Le terrorisme comme nous le savons tous, est une guerre asymétrique. Dans ce cadre, la bataille doit aussi se mener sur le plan idéologique. Et qui parle d’idéologie, parle nécessairement de communication. Le nouveau contexte impose aux Etats attaqués de revoir de fond en comble leur manière de communiquer. Dans son cas, le Burkina Faso doit impérativement éviter de faire le jeu des terroristes, de semer la psychose au sein des populations, ou de pousser des communautés à un repli identitaire. Les attaques terroristes sont des crises complexes qui exigent une communication différente.

« Gagner les cœurs et les esprits de nos populations reste un atout majeur pour venir à bout de l’ennemi. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une participation synchronisée et efficace de toutes les composantes de la nation ». Ces propos sont du Chef d’Etat Major Général des Armées, le Général Moïse Miningou. Il les a tenus le 03 août 2019 lors de la cérémonie de sortie de la 18e promotion des élèves officiers d’active de l’Académie militaire Georges Namoano de Pô. Pour le CEMGA, la communication est déterminante pour éviter les guerres d’usure, pour enrayer la progression des « groupes obscures » qui pourraient, si rien n’est fait, « réussir à faire que les populations détestent la société d’en face ». Nous sommes dans le vif du sujet.

La défaillance en matière de communication se paie cash

Face aux menaces terroristes, la communication occupe une place centrale dans la réponse apportée par les pouvoirs publics. Toute défaillance en matière de communication publique face au terrorisme se paie au prix fort dans le court et le long terme. La communication est une partie intégrante de toute stratégie de sécurité nationale. La gestion d’une crise majeure impose en tout premier lieu, de préserver le capital de confiance de la population envers les pouvoirs publics.

Le silence de la puissance publique, la rétention d’information, l’image donnée de l’improvisation et de la dispersion en matière de communication, alimentent toujours une anxiété, inévitablement répercutée et amplifiée par les médias. L’objectif primordial d’un acte terroriste est de répandre la terreur afin d’atteindre des finalités politiques. Son but premier est de communiquer, de passer un message à travers l’usage d’une violence « psychologiquement efficace ». Ainsi, il doit y avoir des concepts ou des idées qu’un groupe souhaite transmettre, un message planifié à l’avance et intégré aux tactiques. Aujourd’hui, quel type de communication est établi avec nos compatriotes qui ont été obligés de fuir leur lieu de résidence habituel pour devenir de pauvres SDF errant comme des âmes en peine ?

Les déplacés internes sont près de 300 000 à ce jour. En dépit de ces statistiques, nous n’avons pas encore connaissance d’une véritable mobilisation générale pour venir en aide à ces frères et sœurs burkinabè qui n’ont rien fait pour mériter ce qui leur arrive. Pour certains d’entre nous pour qui « l’enfer c’est les autres », ces déplacés sont à la limite des pestiférés qui doivent être mis en quarantaine hors de Ouagadougou !Le rubicond est franchi. Il nous faut absolument changer de paradigme ; aller au delà des slogans« faisons un geste »… Ces Burkinabè ont besoin d’être entendus, d’être écoutés, d’être rassurés que tout sera rapidement mis en œuvre pour qu’ils soient réintégrés socialement et économiquement. Le Burkina Faso ne se résume pas à Ouagadougou. Chaque Burkinabè doit se sentir en sécurité sur le moindre m2 du territoire national. Il est de notre responsabilité à tous (politiques, FDS, citoyens) d’y veiller.

Tendre vers l’intelligence prédictive

Une bonne communication est également à développer en direction de ceux qui sont restés sur place en dépit des attaques terroristes. C’est connu, la nature a horreur du vide. En l’absence d’une communication structurée et rassurante, les populations se sentant délaissées par l’Etat vont facilement céder aux sirènes populistes et intégristes. Et c’est ainsi que les positions vont se radicaliser jusqu’à ce que l’irréparable se produise. Dans la lutte contre le terrorisme, les Burkinabè ont également besoin d’informations sur les opérations militaires qui se mènent sans que ces informations n’hypothèquent la bonne marche des opérations. Sur l’opération Doofu par exemple, la communication est minimaliste à telle enseigne que de nombreuses personnes ont fini par conclure à un échec cuisant de l’opération. Pourtant, des succès sont engrangés avec les différents moyens terrestres et aériens déployés. Une communication maîtrisée galvanise les troupes et rassure les populations où sévissent les groupes terroristes.

