Chaque année, à l’approche de Noël, des souvenirs datant de l’enfance ou de l’adolescence me reviennent. Des souvenirs de moments heureux, de périodes d’abondance, de cadeaux reçus et gravés pour le reste de mes jours dans la mémoire.

Les plus lointains, lorsque je remonte le cours de leur rivière, ne restent jamais seulement circonscrits au jour-même de Noël. En amont de ce point culminant gravitent des réminiscences. D’abord, de préparatifs. Ils commençaient toujours par l’espoir de recevoir des parents des vêtements neufs pour la fête, se poursuivaient par l’attente impatiente que du tissu confié à un tailleur écrasé de travail se transforme en « complet » pour le jour J, avant d’atteindre leur apogée au moment où, revêtu de nouveaux atours, je changeais d’apparence pour suivre la ribambelle d’enfants endimanchés vers le centre-ville où la messe, dite de minuit, marquait officiellement le début des festivités.

D’autres faits datant de l’époque où j’étais adolescent à l’internat m’ont également tant et si bien marqué qu’ils me reviennent régulièrement à l’approche de Noël. C’était au petit séminaire de Baskouré, près de Koupéla. Plusieurs semaines avant la fête, nous commencions déjà la répétition des chants de la nativité. En temps ordinaire, il y avait une plage horaire hebdomadaire prévue pour le chant choral. Mais il n’était pas rare qu’à l’approche d’une grande fête quelques heures de cours ou de loisirs soient sacrifiées au profit de la répétition des chants de la célébration.

Le répertoire comptait toujours des nouveautés que nous exécutions en polyphonie sous la houlette du professeur responsable de la chorale ou d’un élève. En général, les cantiques de la messe dite de minuit étaient en langue française, tandis que ceux du jour de Noël étaient dans les différentes langues locales. Pour les chants polyphoniques, les élèves étaient répartis en quatre groupes selon la gravité de leur voix. Et ceux qui n’avaient pas une belle voix pour chanter constituaient le groupe dit des "corbeaux" que nous raillions gentiment.

Dans cet établissement religieux, j’ai découvert sous une forme originale la tradition du sapin de Noël. Comme il n’y avait pas de sapin, nous parlions d’« arbre de Noël ». Une appellation générique qui présentait l’avantage de permettre toutes les possibilités de substitution par des arbres locaux. Je me rappelle que, la veille de mon premier Noël à l’internat, quelques élèves de quatrième et de troisième avaient été mandatés pour aller chercher dans la brousse un arbre qui ferait l’affaire. Ils étaient revenus avec un spécimen de belle taille qu’ils avaient planté dans un énorme trou creusé pour l’occasion au milieu de la cour, à l’endroit précis où se déroulaient en plein air, sous un ciel souvent étoilé, les réveillons. C’était « l’arbre de Noël ».

Il fut décoré et habillé de cadeaux, composés de lots offerts par nos professeurs : stylos, livres, vieux vêtements, vieilles montres… Tout était de nature à ajouter une touche sympathique ou humoristique à l’ambiance de fête. Car l’essentiel ne résidait pas dans la valeur du cadeau, mais dans le symbole du don.

Les tables du réfectoire avaient été sorties et installées en cercle autour de l’arbre de Noël. Après la célébration, les professeurs partageaient le repas avec les élèves. Tout comme les invités extérieurs, ils étaient répartis par tirage au sort de façon à ce que les commensaux de chaque table reçoivent un professeur ou un invité.

Le repas était particulièrement copieux à cette occasion. Comme nous élevions des cochons que nous nourrissions des restes de nos repas, il était de tradition que l’intendant de l’établissement nous donnât l’autorisation de sacrifier une bête pour la fête. Les bouchers étaient des élèves choisis parmi les plus grands.

Pendant le réveillon, les élèves de chaque classe se succédaient pour proposer des chansons profanes ou des sketches comiques. Des applaudissements se faisaient entendre à l’issue de chaque représentation. Puis venait le tirage au sort des lots de l’arbre de Noël. Le délégué général des élèves se plaçait au milieu du cercle, tenant dans la main un chapeau retourné dans lequel de petits bouts de papier soigneusement pliés indiquaient les noms des élèves et des invités.

Il appelait à tour de rôle les plus jeunes pour tirer le nom de la personne qui recevrait tel ou tel cadeau de l’arbre de Noël. Certains cadeaux suscitaient l’hilarité générale. Tel élève de petite taille recevait le vieux pyjama d’un professeur qui pesait cent kilos. Tel autre recevait un gros paquet qui ne contenait en réalité qu’une vieille paire de chaussettes trouées. Tel professeur recevait une vieille montre qui ne marchait plus depuis des lustres… L’ambiance était garantie.

Les plus chanceux étaient sans doute ceux qui recevaient un livre. Ce fut mon cas. Pour mon premier Noël à l’internat, je me souviens d’avoir reçu un livre de Pierre-Henri Simon intitulé La sagesse du soir. Je ne le lus jamais jusqu’au bout. Beaucoup trop compliqué pour mon âge et mon niveau de langue. Mais je le chérissais, mon livre ! C’était la première fois que j’en avais un pour moi. Ceux auxquels j’avais déjà été confronté étaient des manuels scolaires qui ne m’appartenaient pas. Celui-là m’appartenait et je m’amusais à le feuilleter à l’occasion pour jouir pleinement du plaisir de posséder un livre.

L’ambiance des réveillons était toujours joyeuse. La bière de mil qui nous était servie à ces occasions contribuait, il est vrai, à nous rendre euphoriques. Après le repas, les invités et les professeurs se retiraient dans le bâtiment de ces derniers pour continuer, entre eux, à faire la fête. Nous étions alors plus décontractés. Le responsable de l’électrophone proposait le peu de disques vinyle dont il disposait et les amateurs de musique se trémoussaient jusqu’à l’aube. Pendant ce temps, les adorateurs de Bacchus restaient à table à s’enivrer de bière de mil et d’histoires drôles.

Les soirées de fête étaient les seules occasions où nous n’avions pas de surveillant pour nous imposer l’heure à laquelle nous devions nous coucher. Ivres ou exténués, nous allions tout de même nous coucher vers quatre heures du matin parce que l’office du jour de Noël nous attendait pour neuf heures. Dans les faits, Noël était pour nous la fête par excellence, même si la tradition chrétienne veut que Pâques soit plus importante. Les considérations économiques y jouaient un rôle non négligeable. Noël reste la fête qui suit les récoltes. Il est donc célébré dans l’abondance, contrairement à Pâques qui précède le temps des semences, des travaux champêtres et de la pénurie.

Denis Dambré
Proviseur de lycée (France)