Suite et fin de la réflexion sur les rapports entre le Burkina et la Banque mondiale à travers notamment la mise en place des Plans d’ajustements structurels

Ce sont surtout les tensions au niveau des finances publiques qui ont entraîné le Burkina Faso dans le PAS. Pascal Zagré, qui fut un des architectes du PAS burkinabè, explique dans ses écrits que c’est le poids de l’endettement qui a obligé notre pays à aller au PAS. En effet, à la fin de l’année 1989, l’encours total de la dette de notre pays avait atteint 217,17 milliards de FCFA. En soi, ce montant n’est pas très élevé. D’habitude pour juger la dette d’un pays, on la compare à sa richesse nationale, son fameux Produit Intérieur Brut. Notre dette représentait à l’époque 29,6% de notre richesse. Il est intéressant de noter qu’après avoir beaucoup augmenté, le même ratio est retombé à 30% en 2013, presque le même qu’en 1989, en raison des annulations dont notre pays a bénéficié dans le cadre de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).
Il doit se situer aujourd’hui entre 32 et 35 %.
En 1989, le service de cette dette (c’est à dire les intérêts sur les emprunts ) était aussi quelque peu modéré puisqu’il ne dépassait pas 9,4% des exportations de la même année. Mais le véritable problème du Burkina à l’époque, c’était la faiblesse des revenus collectés. Les années de braise de la révolution n’ont pas permis au secteur privé de prospérer. Or, c’est lui le principal pourvoyeur de recettes de l’Etat à travers la douane et les impôts. Face à des recettes fiscales et douanières très faibles, le pays ne pouvait pas rembourser ses dettes. Il a donc accumulé des arriérés. Même si le remboursement d’une année n’est pas élevé, si vous faites plusieurs années sans rembourser, vous accumulez des arriérés qui deviennent très lourds.
Fin 1988, le montant total des arriérés sur la dette extérieurs avaient atteint le montant de 43,3 milliards de FCFA.
La situation était plus dramatique pour les arriérés intérieurs, c’est-à-dire l’argent que le gouvernement devait à ses fournisseurs et aux entreprises ayant exécuté des marchés publics. Ils se chiffraient à plus de 45 milliards la même année. En mai 1990, les arriérés extérieurs et intérieurs avaient atteint le chiffre inquiétant de 94 milliards soit autant que les recettes propres de l’année considérée.
Les arriérés intérieurs asphyxient l’économie, puisqu’ils mettent à genoux les fournisseurs de l’Etat. Les arriérés externes coupent le robinet des financements extérieurs puisqu’on ne prête pas à un Etat qui ne paie pas ses dettes. C’est lorsqu’un pays se trouve coincé dans une telle situation que la Banque Mondiale et le FMI proposent la thérapie de choc qu’est l’ajustement. Le marché est simple : si vous voulez qu’eux continuent de vous prêter de l’argent pour vous permettre de rembourser vos dettes et pouvoir ainsi emprunter à nouveau, vous mettez en œuvre les réformes qu’ils veulent : libéralisation, privatisations, etc. Le Burkina était une proie idéale !

V– Les décideurs du PAS
Dès son l’avènement, le Front Populaire, à travers notamment son programme d’action de Janvier 1988, a annoncé son intention d’entamer des discussions avec les institutions de Breton Woods, en vue de l’adoption d’un PAS.
Nul ne doute qu’il s’agit là de la volonté du premier rectificateur, Blaise Compaoré lui-même. Dans l’ambiance de l’époque, personne n’aurait osé inscrire une telle assertion dans le programme du Front populaire sans son aval.
C’est donc Blaise Compaoré lui-même qui a opté de conduire notre pays dans le PAS, sans doute sur les avis de ses conseillers extérieurs.
