Loin d’opérer la rupture réclamée par les manifestants, plus d’un tiers des ministres du nouveau gouvernement algérien ont officié sous Bouteflika. (Voir la liste plus bas)

Le 28 décembre, le nouveau président Abdelmajid Tebboune avait nommé Premier ministre Abdelaziz Djerad, un universitaire de 65 ans, ancien secrétaire général de la présidence (1993-1995) puis du ministère des Affaires étrangères (2001-2003), et l’avait chargé de constituer un gouvernement.

La présidence de la République a annoncé jeudi soir la liste du nouveau gouvernement d’Abdelaziz Djerad. Un exécutif qui, sur papier, devait répondre à deux paramètres : répondre aux exigences d’ouverture et de renouveau exprimées par le mouvement populaire, et incarner la volonté d’Abdelmadjid Tebboune qui souhaitait un gouvernement de jeunes et d’universitaires.

Plus de poste de vice-ministre de la Défense

Première observation, le poste de vice-ministre de la Défense n’existe plus, Tebboune gardant le titre de ministre de la Défense, comme son prédécesseur le président déchu Abdelaziz Bouteflika. Occupé de 2005 à 2013 par l’ex-général-major Abdelmalek Guenaizia, puis par le patron de l’armée Ahmed Gaïd Salah de 2013 à 2019, ce poste a été une sorte de début de transition vers l’autonomisation du statut de ministre de la Défense, un poste théoriquement administratif. Cette transition a été malmenée par l’installation du chef d’état-major comme vice-ministre, cumulant ainsi deux postes militaire et politique.

Ainsi, la première lecture est de considérer que Tebboune, en accord avec le haut commandement de l’armée, a fait un premier pas vers « le retour de l’armée vers la caserne », comme l’exige le mouvement de contestation populaire. Saïd Chengriha, chef d’état-major par intérim (il sera certainement confirmé à ce poste), reste dans la sphère strictement militaire, alors que le ministre de la Défense demeure un civil en la personne du chef de l’État. Une politique souvent critiquée en Algérie par l’opposition, qui ne comprend pas pourquoi on ne normalise pas le poste de ministre de la Défense en nommant par exemple un haut gradé à la retraite.

Retour de ministres de Bouteflika

Beaucoup sur les réseaux sociaux, ainsi que des activistes du hirak, critiquent le retour de certaines figures du système Bouteflika dans le nouveau gouvernement. Plusieurs ministres (Farouk Chiali aux Travaux publics, Sid Ahmed Ferroukhi à la Pêche et Hassane Mermouri au Tourisme, Tayyeb Zitouni aux Moudjahidine, Abderrahmane Raouya aux Finances) sont nommés à des postes qu’ils occupaient déjà sous le règne de Bouteflika. Avec une nuance pour Sid Ahmed Ferroukhi qui, député FLN d’Alger, avait démissionné de son mandat en mars 2019 pour appuyer le mouvement populaire. « Ils étaient sous Bouteflika des ministres, des exécutants, certains ont déjà payé le prix de leurs compétences et leur refus d’obéir au vrai président, Saïd Bouteflika [frère du président déchu aujourd’hui en prison] », se défend une source officielle. Trois ministres gardent leur portefeuille depuis le dernier gouvernement Bedoui : aux Affaires religieuses Youcef Belmehdi, à l’Énergie Mohamed Arkab, Kamel Beldjoud à l’Intérieur et à la Justice Belkacem Zeghmati, bras séculier de la campagne de lutte anticorruption que Tebboune s’est engagé à poursuivre. « Remarquez bien que Houda Feraoun [ex-ministres de la Poste et des Télécommunications, très liée au clan Bouteflika et aux Kouninef, fratrie de puissants oligarques en prison] n’a pas été reconduite, c’est un signe », précise la même source officielle. Quant au retour de Raouya aux Finances, nos sources expliquent que « son profil de fiscaliste aidera la nouvelle politique de recouvrement par les impôts et une fiscalité plus rigoureuse dans une conjoncture de sécheresse budgétaire ».

Le profil universitaire et ses limites

C’était un des engagements d’Abdelmadjid Tebboune : mobiliser les compétences universitaires pour former le gouvernement. « Ce gouvernement est celui des universitaires, pas celui des walis [préfets] que nous avons connu durant les dernières années de Bouteflika », affirme au Point Afrique l’analyste politique Fayçal Métaoui.