A une échelle plus grande, c’est à dire au niveau national, la lutte contre le terrorisme doit de plus en plus tendre vers l’intelligence prédictive. La stratégie de contre-terrorisme doit être basée sur la collecte, l’analyse, le traitement et l’échange de l’information en s’appuyant sur quatre piliers : prévention, protection, poursuite et réponse. De nos jours, la lutte contre le terrorisme s’opère dans de multiples espaces situés à la fois dans l’international, le transnational (les réseaux) et l’espace public, mais aussi dans le privé et le virtuel (internet) au moyen de la collecte numérique de données personnelles et du traçage des itinéraires. Pour ce faire, elle recourt de plus en plus aux technologies de pointe comme la biométrie, la vidéosurveillance ou les bases de données considérées comme l’instrument le plus puissant pour contrer la menace terroriste.

Les terroristes sont perçus par les agences de sécurité et les services de renseignement comme des individus extrêmement mobiles qui ressemblent à tout le monde et qui manient comme tout un chacun internet, la téléphonie mobile et les moyens de transactions financières. Pour les « maîtriser », il est recommandé de cibler leur mobilité (itinéraires, voyages), leurs communications et leurs transactions bancaires et financières. Pour ce faire, il faut dans un premier temps les identifier, les localiser et connaître leurs intentions. Tâche difficile qui se traduit par le recours aux technologies de sécurité, telles que la biométrie ou la vidéosurveillance perçues comme des instruments scientifiques possédant une grande valeur d’authenticité en ce sens que leur matière de base comme le corps et l’image ne « mentent pas ». Pratiquement, les législations de tous les pays occidentaux prévoient leur déploiement dans des espaces multiples comme les lieux de culte, les aéroports et les gares, les infrastructures critiques, etc.

C’est ainsi qu’en France par exemple la loi de 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a eu pour effet d’accélérer l’installation d’équipements de vidéosurveillance dans les espaces qui ne pouvaient pas en être équipés jusque-là, comme plusieurs lieux de culte, le siège social de certaines entreprises, les grandes entreprises de communication et de transport. Elle a aussi donné aux policiers et gendarmes (désignés nommément) la possibilité d’un accès direct aux images des systèmes vidéo appartenant à des tiers ou à des collectivités locales. Les technologies comme la biométrie et la vidéosurveillance sont caractérisées par leur miniaturisation, leur facilité d’interconnexion et leur capacité de traitement instantané de l’information grâce à leur connexion à des bases de données.

Des avions de type Cessna C-208 sont recommandés pour surveiller les vastes territoires. A l’image des techniques biométriques, telles que la lecture de l’ADN, l’empreinte de l’iris et de la rétine, la reconnaissance faciale des émotions, les technologies d’identification et d’authentification, ont pour fonction d’assigner une identité scientifiquement reconnaissable à un individu au moyen de l’empreinte des parties inchangeables du corps comme l’iris ou l’empreinte digitale. Les technologies de surveillance, quant à elles, sont des systèmes interconnectés qui consistent en l’observation, la collecte, l’enregistrement et le traitement des données à caractère personnel dans un espace territorial ou virtuel afin de suivre les itinéraires, les mouvements, les comportements et les communications d’un individu et lui attribuer un degré de risque. Ce sont autant de procédés à développer dans le strict respect des textes en vigueur. L’Agence Nationale de Renseignement (ANR) a des prérogatives sur certains de ces secteurs. Le Burkina Faso apprend dans la douleur. Il faut persévérer. Le bout du tunnel n’est plus loin.

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant chercheur

Ouagadougou