Si l’intention était annoncée dès Janvier 1988, c’est finalement en Septembre 1989 que la démarche a réellement démarré. En effet, en Septembre 1989, le Gouvernement rédigea, avec l’appui des techniciens de la Banque Mondiale et du FMI, un projet de Document Cadre de Politique Economique (D.C.P.E), qui expliquait les grandes lignes du PAS. Ce document a été soumis le 20 octobre 1989 à l’appréciation de la plus haute instance de l’Etat, à savoir la Coordination du Front Populaire.
Cette réunion de la coordination du Front Populaire consacrée à la discussion du Document Cadre de Politique économique constitue ainsi le moment crucial de la décision d’aller au PAS. La coordination du Front Populaire qui a pris la décision historique d’engager notre pays sur le chemin du PAS, comprenait en son sein d’éminentes personnalités politiques de ce que l’on pourrait qualifier la « gauche révolutionnaire » dont certains sont actuellement ténors du régime du MPP ou de l’opposition : Moctar Tall, Alain Zoubga, Dr Emile Paré, et bien d’autres personnes qui ne sont plus de ce monde comme Oumarou Clément Ouédraogo, Salif Diallo, etc.
Les membres de la coordination du Front populaire sont donc, aux côtés de Blaise Compaoré, les premiers responsables de l’introduction du PAS au Burkina et de ses conséquences sur la vie de nos populations.
Fort de l’aval de la coordination du Front Populaire, le gouvernement peut annoncer officiellement le 20 Décembre 1989, son intention de conclure un PAS avec le FMI et la Banque mondiale. Mais pour coller à l’air du temps, et souhaitant avoir l’aval de la population, le Front Populaire organise des assises nationales sur l’économie, qui se tiennent le 12 mai 1990 à la maison du peuple de Ouagadougou. Ces assises vont réunir plus de 2 000 participants triés sur le volet ( Comités révolutionnaires, opérateurs économiques, syndicats, etc.) pour examiner sans complaisance les réformes liées au PAS et pour envisager les alternatives possibles offertes à l’Etat afin de sortir l’économie de l’impasse prévisible. Au terme de ces assises, il a été convenu à l’unanimité de la mise en place d’un programme de réformes économiques soutenu par les institutions de Bretton Woods. Avec l’onction de ces assises, le Front Populaire pouvait désormais présenter le PAS comme une émanation de la volonté populaire.
Ces 2000 délégués savaient ils qu’ils prenaient ainsi une décision hautement historique ? Ont-ils même compris l’enjeu de la question ? On peut se le demander !
En vérité, ces assises n’ont été qu’un simulacre. Car, au moment où se tenaient ces assises, les émissaires du gouvernement avaient déjà commencé les discussions avec la Banque Mondiale et le FMI, et ce depuis octobre 1989. Ces discussions vont d’ailleurs durer jusqu’à mars 1991.
Le PAS du Burkina a été essentiellement préparé et négocié par quatre membres du gouvernement :
 Mme Bintou Sanogo, Ministre des Finances, (ancienne DG d’Air Burkina, elle a été nommée à ce poste le 23 Août 1988).
 Mr Tiraogo Célestin Tiendrebeogo, Secrétaire d’Etat au Budget depuis le 15 Octobre 1987 (il sera plus tard promu Ministre délégué au même poste, puis sera nommé DG de la Sofitex après son départ du gouvernement)
 (feu) Mr Pascal Zagré, Ministre du Plan et de la Coopération Internationale.
 Mr Fréderic Assomption Korsagha, ministre de la Promotion économique ; il sera plus tard ministre des finances.
Bien entendu, ces ministres avaient toujours à leurs côtés certains hauts cadres de notre Administration. Trois d’entre eux méritent d’être mentionnés :
  Bissiri Sirima, DEP du ministère des finances au début des négociations,
  Christophe Dabiré, Directeur général du plan, aujourd’hui Premier ministre.
  Tertius Zongo, adjoint de Christophe Dabiré, ancien Premier ministre.