Le profil de son Premier ministre Abdelaziz Djerad, politologue, devait correspondre à cette vision qui se concrétise dans certains nouveaux profils. Mais cette stratégie souffre de certaines limites, comme le souligne l’éditorialiste Nadjib Belhimer : « L’acceptation d’un poste de ministre dans le gouvernement actuel signifie tout simplement soutenir le plan du pouvoir qui a mené les élections de la manière que nous savons et qui persiste à imposer le fait accompli. C’est un choix politique avant tout, que le ministre soit un spécialiste de l’atome ou un simple usurpateur de qualité, ce qui les unit en définitive est qu’ils participent au ravalement de la façade du régime et à la normalisation du fait accompli imposé par la force. » « Un spécialiste est bon dans sa branche, il n’est pas un politique. Il ne peut qu’exécuter tout en tentant d’innover ou d’imposer sa touche avec une marge de manœuvre très étroite dans un gouvernement où les grandes lignes sont décidées par le président et l’État profond », souligne un analyste algérois.

Start-up, culture et régions du Sud : les nouvelles priorités

Yacine Oualid a 26 ans, médecin de formation, il est très apprécié dans le milieu de la nouvelle économie naissante en Algérie. Créateur du premier hébergeur algérien, Smart Solutions Housing, il devient ministre délégué aux Start-up. Ce qu’il faut souligner est que la dernière loi des finances a annoncé des encouragements fiscaux pour les start-up et qu’une série de rencontres discrètes ont eu lieu entre des start-upers et les autorités pour booster ce secteur en pleine expansion malgré un environnement juridique et technique très contraignant. Dans la même logique, on peut citer la nomination de Nassim Diafat comme ministre délégué chargé des incubateurs, il est président du bureau national de l’Association des bénéficiaires de crédit et des jeunes investisseurs.

La seconde tendance, probablement en lien avec les origines et la carrière même du chef de l’État issu des régions sahariennes et ancien préfet dans le grand sud, est la création de ce ministère délégué de l’Environnement saharien avec à sa tête un notable du Sud et un universitaire, Hamza Al Sid Cheikh. Pour le secteur de la culture, la priorité est donnée à ce secteur en spécialisant les portefeuilles : car au-delà du ministère de la Culture maintenu, on a aussi un secrétaire d’État chargé de l’Industrie cinématographique et un secrétaire d’État chargé de la Production culturelle. « Les autorités ont compris que l’industrie culturelle en Algérie, sortie des méandres de la corruption et de la folklorisation, peut devenir un secteur stratégique », explique une source gouvernementale.

Affaires étrangères : la continuité face aux tensions régionales

Sabri Boukadoum a été maintenu à son poste aux Affaires étrangères dans un contexte critique dans la région avec l’envoi par Ankara de troupes en Libye. Homme affable et cultivé, « diplomate par vocation » selon un de ses proches, il devra faire face à la crise qui se profile dans la région avec l’ingérence turque en Libye. Le 2 janvier, il a déclaré que l’Algérie lançait « les prochains jours plusieurs initiatives en faveur d’une solution pacifique à la crise libyenne », tout en répétant le principe algérien qui refuse « la présence de toute force étrangère, quelle qu’elle soit, dans ce pays voisin ». « Après les errances bouteflikiennes, une présidence qui a pris en otage la diplomatie algérienne, il sera très difficile de remonter la pente et de s’imposer comme l’acteur régional pivot qu’est l’Algérie », souligne un ancien haut cadre. « Par exemple, l’Algérie ne peut être larguée face aux bouleversements que provoque l’assassinat de Qacem Soleimani. On doit être dans le monde et ne plus le subir, c’est notre rôle en tant que pays puissant régionalement », poursuit la même source.

La société civile investit les médias, l’industrie et la culture

Trois noms retiennent l’attention : Ferhat Aït Ali, Amar Belhimer et Malika Bendouda. Le premier, ministre de l’Industrie et des Mines, hérite d’un département dont deux ministres sont poursuivis par la justice algérienne. Homme d’affaires et intervenant virulent contre la gestion économique du pays sur des médias d’opposition, il défend des stratégies osées en termes de fiscalité et d’économie. Le second, Amar Belhimer, professeur de droit, un des fondateurs du Mouvement des journalistes algériens à la fin des années 1980, réformateur et très respecté par la gauche algérienne, membre du panel de dialogue à l’été 2019, est nommé ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Un intellectuel opposant qui a vu ses journaux interdits par les autorités durant les années 1990 et qui a tout le temps défendu un exercice libre de l’information. Comme ministre de la Culture, Malika Bendouda, professeure d’université en philosophie, animatrice d’une émission de débat intellectuel sur une chaîne privée et autrice d’essais, marque les esprits par son profil d’intellectuelle indépendante qui a publiquement soutenu le hirak.

