ainsi, si la Guinée qui a fait la preuve qu’une législation accommodante, contribuait au mieux à favoriser la contrebande, au Maghreb, le Maroc lui, est en train de démontrer que fiscalité contraignante et lutte contre le financement du terrorisme via le contrôle de la contrebande, peuvent faire bon ménage. En effet, entre 2015 et 2018, la part de la cigarette de contrebande dans la consommation du pays est passée de 12,48%, à 3,73%. Or sur cette période, le royaume a procédé à plusieurs augmentation des droits appliqués au tabac, notamment de la taxe intérieure sur la consommation (TIC). En 2018, cette taxe a généré 10.8 milliards de dirhams. Cette année, les recettes devraient être plus importantes, alors que la TIC est passé de 53.8% à 58%.
Outre la hausse des taxes sur le tabac, le royaume chérifien s’est doté dès 2010 d’un Système automatisé de marquage intégré en douane (SAMID). Grâce à ce système développé par la compagnie suisse Sicpa, le royaume a renforcé la traçabilité des produits soumis à la TIC, notamment le tabac et l’alcool. Ainsi, expliquait en 2018 un rapport de l’administration des douanes et impôts indirects (ADII), “Les saisies douanières sont ainsi passées de 2,25 millions d’articles contrefaits en 2016 à 5,23 millions l’an dernier ; près de 500 dossiers liés à des demandes de suspension de mise en libre circulation de marchandises présumées contrefaites ont également été instruits. Au premier rang desquelles les cigarettes et l’alcool.”

Il n’existe pas de solution unique à un problème aussi complexe que la contrebande, néanmoins, il apparait clairement aujourd’hui que les industriels du tabac, comme les Etats doivent se pencher sur l’hypothèse d’une fiscalité plus contraignante qui pourrait se révéler avantageuse pour les nations africaines. Dans le même temps, ces efforts doivent aller de pair avec un renforcement des contrôles aux frontières et une harmonisation des législation relative à la circulation du tabac dans la région, et une plus grande intégration.

Quoiqu’il en soit, il est désormais temps de cesser de réciter l’évangile d’une fiscalité accommodante qui a montré ses limites, et d’essayer des solutions qui pourraient enrayer un mal qui affecte des secteurs vitaux de l’économie africaine.

Agence ECOFIN