Lettre de Augustin Bambara au président français Emmanuel Macron relativement à la présence militaire française au Sahel.
Quand on cherche, on trouve et comme on le dit dans les quartiers d’Abidjan : "Macron a cherché bagarre, il a trouvé !

Monsieur le Président,

Le 4 décembre 2019, alors que vous animiez une conférence de presse à l’issue du sommet de l’Otan tenu au Royaume Uni, vous avez convié les Chefs d’Etats des pays-membres du G5- Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) à une rencontre le 16 décembre 2019 à Pau en France. Objectif, vous permettre à court terme de « re-clarifier le cadre et les conditions politiques de l’intervention de la France au Sahel ».
Poursuivant sur la question, vous avez déclaré attendre des Chefs d’Etats conviés « qu’ils clarifient et formalisent leur demande à l’égard de la France et de la Communauté internationale. Souhaitent-ils notre présence ? Ont-ils besoin de nous » ? « Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions », avez-vous poursuivi, avant de conclure en ces termes : « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quel que sol du Sahel que ce soit, alors que l’ambiguïté persiste à l’égard des mouvements antifrançais, parfois portés par des responsables politiques ».
Cette interpellation très officielle appelle de ma part de l’ami de la France que je suis, les observations ci-après (j’ai décidé de ne pas commenter la forme et les circonstances de l’invitation) :
Quelles sont les causes de la situation sécuritaire au Sahel ?
Qui est responsable de la situation sécuritaire au Sahel ?
Qu’en est-il des « mouvements antifrançais » ?
Les réponses à ces questions nous permettront peut-être de nous poser les questions appropriées. Car, de mon point de vue, les questions que vous posez sont loin d’être celles qui conviennent à la situation que nous vivons.
Les origines de la crise sécuritaire au Sahel
Avant 2011, nous connaissions les prises d’otages organisées par AQMI dans le désert, et l’insurrection armée de Boko Haram contre le pouvoir central au Nigéria. C’est vrai que des Etats comme le Niger et le Mali ont fait face à plusieurs rebellions touarègues qui ont cependant toujours été résolues dans le cadre d’accords signés après des négociations.
Puis intervient la crise libyenne en 2010 avec les circonstances et le dénouement que nous connaissons en 2011. La coalition dite internationale dirigée par la France distribue des armes aux rebelles, sous le prétexte de sauver le peuple libyen de la dictature de Mouammar KADHAFI et y instaurer la démocratie. Déjà, l’arsenal militaire de la Libye n’était classé parmi les plus modestes du continent.
Et comme si la capture et la mise à mort de Mouammar KADHAFI constituait l’objectif final de la mobilisation de la coalition internationale, celle-ci a plié aussitôt bagages, reléguant aux oubliettes, l’instauration de la démocratie qui avait pourtant justifié l’intervention armée.
Conséquence : les armes sophistiquées de Mouammar KADHAFI et celles livrées aux insurgés se retrouvent dans de mauvaises mains. Un armement auquel aucun Etat subsaharien ne peut résister. Dans la foulée, la rébellion touarègue du Mali qui était en latence croit que c’est le moment ou jamais ne d’en découdre avec le gouvernement malien. Profitant de ce climat aggravé par le putsch du capitaine Amadou Haya SANOGO contre le Président, Amadou Toumani TOURE, les groupes terroristes, forts de leur arsenal enregistrent des avancées fulgurantes qui les conduisent très vite aux portes de Bamako.
L’intervention de la France sur instructions du Président François HOLLANDE permet d’éviter (de justesse) le pire à travers l’opération Serval. L’armée française est célébrée en héros (Sic !). Déjà à cette époque je considérais que cette façon de présenter la situation était totalement erronée. On a même tenté de considérer l’intervention de la France comme un retour de l’ascenseur après la participation des tirailleurs africains à la libération de la France lors des deux guerres mondiales.
Les responsabilités dans la crise au Sahel
On nous a souvent présenté la situation sécuritaire au Sahel comme étant dû à « pas de chance ». Pourtant, il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce que nous vivons est une conséquence directe du chaos créé en Libye. Les responsables de chaos sont également connus.
En 1804, Napoléon BONAPARTE a regroupé les règles de vie commune des français à travers le célèbre Code civil qui portera plus tard son nom (code napoléonien). L’article 1382 de ce code dispose que « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Les rapports entre la France et les pays du G5 Sahel dans la gestion de la crise sécuritaire est comparable à ceux entre un individu qui crève par sa faute, l’œil de son voisin et qui au moment des soins que le premier a le devoir d’assurer, se comporte en bon samaritain qui a bien voulu venir en aide à un malchanceux. Ce dernier devrait s’en estimer heureux et se contenter de ce qui lui est apporté comme assistance. D’ailleurs, il devrait quémander cette assistance en priant le ciel afin que l’auteur de la faute ne se blesse pas en lui apportant les soins.