Des ruptures difficiles

« C’est un exercice difficile : équilibrer entre la continuité de l’État (justice, diplomatie, économie) et provoquer des ruptures », commente un analyste algérois. « L’idée est de former des cadres de demain en impulsant des jeunes et des universitaires, les jeunes ministres délégués d’aujourd’hui seront les ministres et les décideurs du futur », poursuit la même source. À l’opposé, un ancien haut responsable des finances se montre plus sceptique : « Les autorités sont dans le court et moyen terme pour régler des problématiques de maintenant en convoquant des vieux réflexes comme adhérer à l’air du temps [comme pour les start-up] ; or l’Algérie vit depuis le 22 février les signes de fins de cycle, une véritable révolution de paradigmes qui changera durablement le pays sur au moins un siècle. Le pouvoir n’arrive pas à comprendre les ruptures générationnelles et managériales que réclame la société parce qu’il n’a plus l’ingénierie de le faire. C’est encore une occasion
ratée. »

Par Adlène Meddi
Lepoint.fr

– Sabri Boukadoum : Ministre des Affaires étrangères.

– Kamal Beldjoud : Ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du Territoire.

– Belkacem Zeghmati : Ministre de la Justice, garde des Sceaux.

– Abderahamane Raouya : ministre des Finances.

– Mohamed Arkab : ministre de l’Energie.

– Tayeb Zitouni : ministre des Moudjahidine et des Ayants-droit.

– Youcef Belmehdi : ministre des Affaires religieuses et des Wakfs.

– Mohamed Ouadjaout : ministre de l’Education nationale.

– Chems-Eddine Chitour : ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

– Hoyam Benfriha : ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnels.

– Malika Bendouda : ministre de la Culture.

– Brahim Boumzar : ministre de la Poste et des Télécommunications.

– Sid Ali Khaldi : ministre de la Jeunesse et des Sports.

– Kaoutar Krikou : ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme.

– Ferhat Aït Ali Braham : ministre de l’Industrie et des Mines.

– Chérif Omari : ministre de l’Agriculture et du Développement rural.

– Kamel Nasri : ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville.

– Kamel Rezig : ministre du Commerce.

– Ammar Belhimer : ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement.

– Farouk Chiali : ministre des Travaux publics et des Transports.

– Arezki Berraki : ministre des Ressources en eau.

– Hacène Mermouri : ministre du Tourisme, de l’Artisanat et du travail familial.

– Abderrahmane Benbouzid : ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière.

– Ahmed Chawki Fouad Acheuk Youcef : ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale.

– Bessma Azouar : ministre des Relations avec le Parlement.

– Nassira Benharrats : ministre de l’Environnement et des Energies renouvelables.

– Sid Ahmed Ferroukhi : ministre de la Pêche et des productions halieutiques.

 Yassine Djeridene : ministre de la Micro entreprise, des startup et de l’économie de la connaissance.

 Bachir Messaitfa : ministre délégué chargé des statistiques et de la prospective.

 Foued Chehat : ministre délégué chargé de l’agriculture saharienne et des montagnes.

 Aïssa Bekkai : ministre délégué chargé du commerce extérieur.

 Abderrahmane Lotfi Djamel Benbahmad : ministre délégué chargé de l’industrie pharmaceutique.

 Hamza Al Sid Cheikh : ministre délégué chargé de l’environnement saharien.

 Nassim Diafat : ministre délégué chargé des incubateurs.

 Yacine Oualid : ministre délégué chargé des startup.

 Rachid Bladehane : secrétaire d’Etat chargé de la communauté nationale et des compétences à étranger.

 Bachir Youcef Sehairi : secrétaire d’Etat chargé de l’Industrie cinématographique.

 Salim Dada : secrétaire d’Etat chargé de la production culturelle.

 Nouredine Morceli : secrétaire d’Etat chargé du sport d’élite.

 Yahia Boukhari a été nommé secrétaire général du Gouvernement.

Les ministères régaliens du gouvernement Djerad
– M.Sabri Boukadoum, ministre des Affaires étrangères.
– M.Kamel Beldjoud, ministre de l’Intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire.
– M. Belkacem Zeghmati, ministre de la Justice, Garde des sceaux.
– M. Abderahmane Raouya, ministre des Finances.
– M. Mohamed Arkab, ministre de l’Energie.