Tous ces gens ont bien entendu agi sur la base des instructions données par le Président du Faso, Blaise Compaoré, et son Ministre d’Etat chargé de la Coordination de l’action gouvernementale, une sorte de Premier ministre avant l’heure, qui n’était autre que Roch Marc Christian Kaboré.
Le premier rapport du PAS du Burkina Faso a été soumis au Conseil d’administration du FMI en Mars 1991 et à celui de la Banque Mondiale le 4 Juin 1991. Il portait sur un montant de 80 millions de dollars US (environ 45 milliards de francs CFA).
Ce programme du premier PAS burkinabè couvrait la période 1991-1993 et avait pour objectifs :
• l’élimination de tous les arriérés extérieurs et intérieurs ;
• la maîtrise du déficit des finances publiques ;
• une restructuration profonde des dépenses publiques ;
• contenir le déficit du compte courant à 14% du PIB ;
• la réalisation d’un taux moyen de croissance du PIB réel supérieur ou au moins égal à 4% et du revenu par habitant de 1% par an ;
• la limitation du taux d’inflation mesuré par l’indice des prix à la consommation à 4%.
Dans le cadre des négociations, la délégation burkinabè a arrêté avec le FMI et la Banque Mondiale un certain nombre de réformes que notre pays s’engageait à mettre en œuvre. Ces engagements, contenus dans une matrice de mesures, concernaient :
  la restructuration des dépenses publiques,
  l’investissement dans les 4 secteurs prioritaires que sont : la santé, l’éducation primaire, les routes, et la collecte des recettes,
  la programmation de l’investissement public,
  la réforme des entreprises publiques (avec une liste précise d’entreprises publique à liquider, à restructurer, ou à privatisation),
  la réforme du secteur bancaire,
  la libéralisation des prix,
  la libéralisation du commerce selon un échéancier établi à l’avance
  etc.
Mais deux des ministres qui ont négocié le PAS (Sanogo et Zagré) n’auront pas l’opportunité de conduire le programme pendant longtemps. Pascal Zagré est limogé le 10 Septembre 1990, avant même la fin des négociations, et remplacé par Frédéric Assomption Korsaga qui devient le nouveau ministre du Plan et de la Coopération.
Bintou Sanogo perd son poste le 16 Juin 1991, à peine deux semaines après l’adoption du PAS du Burkina par le conseil d’administration de la banque mondiale (4 Juin 1991), au profit du même Korsaga qui se voit propulsé à la tête d’un grand ministère unique des Finances et du Plan.
De ce fait, c’est surtout à Frédéric Assomption Korsaga qu’est revenu la responsabilité, en tant que ministre des Finances et du plan, de mettre en œuvre le PAS dans ses premiers moments. Pour l’appuyer dans cette tâche, il avait deux ministres délégués :
  pour le Budget, M. Célestin Tiendrebeogo.
  pour le Plan, M. Jacques Sawadogo, précédemment DG de l’Onatel, et plus tard ambassadeur à Taiwan.
En plus, pour mieux organiser les relations avec la Banque Mondiale et le FMI, il a été créé un Ministère spécial du PAS, dénommé Ministère des Réformes économiques. Ce ministère a été confié à Mr Bissiri Sirima, qui sera plus tard coordinateur du MCA.
En Juin 1992, Frédéric Assomption Korsaga quitte le gouvernement. Il est remplacé par Roch Marc Christian Kaboré, nommé Ministre d’Etat, Ministre des Finances et du Plan. Le Ministère des Réformes économiques fut supprimé et remplacé par un Secrétariat Technique Permanent du PAS (STP/PAS), rattaché au ministre des finances, et confié toujours au même Bissiri Sirima. Le ministre délégué au budget est toujours Célestin Tiendrebeogo. Le ministère délégué au plan est supprimé.
En Juillet 1993, RMCK st remplacé aux Finances par Ousmane Ouédraogo, venu tout droit de la BCEAO où il occupait le poste de Vice-Gouverneur. Ce dernier reste en poste jusqu’à Mars 1994, date à laquelle il est remplacé par Zéphirin Diabré, qui était entré au gouvernement en Juin 1992 comme Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Mines.
