Il a donc fallu que l’idée naisse
Et que le mot propage cette idiotie avec finesse
Il a fallu que des savants disent le droit
Pour que l’imbécillité franchisse les étangs et les détroits
Locataire des jours, des nuits et des horizons
Passager des endroits et des saisons
L’homme a voulu moduler les chants des rivières
L’insignifiant et l’éphémère s’est décrété propriétaire.
Je ne suis plus ce morceau de savane
Qui a vu les courses des guerriers et des lâches
Je ne suis plus ces terres
Qui dansent avec les eaux et le sable
Je ne suis plus cette boue, mélange de vie et de mort
Ce qui vit au-dedans, loin des yeux mi-clos
Ce qui vit au-dessus, agaçant les narines
Je ne suis plus les racines des arbres,
Je ne suis plus le bois qui accueille les insectes
Je ne suis plus les feuilles des hauts et des bas
Qui hésitent à saluer le soleil
Je ne suis plus l’ombre séculaire
Qui protège les causeries, entend les sentences,
Qui ondule patiemment et sourit aux redondances
Presque-Dieu, je suis propriétaire de la création.
Tamsin,
Pourquoi les graines de karité ont-elles choisi ce lieu ?
Koom Nonre,
Pourquoi le sorgho et le maïs refusent-ils ces berges ?
Cette terre ocre,
Pourquoi a-t-elle dit au Baobab : « Viens, je t’attends ! » ?
Mémoire réduite aux échéances du crédit
J’ai oublié tout cela.
Et qui pour me rappeler ces vérités de nos mères ?
Puisqu’un cadastre fou dit que je peux tout.
Et voilà qu’on castre la transhumance,
Qui nourrit le berger, et la génisse et le veau.
On bétonne le passage des eaux, on tue les champs
Et on a la famine, et les ventres vides ont l’inondation
Sans que tout cela interroge nos orteils énervés
Puisqu’il faut se protéger de nos sottises
En imaginant d’autres bêtises.
Il a fallu un aéroport, qui a su chasser les daba et la faucille
Il a fallu ensuite des entrepôts aux couloirs sombres
Pour recevoir des dons de vivres venus du lointain
Et il a fallu des camions qui massacrent les chemins
Pour distribuer des secours sans recours
Suprêmement intelligent, disant tout et le contraire de tout
Dominant les existences, les cœurs et les terres
Le propriétaire savant vit maintenant de l’humanitaire.
Qui pour oser critiquer le progrès ?
Chacun le voit, un écologiste n’est pas toujours logique
Il faudrait pourtant un débile pour oser l’énoncer
Le dire et le redire, une fois et mille fois
Que c’est la nature qui est propriétaire de l’humain
Que ce sont les mains malhabiles des fils des hommes
Secrétés, nourris, et soignés par la nature indocile
Pour restituer notre corps adoré à la terre.
Et même en ces ultimes instants
Un défunt peut-il être propriétaire de la fosse ?
Aucun document assez subtil pour dire qui possède qui.
Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain
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