Dernière partie de la trilogie consacrée au terrorisme proposée par notre compaoprtiote Alain Sara, dont le centre de la réflexion porte sur l’intelligence économique

Parler d’identité est toujours délicat car mal mené, cela peut conduire à des tragédies vues ailleurs et même à des situations regrettables, que bien souvent, nous avons malheureusement connues dans notre propre pays. Et je ne puis me permettre d’être prétentieux au point de savoir comment créer ou renforcer le sentiment national. Toutefois, j’ai osé à travers ces écrits, interroger l’identité du Burkinabè au 21e siècle.
Le lien social s’est désagrégé précipitamment ces dernières années surtout avec l’apparition du terrorisme. C’est devenu un euphémisme de dire que le Sahel est mal en point. Les symptômes de cette pathologie désormais chronique sont nombreux : la décomposition de l’État et sa « criminalisation », la « mafiatisation » de l’économie, le marasme socio-culturel, l’extrémisme violent, le repli identitaire, l’ « effacement de l’avenir » qui se traduit particulièrement par l’absence d’espérance et d’opportunités pour les nouvelles générations…
Face au chaos ambiant, le repli vers les identités semble être la forme de résilience que se sont choisies les communautés, mettant gravement en cause le vivre-ensemble et la sécurité humaine. Les mécanismes traditionnels de régulation de nos sociétés ne fonctionnent plus. Nous sommes dans un système de bureaucratie, qui, faute de régler définitivement les problèmes, les déplace pour toujours gagner du temps, sans véritablement s’attaquer aux causes réelles.
Mais qu’est-ce que l’identité ? Comment la définir ? Toutes ces questions sont à la fois existentielles et profondément ontologiques.
Les enjeux identitaires portent principalement sur deux aspects. L’identité désigne
« l’image que nous faisons de nous, à la fois dans ce que nous avons de spécifique, voire d’individuel (la carte d’identité), et dans ce que nous avons de commun (l’identité nationale), ainsi que l’image que nous nous faisons des autres, ce en quoi ils sont différents de nous ».
L’identité nait en même temps que les premières communautés humaines se forment. Principal marqueur social, elle permet à la communauté de reconnaître ses membres et aussi, de se distinguer d’autres communautés. L’identité n’est pas pour autant une singularité définitive. Il n’y a donc pas d’identité figée. Elle est évolutive dans le temps, en fonction de l’environnement et d’autres facteurs. La personnalité est constituée d’identités plurielles. L’identité peut être :
 ethnique (les Marka, Mossi, Peul…) ;
 sexuelle (les homosexuels, hétérosexuels, pansexuels) ;
 religieuse (les animistes, juifs, chrétiens, musulmans, agnostiques…),
 professionnelle (les artisans, paysans, enseignants, commerçants…) ;
 sociale (différentes catégories sociales dans lesquelles les individus peuvent se ranger en fonction notamment de leur sexe, de leur âge, de leur métier, de leur statut dans la famille, de leur localisation géographique, de leur nationalité, de leur ethnie, de leurs occupations, loisirs ou sports favoris, de leur appartenance à un parti politique …) ;
 nationale (construction identitaire regroupant des races, ethnies, tribus, clans, familles…)…
Il faut souligner que certains aspects de l’identité peuvent être en contradiction . Mais je ne m’étalerai pas là-dessus puisque ce n’est pas le propos de mon article.
Les identités sont en crise dans un monde globalisé qui travaille à standardiser les valeurs et à uniformiser les comportements. En effet, la mondialisation fonctionne comme un rouleau compresseur qui semble écraser tout particularisme. Pour survivre, les identités sont contraintes à devenir plus fortes depuis que l’hégémonie libérale est au cœur de la finitude humaine.
Le phénomène terroriste nous montre clairement que le Burkina Faso est une « nation malade de l’identité ». Le processus historique de construction nationale est resté inachevé. Pour bâtir une nation, il faut asseoir nécessairement une identité puissante. La République de Haute-Volta ayant été considérée comme un legs de la colonisation, les dirigeants du Conseil National de la Révolution avaient décidé d’inventer une identité objet de fierté et de projection vers l’avenir pour se débarrasser du « passé réactionnaire et néocolonial ». En effet, un des mérites de la Révolution restera le « dépassement » de l’ethnie pour l’émanciper des rapports de forces. En fin de compte, le Burkinabè ultime n’a été incarné que par le père de la Révolution Burkinabè lui-même, tellement cette identité exigeait une élévation morale et un patriotisme sans commune mesure.