Diabré est secondé dans un premier temps par Célestin Tiendrebeogo, puis à partir de 1995, par Tertius Zongo, nommé ministre délégué au Budget. En Septembre 1996, le Premier ministre, Kadré Désiré Ouédraogo décide de cumuler son poste avec celui de ministre des finances, afin de mieux s’impliquer personnellement dans la conduite le PAS. Il nomme Diabré au CES, mais conserve auprès de lui Tertius Zongo toujours comme ministre délégué. En 1997, Kadré cèdera finalement sa place de Ministre des Finances à Tertius Zongo, qui y restera jusqu’en 2001, avant de devenir Ambassadeur aux USA et par la suite Premier ministre de 2007 à 2011. Tertius Zongo sera remplacé aux finances par Jean Baptiste Compaoré .Ce dernier séjournera à ce ministère jusqu’en 2008, avant de rejoindre la BCEAO comme Vice-Gouverneur. Jean Baptiste Compaoré est remplacé par Lucien Marie Bembamba, qui pilotera le département des finances de 2008 jusqu’à la chute du régime Compaoré en Octobre 2014. Jean baptiste Compaoré et Lucien Bembemba, sont les ministres qui ont le plus duré aux finances sous Blaise Compaoré : 7 ans et 6 ans respectivement ! Dans l’histoire du Burkina, ils ne sont devancés en termes de longévité au poste de ministre des finances que par l’Intendant Général Tiémoko Marc Garango qui y est resté 10 ans (1966-1976).
Après l’insurrection, le ministère des Finances a changé de titulaire. M. Jean Gustave Sanon a remplacé Lucien Marie Bembamba, avant de céder son fauteuil à Rosine Coulibaly en 2016, laquelle à son tour sera remplacé par l’actuel titulaire Lassané Kaboré.
Dans la conduite du PAS, le Ministère des Finances est le chef d’orchestre. C’est lui l’interface avec la Banque Mondiale et le FMI. C’est lui le coordinateur du programme. Mais plusieurs réformes relevant du PAS sont prises en charge par d’autres ministères, qui eux aussi font donc partie intégrante de la gestion du PAS. Il s’agit notamment :
 du ministère du Commerce et de l’industrie, qui avait en charge le volet de la libéralisation du commerce, et des privatisations,
 du ministère de l’agriculture, qui mettra en œuvre un volet spécifique du PAS dénommé Programme d’Ajustement du secteur agricole (PASA),
 du ministère des Transports, qui aura aussi son propre PAS dénommé PASECT (Programme d’ajustement sectorielle des transports),
 du ministère de l’éducation,
 du ministère de la santé,
 du ministère de la fonction publique, qui mettra en œuvre le programme d’appui à l’administration(PAA),
 etc.
Au fil du temps, rares étaient les ministères qui ne sont pas concernés par un volet du PAS. De ce fait, l’écrasante majorité des personnes qui ont occupé des fonctions ministérielles depuis 1991 ont eu à mettre en œuvre un volet du PAS, avec pour chef de file le Ministre des Finances.
CONCLUSION
Pour la génération actuelle, la face la plus dure de l’ajustement structurel dans notre pays a été vécue en 1991. Mais en réalité, nous sommes en « PAS » depuis les mesures de réductions de salaire et autres avantages prises par le régime de Maurie Yaméogo en 1965. On peut certes déplorer le fait que les PAS ont laissé des souvenirs douloureux, mais force est de reconnaître que l’austérité (prôné par le PAS) est mesure qui s’impose de façon universelle lorsque les finances publiques se portent mal.
Donc, vu sous cet angle, l’ajustement, le PAS, est permanent chez nous.
En sortiront-nous jamais ? Difficile d’y répondre !

Eric ZONGO
Economiste, Consultant