Cela étant rappelé, je m’étonne que les maigres ressources de nos pays soient utilisées pour financer des organisations et des rencontres, juste pour implorer la sollicitude et la générosité de ceux par la faute desquels, nous sommes désormais en insécurité.
Les opérations Serval et Barkhane constituent de notre point de vue, la mise en œuvre de la réparation par la France de sa « faute » à l’origine de nos malheurs. En conséquence, non seulement, elles ne peuvent et ne devraient donner lieu à une quelconque reconnaissance des pays du Sahel, mais sont censées être réalisées en toute humilité, en toute responsabilité et ce, quels que soient les sacrifices qu’elles induisent.
Qu’en est-il des mouvements antifrançais ?
Vous ne pouvez ni ne voulez avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors que l’ambiguïté persiste à l’égard de ce que vous considérez comme des « mouvements antifrançais ».
Il est évident que si vous assimilez la présence militaire française à une opération de bon samaritain, les Etats du G5 Sahel apparaitraient comme des ingrats qui manquent de reconnaissance. De l’autre côté, nous avons cru (naïvement peut-être) que les troupes françaises sont présentes au Sahel dans le cadre de l’application du principe de la responsabilité. Résultat : nous sommes en présence d’un véritable quiproquo.
D’où la nécessité de s’accorder pour poser les bonnes questions et y apporter les bonnes réponses.
Si nous sommes d’accords pour appliquer le principe de la responsabilité, les vraies questions devraient être celles-ci et ce, en toute amitié, en toute sincérité, sans que cela ne soit assimilé à un quelconque sentiment antifrançais :
Les gouvernements des Etats-membres du G5 Sahel ont-ils besoin de quémander de l’aide pour faire face au terrorisme ?
Les soldats français peuvent-il opérer au Sahel selon leur bon vouloir, sans associer les armées des Etats où ils opèrent ?
Comment se fait-il qu’avec les moyens sophistiqués dont disposent l’armée française, des hordes de bandits armés arrivent à parcourir (à découvert) des dizaines de kilomètres sans être repérées, jusqu’à surprendre et massacrer nos vaillantes Forces de Défense et de Sécurité qui malgré le courage qu’on ne peut pas leur dénier, sont hélas relativement démunis face à des terroristes surarmés. Cette question est d’autant plus pertinente, qu’il est aisé d’observer qu’à chaque enlèvement de ressortissant français (comme il en arrive malheureusement de temps en temps), l’efficacité de vos soldats a toujours été démontrée et les exemples foisonnent sur ce point.
Comment se fait-il que le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui avait été complètement défait et chassé de Kidal (au nord du Mali) par les terroristes ait été remis en selle par Serval ? En rappel, les terroristes avaient profité de relatif affaiblissement de l’armée malienne par la rébellion touarègue pour occuper plus de la moitié du du territoire.
La France doit-elle menacer de se retirer du Sahel chaque fois qu’elle perd des hommes sur le théâtre des opérations ?
Voilà les questions que nous nous posons à nous-mêmes, ainsi qu’aux autorités françaises, sans préjudice de l’amitié et de la considération que nous avons pour la France. Entre amis, voire dans un couple, il peut y avoir des désaccords, et même de la colère, sans que la relation ne s’effondre. En disant ça, je ne nie pas le fait que certains de nos compatriotes ont et expriment un sentiment antifrançais. Mais je souhaite que non seulement on leur reconnaisse ce droit, mais aussi que cela ne vous amène point à vous dérober de votre obligation de réparation qui demeure malgré tout un devoir.
S’agissant de pertes que nous impose cette lutte, il se trouve que nous les enregistrons malheureusement au quotidien dans les rangs de nos soldats, et hélas quelques fois aussi chez les vôtres. Mais une fois de plus, quand on remplit un devoir, on le fait avec les contraintes et les risques y liés.
Au regard de ce qui précède, il ne devrait plus être question pour nos chefs d’Etats, qu’ils soient au Sahel, à Pau (en France) ou à Pô (au Burkina Faso) de :
Clarifier et formaliser une quelconque demande à l’égard de la France et de la Communauté internationale ;
Souhaiter votre présence ;
Avoir besoin de vous ;
Donner des réponses claires et assumées sur ces
Par contre, nous attendons de vous, que vous assumiez les responsabilités que sont celles de la France, aussi bien au Sahel qu’en Libye où votre œuvre est demeurée inachevée.
En vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de la très haute considération.

Augustin BAMBARA
Un ami de la France et des Français