Notre passé ne doit plus nous servir d’exutoire, car il a mieux à nous offrir. Il nous donne la force, le réarmement spirituel et moral qu’il faut pour féconder l’avenir. Nous devons prendre conscience que la nation se construit dans le rassemblement et la générosité. Elle s’édifie avec espérance et détermination car « sans foi dans l’avenir, il n’y a pas de force dans le présent. »
Nos mythes fondateurs doivent nous donner l’ancrage nécessaire et la confiance qu’il faut pour atteindre nos idéaux collectifs de progrès social, sans nous enfermer dans des schémas cognitifs. Il est urgent de réconcilier chaque Burkinabè avec lui-même et avec les autres. Pour cela, nous devons ensemble consentir les sacrifices exigés pour que le Burkina de demain soit une « utopie réelle ». Liés par l’Histoire et le devenir, nous devons nous montrer à la hauteur des exigences pour que naître Burkinabè ne soit pas une malédiction, une honte, un regret.
Ouvert au monde et ouvert sur le monde, le Burkinabè doit l’être parce que profondément convaincu de sa contribution au progrès de l’humanité.
Aujourd’hui, que laissons-nous à la postérité ? ma réponse est de poursuivre le dialogue entre hier et demain pour permettre que l’ethnie soit transcendée par d’autres représentations sociales à imaginer. Le Burkinabè de demain ne nous pardonnera pas si nous échouons. L’ethnie à concevoir devra s’affranchir de certains héritages. Elle doit pouvoir bannir les hiérarchies, les exclusions, les privilèges, surtout de naissance pour mettre au monde une nouvelle méritocratie. L’ethnie sera dynamique et permettra à l’individu de se réinventer à tout moment, d’embrasser d’autres singularités. Il faut créer autre chose, surtout pas contre les autres. Une « identité heureuse » qui nous permette de coexister pacifiquement à l’intérieur de notre pays et partout ailleurs. Cette intention devra aller au-delà des vœux pieux en privilégiant l’altérité et l’empathie à l’instinct de conservation.
Nous devons parvenir à réduire le passéisme qui constitue la partie dominante de l’identité Burkinabè. Les vieilles idéologies, les croyances stériles, ainsi que la stigmatisation de la différence ne viendront pas à bout du mal-être présent. La xénophobie rampante, la banalisation de l’ethnicisme, la peur de l’autre… ne nous accorderons pas le rang que nous méritons dans ce monde. Des innovations sociales courageuses sont nécessaires pour la transformation de nos consciences collectives. L’identité est une construction pour féconder des utopies. L’identité, c’est ce qu’il y a de meilleur en nous à laisser à la postérité pour continuer ce travail formidable de réinvention continue du monde.
Lors d’un séjour à El Fasher au Soudan en 2013, j’ai eu la maladresse demander à des militaires rwandais comment distinguer le Hutu du Tutsi. Sidérés, ils l’étaient tous. Alors l’un deux pris la parole pour me dire qu’il n’y a plus ni Hutu, ni Tutsi. Il n’y a que le Rwandais. Au-delà de l’anecdote, ce que j’ai retenu, c’est la capacité d’une nation à se débarrasser de tout ce qui justement l’empêche d’en être une.
Pour que l’identité ne soit pas un héritage encombrant mais plutôt un projet collectif innovant, nous devons avoir à l’esprit qu’il y va de notre survie et nous devons urgemment réfléchir à comment ne pas disparaître en tant que communauté de destin.
Chacun pourrait se revendiquer du terroir où il a envie de vivre sans être traité d’allogène. Seront fille et fils d’une région, toutes les personnes qui ont un lien affectif très fort avec elle et contribuent à sa montée en puissance. Patria est ubicumque est bene l’a si bien écrit Cicéron .
Cela semble utopique n’est pas ? Justement, il faut de l’audace pour triompher des déterminismes, de tout ce qui peut paraître immuable.
Nous devons réinventer l’ethnie si nous voulons lui survivre.

SARA Alain
Auteur du livre : Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso
saraalain.bf@gmail.com